Alors que le genre du zombie continue de se démultiplier et de se diversifier en Occident, la Corée du sud commence à s’en saisir depuis une petite décennie pour proposer des contenus novateurs.
Le genre du film de zombies aura mis du temps à s’implanter en Asie : la Corée du Sud a récemment opéré une récupération presque stricto-sensu du zombie tel qu’il a été développé par l’Occident. Le genre était auparavant quasi-inexistant sur la péninsule et seule une petite poignée de productions sans ambitions s’y sont essayées dans les années 2000. Mais en 2016, le Dernier Train pour Busan devient un succès national et international : l’aventure commence réellement. Depuis sa sortie, le motif du mort-vivant a été réutilisé à multiples reprises. On peut citer par exemple la première série de zombies coréenne Kingdom (2019), qui insère les monstres dans un sageuk (drame historique) politique. Mais surtout le traitement du genre s’est accéléré avec le Covid, et a permis des rapprochements intéressants sur les conséquences d’un virus d’ampleur mondiale, avec notamment #Alive (2020), Happiness (2021) et All of us are dead (2022).
Toute une génération de réalisateurs occidentaux s’est inspirée de George Romero, qui créa dans les années 60 le motif du zombie à l’américaine. Prenant sa suite, ils ont défini les codes du genre, continuant à l’associer à un message sociopolitique fort. Cependant, le genre tel que nous le connaissons a pris sa forme après les attentats du 11 septembre, c’est ce modèle qui inspire la Corée du Sud. Ce zombie moderne incarne les craintes liées aux dérives des recherches biotechnologiques et à la perte de notre humanité, voire la vacuité de nos existences. Il révèle une conception pessimiste de la psyché humaine, dont les tréfonds cacheraient des pulsions violentes et un instinct agressif. Cette vision inquiète de l’être humain se retrouve aujourd’hui dans les productions coréennes comme la série All of us are dead. Le lycée dans lequel débute l’action est déjà gangréné par le harcèlement et les rapports de force entre élèves, phénomènes aggravés par l’indifférence des adultes les entourant. L’apparition des morts-vivants s’inscrit alors dans la continuité de cette violence, voire, la violence systémique de la société coréenne est désignée comme l’origine indirecte du virus. En clair, le zombie est indissociable d’une analyse sociale et politique de la société dans laquelle il est inséré ; il n’est plus qu’un prétexte, à l’image de ce que fait The Walking Dead.
Les Sud-coréens sont loin d’être des débutants dans ce domaine. Leur univers cinématographique comprend depuis longtemps des œuvres profondément contestataires qui détournent un genre pour servir un propos sociopolitique. Le réalisateur Bong Joon-Ho est un maitre en la matière : Okja, par exemple, s’appuie sur le type du film d’amitié enfant-animal et sur les regards de ses deux protagonistes innocents pour montrer les travers de la société de consommation ainsi que des méthodes d’abattage.
Le traitement du zombie comme genre cinématographique n’échappe donc pas à cette règle. Les Coréens s’en servent pour raconter l’apocalypse, un contexte de basculement et d’urgence permettant de dévoiler les derniers souffles d’une société et de ses travers.
Dernier train pour Busan ne se contente ainsi pas d’être un blockbuster mais établit un commentaire fort sur la perte des valeurs fondamentales du pays. Dans ses premières apparitions, le personnage principal, Seok-woo, courtier en bourse, se présente comme l’archétype du père égoïste, esclave du capitalisme et de son travail, déconnecté des valeurs familiales. Un arc de rédemption lui est offert, avec comme vecteur principal sa fille, Soo-ahn, qui oppose à son individualisme une bonté enfantine. En outre, le film a une préquelle, Seoul Station (2016), du même réalisateur, film d’animation qui nous apprend que le « cas zéro » est un SDF et que le virus s’est d’abord propagé parmi eux. Ainsi, dans Dernier Train pour Busan, la femme venant se réfugier dans les toilettes du train et contaminant les passagers est elle-même une sans-abri. Le film est donc ancré dans une réflexion sur le problème des sans-abris, qui peut, de plus, être perçu comme un pendant au parcours de Seok-woo, qui a perdu son foyer, sa famille, et toute relation avec sa fille.
Il faut aussi comprendre que le contexte politique, social et économique de la Corée du Sud de ces dernières décennies a offert un cadre d’émergence idéal à ce genre à forte connotation politique. En effet, les inquiétudes grandissent face à l’accélération du modèle capitaliste et de l’ordre social qu’il a établi, et ce depuis l’échec de l’intervention du FMI en 1997, dont les politiques néolibérales avaient alors empiré la crise économique asiatique. Une autre caractéristique économique de la Corée du Sud réside dans la puissance financière et politique des chaebols (ces multinationales familiales détenant 60% de la richesse du pays). La collusion de ces derniers avec le gouvernement et les hauts-fonctionnaires n’est plus un secret et est au cœur de nombreux scandales de corruption politique récents : par exemple, le scandale des pots-de-vin versés par Lee Jae-yong, héritier de Samsung, à la confidente de l’ex-présidente Park Geung-Hye. Ainsi, les films de zombie comportent leur lot de riches héritiers et des politiciens corrompus qui estiment leurs vies plus importantes et vont tout faire pour être sauvés en premier. On pourrait également penser à l’influent clan aristocratique Haewon Cho de la série Kingdom, en ce qu’il détient une immense richesse et s’empare du pouvoir en se cachant derrière un semblant de roi (devenu un zombie). Cela pourrait inviter à voir la façon dont les chaebols ont réussi à faire du gouvernement coréen rien de plus qu’un zombie, « l’ombre » de ce qu’il était. Ensuite, avec les épidémies du H1N1 en 2009 et du MERS en 2015, la population a alors constaté l’incapacité du gouvernement coréen à contrôler ce type de crise. Mais aussi, la diffusion de fausses informations sur les médias par le gouvernement durant l’épidémie de MERS n’a fait qu’augmenter la méfiance envers celui-ci. Dans, Dernier train pour Busan les news annoncent que les foules de zombies ne sont que de violentes manifestations de gauchistes (de facto, en Corée, les néolibéraux appellent les gauchistes et les opposants aux capitalismes « joa-zom » (foules gauchistes zombies)).
Nous nous situons donc à l’aube de la construction du zombie à la façon coréenne, une approche qui est tout sauf anodine et s’inscrit de la lignée d’un cinéma qui se sert du fantastique et du thriller pour faire passer un message politique.
Mathilde BORTOLI
Sources :
https://www.franceinter.fr/emissions/blockbusters-le-podcast/le-genre-zombie
Kim Jaecheol (2019) Biocalyptic imaginations in Japanese and Korean films: undead nation-states in I Am a Hero and Train to Busan, Inter-Asia Cultural Studies, 20:3, 437-451, DOI: 10.1080/14649373.2019.1649015
Sung-Ae Lee (2019), The New Zombie Apocalypse and Social Crisis in South Korean Cinema, Australian and Transnational Studies Centre, Universitat de Barcelona