Comment la créativité se porte-t-elle pendant le confinement ?

Les artistes comme le reste du monde voient leur quotidien chamboulé par les restrictions de déplacement liées à la crise du Covid-19. Souvent associés à une image lyrique de liberté qui semblerait être la condition nécessaire au développement de leur ingéniosité créatrice, les artistes ne devraient plus alors être en mesure de produire des œuvres.

En croisant tous les domaines artistiques tels que la musique, le cinéma, la littérature, le théâtre, la danse ou encore les arts visuels avec des témoignages d’artistes, peut-on dire que la créativité de ces derniers est stimulée ou au contraire étouffée durant cette période morose ? Il s’agit d’établir un diagnostic de la création.

Des contraintes inhibitrices 

En ces temps maussades, certains artistes enfermés ne parviennent plus à imaginer de nouvelles productions. L’artiste peintre, Kelly Allison, avoue très mal vivre la crise. « Ce n’est pas vraiment le confinement qui est compliqué, mais plutôt la détresse et la souffrance du monde, surtout dans les pays les plus démunis, qui m’inquiètent et me plongent dans la tristesse. J’avoue que c’est aussi difficile de vivre si loin de ses proches. Nous n’avons aucune idée du moment où nous pourrons nous retrouver. Pour toutes ces raisons, je me sens vraiment paralysée dans ma création.[1] ». La chanteuse Clara Luciani alors confinée en Ecosse partage cette vision. Interviewée par Konbini, elle déclare : « Je suis très embêtée parce que je n’arrive pas du tout à être stimulée artistiquement par la situation actuelle. Je crois que c’est une contrainte pour moi. J’ai besoin de me sentir libre pour pouvoir écrire. ». Cette claustration paralyse alors tout espoir de transformation de cet accablement en œuvre artistique. 

Au-delà de l’aspect purement psychologique, de nombreux artistes ne peuvent tout simplement pas accéder à leurs espaces de travail et manquent de matériel. Leurs activités doivent alors s’inscrire dans un espace domestique restreint non optimal. Cela complique particulièrement la tâche des acrobates ou des danseurs qui rencontrent des difficultés pour s’exprimer pleinement dans leurs gestes, s’entraîner ou pour conserver la tonicité de leur corps. Pour ceux ne disposant que d’un petit espace pour vivre, il est certain que l’heure d’activité sportive quotidienne autorisée est utilisée à bon escient. Les limitations de circulation complexifient également la production d’artistes habitués à déambuler dans les rues à la recherche d’inspiration. Le carnettiste, Lapin, habitué à flâner dans les rues de Barcelone pour dessiner, ne peut plus vaguer à ses activités. Il s’adonne alors à la reproduction des plantes qu’il possède chez lui, chose qu’il n’avait jamais faite auparavant. Ces contraintes, pesant sur le moral des artistes ou sur leur habilité à créer, engendrent à l’inverse de nouveaux intérêts et forcent les artistes à découvrir de nouveaux médiums.  

Une opportunité pour se réinventer avec les moyens à disposition

Face à la crise sanitaire, les artistes transfèrent leurs angoisses ou leurs espérances dans leurs œuvres. Cette situation inédite leur offre de nouvelles pistes de création d’autant plus que tous les concerts, spectacles ou expositions, ayant été annulés, les créateurs se retrouvent désœuvrés avec beaucoup de temps disponible.

Dans le domaine musical, le live se réinvente et se développe. Le DJ Bob Sinclar, à défaut de pouvoir mixer dans les boîtes de nuit, choisit de faire cela depuis chez lui, dans son propre studio, et est écouté par de nombreux fans qui peuvent profiter de sa musique. Certains musiciens réalisent également les clips de leurs nouveaux morceaux depuis chez eux, comme Drake pour Toosie Slide, dans son immense villa à Toronto ou le groupe Magenta, anciennement Fauve, qui a monté le clip de Chance avec des vidéos envoyées par son public. Les rappeurs montent de nouveaux projets, l’actualité fluidifie leur plume et ils organisent des battles pour divertir leurs fans. A travers ces diverses créations, les artistes utilisent les moyens dont ils disposent et parviennent alors à garder contact avec leur audience, ce qui peut les sortir de leur isolement.  

Dans les arts visuels, les artistes peuvent employer l’espace dont ils disposent pour réinventer la perception de leur propre maison. Banksy, artiste urbain devant être particulièrement frustré en cette période de quarantaine, est à nouveau plébiscité sur son compte Instagram pour avoir pris en flagrant délit neuf rats en train de saccager sa salle de bain. Le confinement est alors lui-même générateur de nouvelles images et formes. Federico Babina, architecte basé à Barcelone, illustre le confinement dans une série de dessins intitulés Archisolation. « Il s’agit de pensées mises en images qui encadrent et reflètent la période actuelle. L’idée derrière cette série d’illustrations est de traduire à travers des formes visuelles les pensées et mots de la quarantaine, une recherche sur les formes et le développement de la créativité et de l’imagination par le jeu visuel. ». Il traite notamment de la distanciation sociale, de la vie cachée derrière les murs des immeubles ou de la surveillance étatique. Le temps offert aux artistes leur permet également de développer leurs pensées. Moustapha Baidi Oumarou, artiste-plasticien représenté par la galerie So Art Gallery basée à Casablanca, réfléchit sur la situation et en tire profit dans ses œuvres : « Tout en ayant un regard pointu sur mon espace de vie entouré par mes toiles, pinceaux et palette de couleurs, et une curiosité pour le monde extérieur, je retrouve ma place d’observateur, une partie de moi confinée à l’intérieur une autre partie projetée à l’extérieur. »

Dans leur volonté de se réinventer, les artistes peuvent également faire participer les amateurs. La comédie de Valence, centre dramatique national Drôme-Ardèche, propose sur son site Internet plusieurs projets : Silvia Costa recueille par exemple des réflexions de personnes confinées et à partir de cette matière dessine et diffuse ses œuvres ; Marc Lainé, écrivain de romans policiers a créé une chaîne narrative où chaque jour sont ajoutés les textes des participants.

Cette période semble alors pour de nombreux artistes importante pour la création et la réflexion. Tout comme les autres individus, ils se rendent bien compte du bouleversement des codes en cours, le modèle de consommation étant renversé par le renoncement à la liberté de se déplacer. Un champ de nouvelles possibilités est à appréhender. Cependant, même si cette prise de conscience est riche de nouvelles créations, elle n’est pas dénuée d’inquiétude quant à l’avenir de la situation artistique.

Des incertitudes grandissantes quant au futur

Les artistes, évoluant le plus souvent dans un milieu précaire, ne sont pas rassurés par l’annulation de tous les événements culturels. Les sources de leurs revenus dans les prochains mois à venir ne sont pas garanties et sans soutien du gouvernement ni des institutions culturelles, la création ne pourra plus continuer à vivre. Face à ce constat, quelques initiatives associatives sont mises en place pour soutenir les créateurs. L’association belge, les Amis d’ma mère, organise par exemple un concours appelé « Lockdown Art » pour inciter les artistes entre 21 et 31 ans à créer en duo des œuvres en temps de confinement. Les vingt meilleurs projets recevront un prix et seront sélectionnés et exposés en octobre ou en novembre à Bruxelles. Franck Riester, prévoit par ailleurs, un plan d’aide d’urgence de 22 millions d’euros pour soutenir la culture. Reste à savoir, si cela sera suffisant.


[1] https://toutelaculture.com/actu/confinement-creer-malgre-la-precarite-portraits-dartistes/

Par Manon Abt

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