DJ Mehdi, le grand écart entre le rap et l’électro 

13 ans après sa mort, Arte revient sur l’histoire de DJ Mehdi, figure incontournable de la scène rap et électro française, avec une série documentaire intimiste et touchante. Cet article revient sur le parcours atypique de ce génie pourtant méconnu du grand public.

Mehdi, l’enfant virtuose 

Il a marqué une époque charnière du rap français et pris un virage à 180° pour explorer de nouveaux terrains musicaux. DJ Mehdi, de son vrai nom Mehdi Favéris-Essadi, s’est frayé un passage dans la cour des grands, collaborant aux côtés des DJs les plus célèbres de son temps.  

Dès l’âge de douze ans, Mehdi se prête de jeu de DJ, en bricolant lui-même ses platines et son sampler. Il passe ses journées à écouter les vinyles familiaux de funk, disco et jazz en passant par la musique arabe, et compose ses propres remix.  

En 1992, alors qu’il n’a que quinze ans, Mehdi rejoint et devient le compositeur du groupe Ideal J, fondé par Kery James dont il est très proche. Un premier pas qui le propulsera dans le milieu hip hop parisien des années 90. L’album Le combat continue sorti en 1998 signe la consécration d’Ideal J et permet à Mehdi de se faire davantage connaître. Il intègre naturellement la Mafia K’1 Fry, collectif déjà implanté et reconnu en région parisienne. De même qu’avec Ideal J, le groupe qui revendique le rap hardcore enchaîne les tournées et termine par un concert historique L’Elysée Montmartre.  

Il est impossible de parler de la carrière de Mehdi sans mentionner son travail avec le trio du 113, avec lequel il produit le son “Princes de la ville, hymne fédérateur d’une génération. L’album Tonton du bled rencontre un succès fou avec près d’un million de ventes et le groupe est élu Révélation de l’Année 2000 aux Victoires de la Musique en plus du prix de la catégorie « rap, reggae ou groove ».   

En parallèle de son activité de producteur dans les groupes hip-hop, DJ Mehdi fonde son propre label, Espionnage, et sort un premier projet en 2002, Espion Le EP, où se mêlent sonorités rap, électro et acoustiques. Peu à peu, Mehdi se détache de son image de DJ hip-hop pour explorer l’électro, un genre qui a toujours éveillé sa curiosité. Ses rencontres avec le duo Cassius et le manager des Daft Punk, Pedro Winter, lui ouvrent les portes d’un milieu élitiste et majoritairement blanc et marquent le début d’une nouvelle ère dans sa carrière. Il signe chez le label Ed Banger et multiplie les collaborations avec d’autres DJs.

Un héritage avant-gardiste resté pourtant discret

Une épopée musicale qui prend tragiquement fin le 13 septembre 2011, lorsque Mehdi décède des suites d’un accident domestique. Sa disparition suscite l’émotion parmi les plus grandes stars américaines, dont Pharrell Williams et Drake, et laisse une empreinte indélébile dans l’industrie musicale. Le Ministre de la Culture, Frédéric Mitterrand, le décrit dans un communiqué comme « l’un des artistes les plus dynamiques et inspirés de la jeune scène française du hip-hop et de l’électro ».  

Avec son travail expérimental et avant-gardiste, Mehdi a ouvert la voie aux futures fusions électro-rap et à de nouvelles manières d’envisager la création. Malgré cette ascension fulgurante, Mehdi est resté discret car n’a cherché à séduire une audience plus mainstream, contrairement à ce que l’on pourrait attendre d’un artiste comme lui. Son authenticité, sa soif de découverte musicale et son refus de formater son style aux attentes des grands labels font de lui un modèle inspirant de “self-made man” dans un milieu pourtant précaire et compétitif.  

La nécessité d’un récit biographique 

Sorti sous la forme d’une mini-série de six épisodes de 30 minutes, le documentaire DJ Mehdi, Made In France est le fruit d’un long travail d’archivage étalé sur treize années. L’idée de livrer un témoignage de son parcours atypique émerge dans l’esprit de Thibaut de Longeville, ami d’enfance de longue date de Mehdi, peu après son décès en 2011. Cependant, le projet est suspendu car trop précoce pour la famille et les proches de l’artiste encore endeuillés. Ce n’est que quelques années plus tard, lorsque le feu vert est donné, que Thibaut de Longeville se lance dans la réalisation du documentaire.  

Avec l’évolution des technologies et l’avènement des plateformes de streaming, le projet change de forme à plusieurs reprises. Dans une interview, le réalisateur confie avoir essuyé plusieurs refus des grandes plateformes de streaming jugeant le projet trop niche. Mehdi ayant été un DJ, le postulat initial du documentaire était de raconter l’histoire originale d’un artiste peu connu du grand public, quelle que soit l’audience. Thibaut de Longeville déclare ainsi : ‘L’objectif, c’est que le plus rigoureux des fans de rap français et des connaisseurs de l’histoire de la Mafia K’1 Fry puisse dire « c’est incontestable. » Mais aussi que la personne la plus distanciée, qui n’a pas la moindre idée de qui sont 113 ou Ideal J, puisse être informée et divertie.’ La forme d’un documentaire en plusieurs parties est finalement adoptée, lorsque le projet est retenu par Arte, convaincu par l’idée. Sont alors filmées les interviews des proches de Mehdi, artistes comme famille, et rassemblées les archives vidéos des treize années passées à ses côtés dans son studio parisien. 90% des archives présentes dans le film sont inédites et témoignent de la richesse et du storytelling du projet.  

Le format permet au spectateur de découvrir pas à pas l’univers de DJ Mehdi, de comprendre l’environnement musical dans lequel il a évolué, sa vision de la création artistique et ses choix de carrière, le tout à travers le regard de son entourage. Le soin est pris d’expliquer également les principes de base du sampling, essentiel à l’œuvre de Mehdi. En ressort un documentaire passionnant et touchant, à regarder de toute urgence. 

Marie Damongeot

Le lien vers le premier épisode: https://www.arte.tv/fr/videos/119468-001-A/dj-mehdi-made-in-france-1-6/