La vulgarisation scientifique sur YouTube : quels contenus, quels soutiens ?

Faut-il soutenir la vulgarisation scientifique sur YouTube ? 

En traînant sur YouTube ce matin, je tombe sur une vidéo face caméra de Jamy Gourmaud, présentateur iconique de l’émission C’est pas Sorcier

Nostalgie oblige, j’arrête tout, je parcours la chaîne et visionne plusieurs de ses « capsules de déconfinés »  – entendez courtes vidéos tournées chez soi, au smartphone. Fidèle à lui-même, espiègle et créatif, Jamy détourne les objets du quotidien en maquettes de fortune pour expliquer à son audience la curiosité scientifique du jour. En moins de 2 minutes, le tour est joué. 

Le format quotidien, court et facile à comprendre matche bien avec les attentes des utilisateurs de YouTube : en moins de deux mois d’existence la chaîne rassemble déjà une communauté de plus 400 000 abonnés et totalise plus de 7 millions de vues cumulées.  Si le présentateur a certainement profité d’une fan basepréexistante, son audience est avant tout le résultat du grand boom de la vulgarisation scientifique sur YouTube, format dont Jamy fut un précurseur à la télévision.  

Mais comme tout phénomène à succès, l’essor de la vulgarisation scientifique provoque de nombreux débats. Entre succès populaire, rigueur scientifique et soutiens à la création faisons le point.  

Jamy lance sa chaîne YouTube personnelle !           

Des chaînes très variées aux communautés prisées 

Ayant pris le relais de Jamy, Fred et Sabine, les vulgarisateurs de YouTube traitent le plus souvent de sujets moins généralistes que l’émission de France 3. Mais comme elle, leur contenu est à la frontière de l’éducatif et du divertissement. Les vulgarisateurs les plus établis sont même parfois mobilisés pour intervenir auprès d’étudiants, sans pourtant être considérés comme des experts de la discipline au regard des critères de démarcation traditionnels (diplômes, publications académiques…). Entre YouTube et d’autres sphères culturelles, de nouvelles interactions se créent. 

Benjamin Brillaud de la chaîne Nota Bene revient sur son parcours et la légitimité scientifique de ses contenus.  

La popularité incite aussi les industries culturelles à investir la plateforme. De sorte que de nombreuses collaborations marketing sont diffusées sur les chaînes des vidéastes sponsorisés. Plusieurs stratégies sont déployées. Les éditions Le Robert cherchent par exemple une audience très large en collaborant avec Squeezie [NB1], dont la chaîne de divertissement recense 14 millions d’abonnés. D’autres  structures culturelles soutiennent des projets plus spécialisés, comme Warner Classics qui finance certaines vidéos de la chaîne Révisons nos classiques [NB2] aux « seulement » 50 000 abonnés, mais presque tous amateurs de musique classique. Ces opérations commerciales constituent une source de revenus indispensable à l’activité de vidéastes dont la rémunération YouTube est souvent maigre et irrégulière. Mais ces collaborations basées sur la popularité et le marketing posent aussi question. Dans la mesure où YouTube devient un médium privilégié pour la diffusion de la connaissance et de la culture,  faut-il donner aux vulgarisateurs de meilleures garanties en matière d’indépendance de création ?

Dirty Biology une chaîne soutenue par le CNC Talent, vient d’atteindre le million d’abonné. 

Les soutiens institutionnels sont-ils suffisants ? 

À mesure que la plateforme se professionnalise, produire des vidéos sur YouTube requiert plus d’investissements. Dans cette course à l’audience, les contenus culturels bataillent avec les chaînes de divertissement et les vulgarisateurs doivent redoubler de créativité pour gagner en visibilité. Les institutions publiques et audiovisuelles ont décelé dans ce phénomène un impératif de soutien à la création et une opportunité de visibilité commune. Dès 2017, le CNC Talent met en place le Fonds d’aide aux créateurs vidéo sur internet [NB3] de 2 millions d’euros. Pour le premier plan de soutien, près de la moitié des projets/chaînes selectionné.es revêtent un caractère éducatif. Depuis, France Télévisions et Arte France ont également développé des dispositifs de soutien. L’objectif est d’affirmer sa propre visibilité sur internet en s’engageant auprès de vidéastes populaires mais aussi d’aider des créations de qualité.

Il s’agit aussi de mettre en lumière les contenus les plus qualitatifs. À cet égard, le Ministère de la Culture émet dès 2018 un catalogue [NB4] de 350 chaînes de vulgarisation francophones, fondé sur la qualité scientifique et le potentiel éducatif des contenus. Même si l’État s’oppose à plusieurs pratiques de la plateforme [NB5] détenue par Google[1], il est important que son engagement pour la création se poursuive.  Car l’essor de YouTube ne profite pas qu’au secteur privé de la culture : il porte aussi une valeur éducative que les institutions publiques doivent promouvoir. 

Quelques conseils pour identifier la « bonne » vulgarisation scientifique avec Thomas C. Durand de la chaîne La tronche en biais.

Quand Pierre Bourdieu dénonçait la programmation télévisuelle en 1996, « C’est pas Sorcier » fêtait son troisième anniversaire. 25 ans plus tard, l’émission s’est arrêtée mais ses épisodes restent libres d’accès sur YouTube. Alors à l’image de Jamy, tout semble nous inviter à laisser de côté nos maquettes habituelles pour accompagner la trajectoire de la fusée YouTube. 


NB1]https://www.youtube.com/watch?v=CK1lGDlnR2I

 [NB2]https://www.youtube.com/channel/UCZHPwKyeypWwU8SNJSzQhCw

 [NB3]https://www.cnc.fr/professionnels/aides-et-financements/creation-numerique/fonds-daide-aux-createurs-video-sur-internet-cnc-talent_190814#Rsultats-des-commissions

 [NB4]https://www.culture.gouv.fr/Sites-thematiques/Langue-francaise-et-langues-de-France/Ressources/Ressources-pedagogiques-et-sensibilisation/350-ressources-culturelles-et-scientifiques-francophones-en-video

 [NB5]https://www.lemonde.fr/actualite-medias/article/2019/05/02/l-audiovisuel-public-francais-irrite-par-une-nouvelle-fonctionnalite-de-youtube_5457504_3236.html


Par Nils Bernier

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