Dimanche 2 avril dernier marquait le grand final de la 32ème édition du festival du cinéma espagnol à Nantes. Les salles du Katorza ont encore une fois fait résonner de charmants accents : galiciens, catalans ou basques, de vieux souvenirs de cours d’espagnol. Au programme : plus de 70 films et documentaires, une sélection audacieuse nous invitant à un véritable voyage dans le temps.
Des acteurs mis à l’honneur
« Les acteurs sont l’essentiel du dialogue entre les cinéastes… » écrivait Serge Daney. Le Katorza s’en inspire et invite cette année deux acteurs qui ont su « incarner plutôt que jouer » leurs rôles. Cette année, l’on rend hommage à Luis Tosar, « l’homme intranquille » à travers ses rôles les plus variés. Mari violent dans Ne dis rien, Gardien de prison dans cellule 211, avocat généreux dans En los Márgenes, Luis Tosar est un véritable caméléon. La brute devient maladresse en un claquement de doigts, désabusé il se met à rêver, homme de nerf il se fait homme de muscle. Le Katorza hausse les couleurs de la Galice et de son grand défenseur.
Quant à l’invitée d’honneur, le festival a l’immense fierté d’accueillir celle qui fut la muse d’Almodóvar, détentrice du record du nombre de Goya pour meilleure actrice principale, Carmen Maura. Femme forte et libre, son œuvre la représente bien. Le harem de Madame Osmane en fait un personnage à la fois terrifiant et si touchant. Voir cette chef de clan, louve protectrice pleurer le décès de sa fille nous fait prendre conscience que Carmen Maura maitrise à la perfection toutes les nuances de ses personnages.
Le territoire et le cinéma basque sous les projecteurs
Le festival tient à cœur d’aborder certaines thématiques récurrentes depuis 2021. Empruntées au cinéma espagnol elles mettent à l’honneur l’attachement à la terre, l’exil, la rupture entre monde rural et citadin. Le festival donne voix aux campagnes, si longtemps restées muettes, en les sortant de l’oubli et en les affichant sur le grand écran. C’est l’occasion de découvrir ce quotidien si dur mais tellement beau des travailleurs de la terre. Mêlant innocence, mélancolie et fatalité, ces films mettent en scène le combat perdu d’avance de familles de paysans, dépourvus de moyens face à l’arrivée des éoliennes et des panneaux solaires. C’est également dans cette dynamique que le festival tient à mettre en lumière le cinéma basque qui, selon le jury, mérite ce focus particulier pour représenter cette terre de liberté et de rébellion.
Nos soleils et As Bestas, des histoire de ruralité
Dans Nos soleils, Carla Simón dresse la peinture d’une famille d’exploitants agricoles. Sous le soleil de Catalogne, à l’ombre des pêchers, au son des rires d’enfants et d’accents catalans, l’on devient témoin d’un monde sur le point de disparaitre. Et c’est cette urgence et cette incapacité à faire autrement qui donne tout le charme et la féérie du film, comme une Atlantide perdue d’avance. C’est la fin d’un monde simple et dur, et c’est cette dureté qui le rend beau. Un monde où la parole prévaut sur le contrat, un monde construit sur la confiance et les liens de sang mais un monde voué à disparaitre dans une Espagne moderne. L’on rêve de cette Espagne tranquille et douce, calme et paisible, sous cette chaleur écrasante à l’ombre des plantations. Et l’on ne peut que s’insurger face à leur impuissance à sauver la terre, celle de leurs ancêtres avant eux, l’héritage de leurs enfants. Et pourtant, comment ne pas comprendre les problématiques écologiques ? Comment refuser que s’installe sur ces terres l’énergie de demain ? Ce paradoxe nous révolte comme nous apaise et l’on sort de la salle encore émerveillé par la beauté presque poétique des scènes et frustré par cette fin tragique et irrémédiable.
As Bestas pose à son tour la question de la terre : qu’est-ce qui définit le « chez soi » ? Le temps ou l’attachement ? Et si ce film emprunte plus au thriller ou au film à suspense qu’au film contemplatif, la peinture de la vie paysanne qui y est décrite laisse tout aussi pantois. Et la frustration n’en est que plus grande. Cet hommage à la terre, pour laquelle ils sont capables du sacrifice le plus terrible, permet la prise de conscience de cet attachement devenu nécessité de ce lopin perdu dans les montagnes de Galice.
Face au générique, l’on n’a qu’une envie : tout plaquer pour se lancer dans les plantations bio sur la diagonale du vide, loin du stress de la vide citadine, vivre d’amour et d’eau fraîche, plongé dans l’innocence et la simplicité de la vie de campagne et tout cela malgré la rudesse du quotidien. Et l’on se sent si bête d’avoir préféré la grande ville.
