En mars dernier, la semaine d’éducation et d’actions contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT au Musée de l’histoire de l’immigration a été rythmée par des conférences, des débats, des performances artistiques, du théâtre ou du cinéma. Retour sur un spectacle bouleversant proposé à l’occasion de cette semaine riche en émotions au Palais de la Porte Dorée.
Un spectacle placé sous le chiffre 3
Trois artistes, trois continents, trois disciplines artistiques.
Et trois secondes seulement pour que le spectateur se retrouve projeté au milieu d’une affaire dont la violence, inouïe, est racontée par la conjonction du théâtre, de la danse et de la musique.
Cette histoire, c’est celle d’Amadou Diallo, un jeune homme d’origine guinéenne âgé de 23 ans vivant aux Etats-Unis, qui est abattu le 4 février 1999 en bas de son immeuble par quatre policiers new-yorkais.
Quarante-et-une. C’est le nombre de balles tirées par les policiers sur un jeune homme qui, croyant qu’on lui demande de sortir ses papiers pour un contrôle, met la main dans sa poche et induit en « erreur » la police de New York qui pense alors qu’Amadou Diallo s’apprête à brandir une arme.
Quarante-et-un tirs, en direction d’un jeune homme innocent et non armé.
La rencontre artistique d’Hakim Bah (auteur de théâtre guinéen), de Juan Ignacio Tula (artiste de cirque et danseur argentin), et d’Arthur B. Gilette (guitariste et compositeur français) rend ainsi hommage à Amadou Diallo et dénonce les violences policières aux Etats-Unis par une fiction documentée aux notes poétiques.
Une mise en scène poignante
La mise en scène du spectacle s’appuie sur un dispositif multisensoriel, donnant à voir aux spectateurs des jeux de lumière, de son, de mouvement.
Dans une même unité de temps et de lieu, l’action elle, est démultipliée. Tandis que l’acteur Hakim Bah énonce avec la plus grande émotion un monologue relatant les faits, l’artiste circassien Juan Ignacio Tula réalise des figures avec une roue Cyr au rythme des notes jouées par le musicien Arthur B. Gilette. Le regard du spectateur passe tout au long de la représentation de l’un à l’autre sans jamais se fixer réellement, et la tension de l’histoire monte crescendo, jusqu’à son paroxysme : la mort d’Amadou Diallo.
La proximité physique des acteurs avec les spectateurs, l’ajout d’effets scéniques tels que la fumée, le changement de costumes et de décors au cours du spectacle, permettent une immersion totale au cœur du spectacle et de l’affaire de la mort injuste et cruelle d’Amadou Diallo.
« Pourvu que la mastication ne soit pas longue », un titre évocateur
Lors des échanges avec les artistes à la fin de la présentation, la question du sens du titre donné au spectacle par l’auteur Hakim Bah a été posée.
« Pourvu que la mastication ne soit pas longue », c’est la douleur d’Amadou Diallo lorsque les balles lui traversèrent le corps, changeant les secondes en une éternité.
« Pourvu que la mastication ne soit pas longue », c’est la prière pour que tout s’arrête, pour ne plus rien sentir.
« Pourvu que la mastication ne soit pas longue », c’est la volonté profonde de l’auteur que ce fait divers, d’une violence symbolique et symptomatique des violences policières, ne se reproduise plus jamais.
« Pourvu que la mastication ne soit pas longue », c’est la lutte contre le profilage vis-à-vis des personnes noires aux Etats-Unis, la contestation contre le racisme et la discrimination, et la revendication de l’égalité humaine.
« Pourvu que la mastication ne soit pas longue », c’est un titre pour Amadou et pour tous les autres.
Le Palais de la Porte Dorée, une invitation à faire évoluer son regard sur les sujets liés à l’immigration
L’établissement public du Palais de la Porte Dorée est créé en 2012 par décret, regroupant le monument historique du Palais, le Musée national de l’histoire de l’immigration, et l’Aquarium tropical.
A l’origine, le Palais de la Porte Dorée est construit en 1931 pour l’Exposition coloniale internationale. L’édifice est ainsi voué à montrer les produits et productions artistiques des colonies françaises et des pays sous protectorat français, par la construction de pavillons, d’attractions, d’un aquarium tropical et d’un jardin zoologique.
Il promeut la puissance coloniale de la France ainsi que sa mission civilisatrice menée dans les colonies, et pose un regard idéalisé sur les relations entretenues avec ces dernières. Les objets étant exposés à l’occasion de l’Exposition, ils sont présentés comme des investissements pour les industriels métropolitains et fascinent les européens.
Aujourd’hui, l’Etablissement public se pose comme conservateur des éléments liés à l’histoire de l’immigration en France, particulièrement à partir du XIXe siècle et adopte une position de « neutralité engagée » face à son histoire, invitant le public à poser un autre regard sur l’immigration en France. Bien loin de l’outil de promotion des relations idéalisées entre la métropole et ses colonies qu’il pouvait être à l’origine, le Palais met en lumière les apports de l’immigration à l’histoire française et propose des réflexions sur les sujets des migrations, des questions identitaires et des nationalismes notamment.
Depuis 2017, le Palais organise un « Grand Festival » se tenant en mars et donnant la parole aux artistes et aux visiteurs sur les sujets du racisme, de l’antisémitisme et de la haine anti-LGBT. « Pourvu que la mastication ne soit pas longue » s’est déroulé cette année dans le cadre de cet évènement.
Nina Reguillot
Sources