« Exister, c’est être perçu ». Voilà la citation de Berkeley qui a servi de point de départ à ce qui sera l’unique oeuvre cinématographique de Samuel Beckett, Film. C’est Ross Lipman qui nous le confie dans son documentaire dédié à l’histoire autour de ce film intitulé Notfilm, résolument décidé à rivaliser avec Beckett dans l’originalité des titres de films. Le réalisateur est venu présenter son film au Cinématographe en avant-première.
On regrettera une mise en scène aussi austère que Beckett lui-même sans qu’elle n’ajoute une réelle dimension au documentaire, bien au contraire : Interviews décontractées dans des fauteuils avec visage déformé des interviewés, zoom de travers sur une photo pour faire une transition assez originale vers un extrait de « Film »,… Une sorte d’amateurisme assumé s’en dégage et, il faut le dire, déconcerte le spectateur. La présence de certains détails inutiles tels que les troubles de la mémoire des acteurs troublent tout autant le spectateur.
Néanmoins, il faut reconnaître à Lipman une tentative inespérée (ou désespérée ? ) de faire la lumière sur l’oeuvre la plus incomprise de Beckett. Buster Keaton lui-même reconnaîtra n’y avoir jamais rien vu d’autre qu’un délire d’auteur.
La structure chronologique, en deux actes, démarrant par la pré-production et continuant logiquement sur le tournage du film et son accueil critique, est salutaire. Elle nous permet de comprendre un tant soit peu l’intention de Beckett dans ce film. Finalement, il admettra lui-même ne pas avoir réussi à faire transparaître ce qu’il voulait à l’écran.
On suit ainsi deux personnages, E et O. C’est un débat sur la perception et sur l’existence qui traverse ses deux personnages. Beckett s’oppose à Berkeley. On peut exister sans être perçu, puisque E se balade sans être vraiment repéré.
On voit aussi à travers le regard de E peut-être la réalité de sa propre condition, le regard voilé de la mort. Ainsi chaque personne qui voit E ne peut retenir un effroyable cri désespéré, cri qui reste inaudible. C’est ce cri, cette bouche béante de Buster Keaton, quand il découvre que son poursuivant n’est autre que son double, qui conclut le film. Au fond, il n’y a que la mort, le vide dans l’existence. Beckett renoue là encore avec son obsession.
Cette comédie du samedi soir aura le mérite de redonner le sourire au spectateur même dans les moments les plus sombres de son existence. Car le moins que l’on puisse dire, c’est que Beckett sait trouver les mots justes et réconfortant. Il avait ainsi écrit à un ami qui venait de perdre sa mère qu’il espérait qu’il retrouve espoir, et qu’il dépasse cette perte même s’il trouvait énigmatique que l’on puisse continuer à vivre après des événements aussi dramatiques.
On sortira du film marqué par la musique de Mihaly Vig et hanté par l’idée que le cinéma n’est finalement qu’un essai, une tentative, parfois réussie, mais souvent manquée.