C’est maintenant officiel, c’est Jacques Audiard et son nouveau film Emilia Perez (en salle actuellement), qui représenteront la France pour l’Oscar du meilleur film étranger.
Emilia Perez, c’est un film haletant, exubérant, fantasmagorique même, et pour lequel Audiard, monument du cinéma français connu pour des films comme Deephan (Palme d’Or à Cannes en 2015) ou encore le multi primé Un Prophète (2009), semble tout à fait sortir de son univers et de sa zone de confort. Mais alors, est-ce que le pari est tenu ?
Emilia Perez, c’est le récit (musical !) et pour le moins rocambolesque de Manitas, un ancien truand de la drogue mexicain qui décide un beau jour de faire appel à Rita, avocate talentueuse, sous-estimée et surexploitée (normal, c’est une femme) pour l’aider à changer de sexe. Une fois transformée, la nouvellement nommée Emilia Perez décide de changer de vie et de mettre à profit sa fortune pour créer une association d’aide aux victimes des cartels (quand bien même elle se trouvait à la tête du plus puissant d’entre eux, à l’époque).
Du cinéma inclusif ET subtil :
Personne ne pourra le nier, Emilia Perez est un film qui a le mérite de visibiliser la transidentité, non seulement à l’écran, mais également dans la réalité, puisque l’actrice qui incarne Emilia, Karla Sofìa Gascòn, est elle-même une femme transgenre, (et accessoirement la première à avoir reçu le prix d’interprétation féminine à Cannes). Néanmoins, outre l’éclat évident d’Emilia, ce film est également une ode à la féminité dans son ensemble et dans toute sa diversité. On constate avec réjouissance que les personnages féminins sont forts, non-stéréotypés, racisés, portant les marques de l’âge ou arborant des corps aux morphologies variées. On admire par exemple la tendresse avec laquelle Audiard filme Emilia et Epifanìa enlacées, en montrant leurs visages légèrement marqués, ou une mèche de cheveux blanchissante.
D’autre part, on peut saluer le travail de mise en scène. Jacques Audiard a choisi pour la première fois de sa carrière de se lancer dans le drame musical. Un pari osé (on aime plutôt associer le chant à la comédie) qui confère au film une densité émotionnelle assez unique. L’espagnol chanté dans la bouche des personnages se fait tantôt épique, tantôt exaltant, tantôt déchirant, le tout sur des airs empreints de rage féminine, de chaleur humaine et chorégraphiés à la perfection. Autant de détails que le réalisateur a su soigner, et qui prouve qu’un film peut être mis en scène par un homme sans pour autant offrir un point de vue “male gaze”. Plutôt rassurant.
Un problème de vraisemblance ?
« Mais l’histoire : elle tient pas debout, nan ? »
Ça c’est l’argument préféré des détracteurs de ce film, mais qui oublie à mon sens l’essentiel.
Certains ricanent du fait que le changement de sexe confère, comme par magie, à ce truand des qualités d’abnégation dignes de la plus pieuse des bonnes sœurs. Et pourtant, deux détails sont ici négligés à mon sens. Premièrement, postuler que la violence de Manitas est un choix est une position simplificatrice et oublieuse du contexte géographique et social dans lequel Manitas a évolué toute sa vie durant. Manitas le dit clairement lorsqu’il se confie à Rita au début du film : il est né dans « la boue » : l’extrême pauvreté, les trafics et la violence qui en découle. Manitas a dû s’imposer en truand pour ne pas en être la victime.
La violence, aussi terrible et condamnable soit-elle (le tout n’est pas d’excuser ses actes, mais bel et bien de les comprendre) n’a pas été un choix exempt de déterminisme. Pour Manitas, il a été affaire de survie. D’ailleurs, en devenant Emilia, une femme, et surtout une femme riche, le personnage est en quête de rédemption. Le fait de passer d’un extrême à l’autre (chef de cartel à cheffe d’association de protection des victimes des cartels) est un choix radical mais aussi nécessaire, le seul qui permettra à Emilia d’obtenir le pardon pour les atrocités qu’elle a commises par le passé.
Deuxièmement, quand bien même les scènes avec une voiture en feu peuvent paraître un peu mélodramatiques, j’ai presque envie de dire qu’on s’en fiche. Regarder un film, c’est avant tout et délibérément suspendre son jugement et son sens de la vraisemblance pour accéder à une forme de vérité toute autre, celle qui réside dans le propos du film.
Emilia Perez est un film qui, en dépit d’un univers très extravagant et éloigné de notre Occident bien sage, m’a profondément touchée et plu en peignant le parcours de femmes belles et fortes et dans une mise en scène à la fois ambitieuse, éblouissante et admirablement maîtrisée.
Courez en salle, vous assisterez à un spectacle aussi invraisemblable que flamboyant, et vous risqueriez même de vous y prendre.
Léa Balson