Les MNR : les œuvres spoliées des collections françaises

Qu’ont en commun une figurine de la déesse égyptienne Isis allaitant, datant de l’époque ptolémaïque, une sculpture de Saint Jacques en pèlerin du XVème siècle, un pastel d’Adélaïde Labille-Guiard datant de 1781 et un masque mortuaire de Napoléon Ier ? Ces œuvres d’art, et bien d’autres encore, sont inscrites sur l’inventaire Musées Nationaux de Récupération (MNR) et jouissent d’un statut particulier au sein des collections françaises.  

Les Musées Nationaux Récupération, qu’est-ce que c’est ?   

Les MNR sont des œuvres spoliées par le régime nazi et rapportées en France depuis l’Allemagne à la fin de la Seconde Guerre mondiale : sur les 61 000 œuvres récupérées, 45 000 sont restituées entre 1945 et 1949 par la Commission de récupération artistique. Les biens non réclamés sont vendus par l’administration des Domaines en 1950 et 1953, à l’exception de 2143 objets ou lots, qui sont confiés aux musées nationaux et qui forment aujourd’hui les MNR. Ces derniers sont conservés dans les réserves ou exposés dans certains musées français, mais n’appartiennent pas à l’État : les œuvres MNR sont conservées à titre de dépôts et échappent ainsi à l’imprescriptibilité et l’inaliénabilité des collections nationales, ce qui permet d’organiser plus facilement leur restitution. Leur statut particulier entraîne certaines contraintes : les MNR doivent être accessibles au public et ne peuvent pas sortir du territoire français.  

L’inscription sur cet inventaire particulier se veut être une solution provisoire, dans l’attente d’une éventuelle restitution aux familles ou ayants droit des collectionneurs spoliés pendant la Seconde Guerre mondiale. 

Le dernier exemple de restitution d’œuvres inventoriées MNR est relativement récent : en décembre 2020, la ministre de la Culture Roselyne Bachelot a annoncé qu’un ensemble de trois tableaux de petit format et de quatre dessins a été rendu aux ayants droit de Marguerite Stern, veuve du banquier et collectionneur Edgard Stern. Ceux-ci avaient été volés dans son hôtel particulier, réquisitionné par l’armée allemande pendant la guerre. 

Parmi les œuvres rendues aux ayant de Marguerite Stern, se trouvait cette petite huile sur toile intitulée Concert dans un parc, d’après Jean-Antoine Watteau (MNR 890). © Réunion des musées nationaux Grand Palais. © Paris, musée du Louvre, département des Peintures.

Un peu d’histoire…  

Peu après l’armistice, les bureaux de l’Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg (E.R.R. : littéralement « Équipe d’intervention du gouverneur Rosenberg ») ne tardent pas à s’installer dans la capitale, plus précisément au Musée du Jeu de Paume, situé dans le jardin des Tuileries. Les lois raciales permettent à cette équipe de confisquer ou d’acheter à des prix bien inférieurs à ceux du marché des milliers de tableaux, objets d’art, sculptures, etc. Les œuvres spoliées sont destinées à enrichir les collections allemandes (Hitler a notamment le projet de créer un Führermuseum, à Linz, qui devait accueillir les plus belles œuvres de « l’art véritable »), ou rejoignent les collections privées de hauts dignitaires nazis. La française Rose Valland, alors attachée de conservation au Musée du Jeu de Paume, prend clandestinement des notes sur les œuvres qui passent entre ses mains, rassemblant à la fois des informations sur leur provenance et sur leur prochain lieu de stockage.  

Photo d’identité de Rose Valland 

Dans le film Monuments Men réalisé par George Clooney, sorti dans les salles de cinéma en mars 2014, le personnage de Claire Simone est très largement inspiré par la vie et l’action de Rose Valland.   

Son travail a permis, d’une part, de sauver des bombardements alliés les lieux de stockage et de conservation des œuvres spoliées, et d’autre part, de faciliter leur restitution au sortir de la guerre. Dans les années qui suivent, la Commission de récupération artistique, installée dans ce même Musée du Jeu de Paume, s’emploie à restituer les œuvres spoliées ramenées en France. Les œuvres qui ne sont ni restituées, ni vendues forment les MNR (décret du 30 septembre 1949).  

