L’éclairage muséal : le rôle ambigu de la lumière

L’éclairage est au musée ce que décor est au théâtre : un moyen, absolument nécessaire, de mettre en avant une œuvre. Mais comme le décor l’est au théâtre, le rôle de l’éclairage muséal semble, par bien des aspects, ambigu. 

En effet, le but premier de l’éclairage étant d’éclairer, de projeter de la lumière, artificiellement et est donc un média de la présentation et de la représentation. Cependant, sont aujourd’hui connus les effets néfastes de l’éclairage naturel et artificiel sur un grand nombre de matériaux composant les œuvres d’art. Ainsi, l’éclairage met-il en valeur ou détériore-t-il les objets sur lesquels il est projeté ?

De plus, les musées qui abritent les œuvres d’art sont parfois eux-mêmes de véritables chefs-d’œuvre d’architecture et de grands porteurs d’histoire. Dans ce cas, le rôle de l’éclairage est-il de créer une synergie entre le bâtiment et les œuvres qu’il recueille ? Son rôle est-il d’effacer le contenant au profit de son contenu ? Son rôle est-il de simplement mettre en avant l’un et l’autre ? 

Enfin, tout comme le décor d’une pièce de théâtre, l’éclairage muséal, dont le but premier est d’éclairer des œuvres d’art, ne se retrouve-t-il pas parfois comme œuvre d’art. En effet, l’utilisation de la lumière n’est-elle pas un moyen d’expression, et, est donc, en ce sens, une œuvre en soi ?

Maison de vente aux enchères Sotheby’s, Londres

Qu’est-ce que l’éclairage muséal et quelle est son histoire ?

Comme mentionné précédemment, l’éclairage est une manière, une action d’éclairer artificiellement. L’éclairage muséographique ou muséal est, lui, une typologie d’éclairage d’intérieur pour la représentation d’objets dans un lieu muséal ou d’exposition type musée, galerie, showroom, etc. Ainsi, la lumière est utilisée comme moyen de mettre en valeur les œuvres exposés. 

Mais la lumière peut aussi faire office de signalétique dans les expositions. En effet, il arrive que les parcours soient indiqués par des chemins jalonnés de lumières au sol ou au mur. On peut également observer des mises à distance qui se font à l’aide d’éclairage au sol – ce qui fût notamment le cas dans l’exposition GOLD, les ors d’Yves Saint Laurent dans l’atelier du couturier. Les spots peuvent aussi être utilisés pour signifier une origine différente des objets – dans l’exposition Le design pour tous : de Prisunic à Monoprix, une aventure française, les objets provenant de Monoprix étaient reconnaissables à la raie lumineuse rose au-dessus d’eux. 

Exposition Le Design pour Tous : de Prisunic à Monoprix, une aventure française – Photo de France Info



Cette prise en compte des différents usages de l’éclairage au sein du musée est relativement récente. En effet, c’est grâce à la popularisation de la culture, après la seconde guerre mondiale, que les lieux culturels ont bénéficié d’une plus grande affluence. Ce faisant, une modernisation des musées couplée à un travail colossal de valorisation des collections afin de rendre le contenu le plus accessible possible au public, furent nécessaires. 

Pourtant, l’éclairage avait déjà depuis longtemps acquis une place importante au théâtre, au sein de l’élaboration de la mise en scène par ses effets, sa dynamique et ses accentuations. Il est conçu comme un moyen d’expression pour le metteur en scène. La consécration de cet art est incarnée par la scénographie faite par Richard Peduzzi pour la pièce L’éveil du printemps, mis en scène par Clément Hervieu-Léger : dans cet unique décor, le scénographe nous immerge dans la rue, dans une salle d’étude, dans une cour entre les immeubles, dans un climat doux comme dans un froid hivernal. La lumière peut, dans un unique décor, définir les différentes ambiances et le temps qui passe. Et cette prise en compte de l’importance de l’éclairage au théâtre a permis d’étendre cette connaissance à d’autres secteurs comme les musées. 

L’éveil du printemps – Photo de Frank Wedekind


Pourtant, d’une mauvaise utilisation de l’éclairage muséographique peut résulter un inconfort une mauvaise vision des œuvres exposées, voire pire, une dégradation des objets. C’est pourquoi un certain nombre de règles existent quant à la bonne utilisation de la lumière lors des expositions. 