En souvenir de Carlos Saura
Le festival, c’est aussi l’occasion de rendre hommage à Carlos Saura, réalisateur phare du cinéma espagnol, disparu un mois plus tôt. Le Katorza propose un retour sur ses œuvres majeures qui lui ont valu le Goya de meilleur scénario et meilleur réalisateur. Sur les accords de Porque te vas, Carlos Saura dépeint une enfance franquiste, sans aucun idéalisme et frappant de réalité dans Cría Cuervos. ! Ay Carmela ! aborde avec la légèreté du théâtre le sujet si violent et terrifiant de la guerre civile espagnole : l’art se fait arme de défense et outil de remontrance et de rébellion.
Les début d’Andrea Bagney
Au milieu de cette programmation lourde de combats et d’hommages, Ramona fait son cinéma, premier film d’Andrea Bagney, vient proposer une éclaircie de légèreté et de douceur. Avec une sortie prévue en mai 2023, le film se veut hommage aux techniques anciennes des films des années 50 : pellicule en noir et blanc, charme des films muets, divisé en chapitres et sous-titrés d’un jaune lumineux en police rétro. Andrea Bagney y fait du méta cinéma : repenser ce dernier en mettant en scène un tournage. La réalité devient cinéma et le cinéma devient réalité : la diégèse est en noir et blanc et les scènes de tournage en couleurs. Et l’on en est presque à regretter ce retour aux palettes colorées tant l’unisson des tons est apaisant et doux, sur fond orchestral signé Beethoven ou Tchaïkovski, presque comme une berceuse. Le film sonde le passage de la trentaine d’une jeune femme, oscillant entre innocence et naïveté de la jeunesse et la pression du temps qui passe plus vite qu’on ne le souhaite. Les dialogues sont drôles et fins et ce grain de folie, on le veut aussi pour nous et l’on se voit envier cette vie de chômeuse dans le quartier de Lavapiès. Là, calé au fond du fauteuil de velours rouge, entouré de citadins venu chercher de la diversion, l’on se laisse aller à un sourire et à cette pensée que la vie est si courte et si belle. Pourtant, on est loin du cliché : le happy ending n’arrive jamais. Et en rentrant chez soi, l’on chante à tue-tête Como una ola de Rocio Jurado en déformant les paroles, l’on se prête quelques temps à la rêverie puis l’on remet les pieds sur terre et l’on se dit qu’il fut bon lors d’une heure et demie de faire une parenthèse de paix et de joie dans le tourbillon de notre vie.
Une introduction aux filmes de patrimoine
L’édition 2023 du festival marque la création du cycle films de patrimoine. En partenariat avec la Cinémathèque espagnole, le Katorza projette des films de patrimoine espagnol restaurés afin de « rembobiner le fil de l’histoire de l’Espagne ». Une fenêtre s’ouvre sur un cinéma méconnu en France, un cinéma qui en 1966 fut une révolution de la forme cinématographique et qui aujourd’hui semble si « vintage ». Lorsqu’en introduction de Nueve cartas a Berta le spectateur est prévenu que le film est incomplet mais restauré grâce à des négatifs en 35mm, il se prépare à contempler un cinéma probablement incompréhensible et insaisissable mais si charmant car désuet. A vrai dire, sans le synopsis, l’on ne comprend rien au film mais on ne se lasse pas de voir ces paysages de l’Espagne des années 60, avec ses fêtes de village, ses tenues traditionnelles, ces rues de Salamanque qui n’ont pas changé et l’apparition du mouvement hippie dans une ville encore figée dans le temps. La beauté du noir et blanc suffit largement à nous faire oublier que de cette histoire, on n’y comprend un traître mot. Le film a beau être hermétique l’expérience en vaut la peine, rien qu’en prenant conscience qu’on est bien là, mars 2023, Nantes, à regarder ce qui, soixante ans plus tôt, fut une révolution à Madrid.
Cette année les différents jurys ont largement récompensé le dernier film de Juan Diego Botto, En los Márgenes. Ce film, plein de fougue et de rébellion, a su toucher une France en plein émoi et ses acteurs principaux, Luis Tosar et Penelope Cruz ont su se faire les avocats des plus démunis. La Consagración de la Primavera a remporté le prix Jules Verne et Un an, une nuit le prix du jury jeune. Quant au documentaire, Carlos Saura est mis à l’honneur avec las Paredes Hablan. Cinco Lobitos l’emporte dans la catégorie Premier Film et Cuerdas dans la catégorie Court-métrage. Un palmarès haut en couleur pour cette édition 2023 : la sélection reflète des nombreux combats, que ce soit celui contre la pauvreté, pour la reconnaissance du handicap, la mémoire des attentats, la difficulté des mères-célibataires etc… Un immense bravo à eux !
Octavie Lepine