À travers ses multiples performances artistiques aussi provocantes les unes que les autres, Ai Weiwei se fait rapidement connaître dans le monde entier. L’Artiste a été marqué par son vécu familial. Son père, Ai Qing, célèbre poète en Chine a été envoyé en camp de rééducation politique dans le désert du Gobi, expulsé de sa propre nation car suspecté d’être un « droitiste », à l’époque opposé au gouvernement. Ai Weiwei a connu l’oppression, la violence et l’exil. C’est pourquoi en tant qu’homme, avant même d’être un artiste, il décide de se battre pour sa liberté, la liberté universelle en réponse au sort réservé à son père dans son propre pays.
Il en est de même pour les réseaux sociaux. Ai Weiwei est né dans une société où la liberté d’expression n’avait pas sa place. En grandissant il a décidé de faire ouvrir les yeux au monde entier pour dénoncer ce qui lui paraissait injuste.
Depuis sa naissance, l’artiste baigne dans un milieu artistique. Pendant longtemps, l’artiste a été reconnu et apprécié du gouvernement chinois mais ce dernier en décide autrement. Ai Weiwei, artiste dissident, décide de développer un art à sa manière, s’opposant radicalement à l’autorité chinoise. Refusant une Chine mensongère, un gouvernement qui en cache trop aux citoyens, l’artiste rend compte à plusieurs reprises de clichés provocateurs et très explicites rediffusés sur de nombreux réseaux.
Déjà depuis un certain temps brouillé avec le gouvernement chinois, ses relations empirent avec le tremblement de terre qui a lieu le 12 mai 2008 dans la province du Sichuan, situé au centre de la Chine. Dû à la force du séisme, en quelques minutes les chinois font face à des dégâts monstrueux.
De nombreux bâtiments s’effondrent notamment à cause des normes de sécurité non respectées des bâtiments sur lesquelles l’autorité chinoise va encore une fois garder le secret.
Ai Weiwei vient sur les lieux de la catastrophe pour y conserver les preuves, il va même jusqu’à compter le nombre de victimes pour rompre le silence du pouvoir. Les autorités chinoises décident dès lors de le placer en garde à vue et lui font subir des maltraitances. Il est hospitalisé par la suite dû surement à cette agression.
Derrière plusieurs pseudonymes et sur différents blogs, l’artiste va écrire les noms des victimes et publier des photos. Il va même jusqu’à créer une oeuvre d’art audio avec des voix qui récitent les noms de nombreux enfants, victimes de la catastrophe. Il va aussi tirer une autre oeuvre de cet événement. Il va mettre en place une installation, Remembering où sont exposés en grand nombre des cartables.
Remembering, 2009, La Haus der Kunst, Munich (Allemagne), Ai Weiwei
- 9 000 sacs à dos d’écoliers ( couleurs : rouge, jaune, vert et bleu)
- Phrase en chinois : « Elle vécut heureuse jusqu’à 8 ans » (tirée de la lettre d’une mère d’écolière décédée)
C’est une occasion de rendre hommage aux écoliers décédés sous les décombres des écoles. Le plasticien veut prouver que le gouvernement chinois n’a pas joué son rôle vis à vis des citoyens. Luttant aussi pour d’autres causes telle que la crise des migrants, il démontre son soutien aux plus démunis en dénonçant la corruption du gouvernement chinois.
Mais n’est pas aussi un levier pour augmenter sa popularité que de sans cesse provoquer, de faire la Une de tous les journaux, à travers des événements tragiques ?
L’artiste a rapidement compris qu’il pouvait tirer profit de la censure chinoise en utilisant en grande quantité les réseaux sociaux et différents blogs. Au même titre que des manifestations, les réseaux sur lesquels il est extrêmement actif deviennent véritablement des armes à part entière. Les médias occidentaux soutiennent beaucoup ce célèbre artiste. Condamné à rester en Chine, où réside une censure importante, Ai Weiwei devient « le bouc émissaire » du gouvernement chinois.
Cela revient finalement à son avantage et les médias occidentaux parlent de l’artiste en tant que héros de la liberté universelle. Au sein de l’empire de la censure, à part dans la sphère élitiste du pays, peu de personnes connaissent les actes répressifs de l’artiste pourtant connu à l’international.
Ai Weiwei : figure ou art polémique ?