Des ambiguïtés qui gravitent autour de cet art

L’une des ambiguïtés concernant l’éclairage muséal réside donc dans cette distorsion entre la mise en valeur de l’objet et sa détérioration. Et c’est d’ailleurs l’une des raisons qui explique le manque de prise en compte, jusqu’aux années 90, de l’importance de l’éclairage au sein d’une exposition d’objets d’art. 

En effet, il est notable que jusque dans les années 80, en France, la notion de « conservation préventive » était extrêmement mal connue. Ce faisant, peu d’attention était accordée à ce qui pouvait insidieusement dégrader une œuvre, dont la lumière. 

Jean-Jacques Ezrati, se souvenant d’une exposition rétrospective du peintre J.-M. William Turner qui avait eu lieu dans les années 90 aux Galeries nationales du Grand Palais, raconte dans son article L’éclairage muséographique : il fût présenté au ministre de la Culture comme éclairagiste par le commissaire d’exposition ; le ministre aurait levé la tête vers les éclairages ; et quelques minutes après, l’un des membres de son entourage aurait demandé à J.-J. Ezrati en quoi son travail consistait. 

De plus, une des spécificités de l’éclairage muséal demeure dans le fait que ces musées sont, généralement, eux-mêmes porteurs d’une histoire. L’architecture, souvent très présente et parfois peu épurée, a contrarié le travail de plus grande accessibilité aux publics mentionné précédemment. 

Ce faisant, les éclairages ont permis de segmenter le bâtiment et les œuvres d’art. C’est notamment le cas du musée des Augustins à Toulouse, anciennement une église et un couvent, et transformé en musée des Beaux-Arts après la Révolution française. Il a d’abord été question de supprimer tout caractère religieux du lieu. Cependant, après la seconde guerre mondiale, la valeur du patrimoine est davantage prise en compte et on assiste à une volonté d’obtenir une « vérité historique des monuments » (Simonnot, Nathalie, L’iconographie des intérieurs de musées dans les revus, In Ressenti ambiances émotions, École Camondo 2019).

De plus, il est également aussi possible, au sein d’un musée, de mettre en valeur, par l’utilisation des éclairages, le bâtiment et les œuvres : c’est notamment le cas en Italie, où les plafonds décorés sont éclairés et mis en valeur (Galleria del Cembalo). 

Galleria del Cembalo, Rome


Il y a donc trois tendances qui se bousculent : la volonté d’exposer les œuvres dans le contexte du bâtiment, celle d’effacer le bâtiment au profit des œuvres exposées et celle de créer une synergie entre le contenant et le contenu.

Enfin, il est intéressant de voir que plus qu’éclairer des œuvres d’art, la lumière est parfois l’œuvre en elle-même. En effet, dans la seconde moitié du XXème siècle, nous avons assisté au développement de l’utilisation de la lumière comme matériau à part entière. C’est notamment le cas des artistes appartenant au mouvement de l’op art, qui ont utilisé la lumière et les couleurs vives dans le but de créer de nouvelles expériences perceptives.

L’exposition entre le crépuscule et le ciel d’Ann Veronica Janssens, dans laquelle l’artiste belge joue avec la lumière naturelle, avec cette volonté de créer une émotion différente en fonction de l’éclairage sur ses sculptures ou ses installations. 

Une nouvelle définition d’un art à sa genèse

Ainsi, nous pouvons proposer une nouvelle définition de l’éclairage muséal qui embrasserait ces ambiguïtés : le traitement de la lumière en muséographie est donc un moyen d’expression, un élément d’ergonomie, mais aussi un facteur de dégradation de l’intégrité matérielle des objets présentés. 

Cette nouvelle définition permet de modifier notre rapport à cet art. Car nous pouvons parler d’art dès lors qu’il existe des spécialistes de l’ensemble des connaissances et des règles d’action de l’éclairage muséal. 

Cette profession, comme celle de régisseur d’exposition, est relativement récente et tend à gagner en visibilité, même si aujourd’hui les postes spécifiques restent rares. 

Blanche MEYZEN

Bibliographie :