L’Eurovision comme tremplin
Passé presque inaperçu dans l’Hexagone, le 72ème festival de Sanremo s’est conclu il y a peu sur une victoire magistrale de Mahmood et Blanco. Ce festival, sorte d’immense téléréalité musicale, diffusé sur Rai 1 (l’équivalent de France 2), avec son lot de polémiques, de dramas et de talents (tout de même), vise à désigner le représentant transalpin à l’Eurovision. Avec en moyenne 12 millions de téléspectateurs et 60% de part de marché, le festival a une nouvelle fois montré sa puissance et sa popularité.
Et le cru 2022 semble, de nouveau, annoncer du beau pour l’Italie. La chanson Brividi a, dès sa sortie, battu tous les records et même fait une entrée fracassante dans le top 50 mondial de Spotify. Le clip, sorti il y a à peine un mois, cumule déjà 41 millions de vues. Phénomène italiano-italien ? Loin de là.
L’année précédente, l’Eurovision avait déjà été remporté par le désormais célèbre groupe de rock Måneskin, et sa chanson Zitti e buoni. De même, le nom de Mahmood évoque certainement des souvenirs : représentant de l’Italie à l’Eurovision 2019 (il avait donc gagné Sanremo également), sa chanson Soldi a fait fureur à travers toute l’Europe et fait de lui l’Italien le plus écouté de toute l’histoire avec plus de 100 millions d’écoutes sur Spotify et 170 millions de vues sur Youtube.
Si les succès de Mahmood et de Måneskin sont marquants, ils n’en demeurent pas moins les héritiers d’un mouvement remontant aux années 2010.
Le reggaeton à la sauce italienne
En 2015, sort le super-hit Roma-Bangkok de la rappeuse Baby K (singapourienne d’origine) et de la chanteuse Giusy Ferreri. Cette chanson aux airs de reggaeton profite d’une dynamique favorable liée à l’explosion de deux styles de musiques urbaines : le reggaeton, venu d’Amérique Latine et le rap. La chanson est un immense succès : diffusée sur toutes les radios d’Europe, dont NRJ – la plus importante du continent – mais aussi sur Shazam où elle est shazamée plus de 3 millions de fois (trois fois supérieur à Soldi de Mahmood en comparaison) ou encore sur YouTube où c’est la chanson italophone la plus vue avec 280 millions de vues (en France, le tube est resté 24 semaines au top 25).
Forte de ce succès, Baby K n’a cessé de renouveler la recette. Ainsi, sont sortis Voglio ballare con te en 2017 (181 millions de vues sur YouTube), Da zero a cento en 2018 (216 millions), Playa en 2020 (66 millions) et enfin, Non mi basta più avec la célébrissime Chiara Ferragni en 2021 (81 millions).
L’explosion du rap
Notre enfermement hexagonal a effacé en partie les récents succès de l’Italie. Cela peut paraître anecdotique, mais des rappeurs comme Guè Pequeno ou Sfera Ebbasta, dont les noms ne nous disent rien, sont pourtant plus écoutés que Damso ou Aya Nakamura sur Spotify. Pourquoi alors parler là aussi d’un Rinascimento ?
Le succès de Mahmood, rappeur milanais, homosexuel et d’origine égyptienne, aux antipodes de la société voulue par Matteo Salvini, est un premier exemple de ce succès international. Son titre Soldi, dont le texte profond et sérieux écrit en italien et en arabe, parle de l’absence du père et de parentalité, a pourtant touché les radios de France, de Belgique, de Russie, d’Ukraine et même jusqu’en Australie.
En Italie, le rap politique détient une place extrêmement importante. Ainsi, comment ne pas parler de Fedez, l’ennemi numéro 1 de La Lega (parti d’extrême droite italienne, dirigé par Matteo Salvini). Fedez, qui soutient de son côté le Mouvement 5 Etoiles, est une véritable star. Il totalise actuellement 900 millions de vues sur YouTube seul (1,5 milliards en ajoutant son duo avec J-Ax) avec 1 clip ayant dépassé les 200 millions de vues et 4 à plus de 100 millions dont le tube de l’été 2021, Mille. Sa popularité s’est d’autant plus accrue qu’il s’est marié avec l’influenceuse Chiara Ferragni, suivie par 27 millions de personnes sur Instagram. Les deux ont même eu droit à une série-réalité à succès sur Amazon Prime : The Ferragnez. Fedez, ultra populaire, anime par ailleurs la version italienne de l’émission Lol – Lol : chi ride è fuori (Lol : qui rit sort).
Une stratégie d’internationalisation
Que cela soit dans le reggaeton, la pop ou le rap, les artistes italiens comptent influencer le monde de la musique. Ainsi, ils adoptent une double stratégie d’internationalisation.
Tout d’abord, nombre d’artistes profitent de la proximité culturelle et linguistique avec les autres langues latines. De cette façon, le rappeur Ghali (d’origine tunisienne), a fréquemment des passages en français, en espagnol ou en portugais dans ses chansons. De même, certains artistes font des doubles versions de leurs chansons comme le chanteur Fred de Palma, très entendu en période estivale, faisant toujours des versions en italien et en espagnol de ses chansons, notamment Una volta ancora / Se illuminaba en duo avec l’espagnole Ana Mena. De même, les chanteurs de reggae Rocco Hunt et le groupe Boomdadash connaissent beaucoup de succès en Europe et en Amérique du Sud, avec par exemple le titre A un passo dalla luna (de nouveau avec Ana Mena).
La célèbre Elettra Lamborghini (nièce du constructeur automobile, star de téléréalité en Grande-Bretagne et en Amérique Centrale, cumulant 7 millions d’abonnés sur Instagram) a par exemple débuté sa carrière avec un album entièrement en espagnol (contenant le super-hit Pem Pem).
Les artistes italiens multiplient également les featurings internationaux. Ainsi, Fred de Palma a collaboré avec la superstar brésilienne Anitta, Ghali a chanté Jennifer avec l’algérien francophone Soolking, la rappeuse Anna a travaillé avec le marseillais Jul, Baby K avec le groupe de DJ Major Lazer, le rappeur Sfera Ebbasta avec le colombien J Balvin (l’un des 10 artistes les plus écoutés sur Spotify) ou encore Elettra Lamborghini avec rappeur Pitbull.
Une nouvelle vague
Si dans les années 2000 à 2010, la musique Italienne qui s’exporte est essentiellement portée par le mouvement Eurodance, connus à travers des DJs comme Eiffel 65 (Blue (da ba dee)) ou Gigi d’Agostino et par la pop et le rock, avec Laura Pausini ou encore Zucchero, ces artistes chantaient alors dans d’autres langues que la leur, et leur nombre était limité.
Aujourd’hui, depuis le premier succès de Baby K, la musique italienne parvient à s’exporter, notamment en Méditerranée, en Europe de l’Est et en Amérique du Sud. Peut-être que la porte ouverte par ce succès, et portée par le reggae, le reggaeton et le rap peut permettre au monde de découvrir le vivier de talent de la Péninsule.
Arthur Echerbault
Sources:
https://grandimagazziniculturali.it/2018/12/musica/
https://www.repubblica.it/spettacoli/musica/2019/06/19/news/mahmood_maturita_fake-229156089/ Spotify top 1000 . (s.d.). Récupéré sur https://kworb.net/spotify/artists.html
Symbola, F., Madeddu, P., & FIMI. (2018). Io sono cultura 2018.