A l’ère de l’art contemporain, l’artiste devient finalement aussi important que sa production. C’est finalement un glissement vers un marché de notoriété où le nom de l’artiste compte plus que la qualité de l’oeuvre proposée. L’artiste chinois est internationalement connu pour avoir défier les autorités mais qu’en est t’il de son Art ? Ai Weiwei affirme « Une œuvre d’art incapable de mettre les gens mal à l’aise ou de se sentir au moins différent n’a aucune valeur. » C’est finalement l’artiste conceptuel qui décide de la légitimation de son art. En se créant une image polémique autour de sa personne, l’artiste interpelle et son art suit.
On cherche à le suivre, à le comprendre, à se battre avec lui. Cependant, beaucoup d’avis sont controversés sur l’artiste. Certains affirment que les motivations de l’artiste sont seulement commerciales et individuelles. Mais Ai Weiwei réplique : « Mon travail a toujours été politique, parce que le choix d’être un artiste est politique en Chine ». Ses performances artistiques deviennent donc une nécessité et non un réel choix.
Par cette figure contemporaine dissidente, ses oeuvres restent polémiques. En tant qu’artiste conceptuel, il décide de remettre en cause l’art traditionnel, de donner une autre valeur que l’esthétique à l’oeuvre, une valeur originale, politique.
C’est son vécu historique, familial qui façonne son art. L’artiste affirme aussi ceci : « Bien souvent je remets en question le statut de l’artiste (…) après tout, peut-être que je ne suis pas artiste. Dans le domaine de l’art, j’essaie de résoudre des problèmes culturels, j’essaie d’utiliser un langage nouveau, l’art vient quand je fais autre chose ». Même Ai Weiwei, lui – même remet en question son statut d’artiste.
Quelle est devenue la valeur artistique d’une oeuvre contemporaine ?
Dans un monde où l’art contemporain prend de plus en plus de place, et prend parfois le dessus sur des chefs d’oeuvres plus anciens, quelle semble être devenue la valeur d’une oeuvre d’art ? La valeur artistique réside t’elle dans le coût de l’oeuvre ? Comme l’affirme si bien Nathalie Heinich, spécialiste de l’art contemporain, de quelle valeur parle t’on ? 2 Marchande, esthétique, authentique .. Qui rend compte de la valeur ? Les experts, les critiques d’art, un public beaucoup plus élargi ?
Le contexte de l’exposition de l’oeuvre est aussi essentiel car le goût d’aujourd’hui n’est pas celui de demain ni celui d’hier surtout à une période ou de nombreux artistes conceptuels entrent en jeu. La pluralité des valeurs permet de rendre aussi bien une oeuvre ancienne et une oeuvre contemporaine en tant que bien artistique. Aujourd’hui, la valeur s’est rattachée trop rapidement au prix de l’œuvre.
Que souhaite finalement voir le public, principal acteur du marché de l’art ? Etant donné que notre société évolue, l’Histoire de l’art change aussi.
Ai Weiwei l’a bien compris en réalisant des oeuvres qui choquent le public, des structures qui font preuve d’engagement et qui touchent un public très élargi. Aujourd’hui, l’art contemporain se résume par une liberté de chacun de penser son goût guidé par les goûts à la mode. L’art contemporain se doit de transformer le concept traditionnel de l’art. 3De nouveaux médiums font place tels que des installations, des vidéos…
Nathalie Heinich affirme aussi que « l’art contemporain tend à opérer un déplacement de la valeur artistique, qui ne réside plus tant dans l’objet proposé que dans l’ensemble des médiations qu’il autorise entre l’artiste et le spectateur ».
L’art contemporain est doté d’un système de marché complexifié par un monde de communication. Cela est très paradoxal du fait de la double valeur : la valeur artistique et la valeur marchande, deux valeurs radicalement différentes. Aux côtés des artistes contemporains les plus célèbres tels que Jeff Koons ou Jean-Michel Basquiat, Ai Weiwei est devenu une véritable marque internationale. Il se défini d’ailleurs comme tel : «Je suis en train de devenir une marque pour la liberté d’expression et l’individualisme ». Le fait de développer sa marque est toujours compliqué à cause des risques et des pièges. L’artiste réussit à garder le même discours dans toutes ces manifestations et un public élargi le suit très activement.
Philippine Bonhoure