La base de données qui recense les MNR dispersés dans les musées nationaux porte aujourd’hui le nom de Rose Valland. Celle-ci a été intégrée en 2019 sur la nouvelle « Plateforme ouverte du patrimoine » du Ministère de la Culture, et est consultable par tous.  

Plus de soixante-dix ans après la fin de la guerre, un peu plus de 2000 œuvres MNR n’ont pas encore retrouvé leur véritable propriétaire ou leurs ayants droit.  

Quelles avancées ces dernières années ?  

Le rapport de David Zivie remis en mars 2018 à la ministre de la Culture d’alors, Françoise Nyssen, a mené à la création l’année suivante d’un nouveau système. Désormais, les demandes de restitution sont centralisées au sein de la direction générale des Patrimoines du Ministère de la Culture. La Mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945 instruit les dossiers parvenus au ministère. Elle est également chargée de mener les recherches historiques nécessaires à l’identification des œuvres spoliées, ainsi que de leurs propriétaires. Les dossiers sont ensuite transmis à la Commission pour l’indemnisation des victimes de spoliations (CIVS), qui est elle-même chargée de rendre un premier avis du bien-fondé de la restitution auprès du Premier ministre, qui décide en dernier ressort.   

La refonte des démarches a permis de donner un nouvel élan à la politique de restitution des œuvres d’art spoliées pendant la Seconde Guerre mondiale. 

Depuis quelques années, les musées nationaux s’emparent également de la question, à commencer par le Musée du Louvre. Ce dernier a récemment dévoilé son nouveau catalogue des collections en ligne : les MNR y figurent en bonne place, sur la page d’accueil, ce qui donne plus de visibilité à ces œuvres particulières.  

Un colloque diffusé en direct le 10 mars dernier par le Musée du Louvre, avec la présence des directeurs des huit départements du musée, présente un premier bilan des recherches récemment engagées par le musée sur les MNR conservés par le musée et sur sa politique d’acquisition entre 1933 et 1945.  

Tourner la page… 

Les démarches proactives de restitution, émanant du ministère de la Culture, et les efforts récents des musées français ont permis d’attirer un peu plus de lumière sur les Musées Nationaux Récupération des collections des musées nationaux français.  

La tâche de la Mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945 est cependant loin d’être terminée : celle-ci a aussi pour but d’identifier les livres spoliés aux familles juives par l’administration nazie, ce qui est particulièrement difficile. En effet, après la Seconde Guerre mondiale, près de 14 000 ouvrages ont été attribués à une quarantaine de bibliothèques publiques, sans qu’aucune indication sur leur provenance n’ait été conservée.  

Clara Vergé

Liens utiles :

https://www.pop.culture.gouv.fr/notice/mnr/MNR00890?base=%5B%22Récupération%20artistique%20%28MNR%20Rose-Valland%29%22%5D&image=%5B%22oui%22%5D&mainSearch=%22Jean-Antoine%20Watteau%22&last_view=%22mosaic%22&idQuery=%228a0566-a50-6537-26a-ee80445428d2%22

https://www.inha.fr/fr/agenda/parcourir-par-annee/en-2016/fevrier-2016/autour-de-rose-valland.html

https://www.pop.culture.gouv.fr/search/mosaic?base=%5B%22R%C3%A9cup%C3%A9ration%20artistique%20%28MNR%20Rose-Valland%29%22%5D&image=%5B%22oui%22%5D

https://collections.louvre.fr/

Sources :

https://www.culture.gouv.fr/Espace-documentation/Bases-de-donnees/Fiches-bases-de-donnees/MNR-Musee-Nationaux-Recuperation

https://www.culture.gouv.fr/Presse/Communiques-de-presse/Creation-au-ministere-de-la-Culture-de-la-Mission-de-recherche-et-de-restitution-des-biens-culturels-spolies-entre-1933-et-1945

https://www.connaissancedesarts.com/musees/musee-louvre/spoliation-nazie-7-oeuvres-dart-volees-a-paris-sous-loccupation-restituees-aux-ayants-droit-11149655/

http://musees.angers.fr/collections/musees-nationaux-recuperation/qu-est-ce-qu-un-mnr/index.html