À propos des grandes villes bouleversées, Sénèque écrit dans ses Épîtres : « Les villes, elles sont destinées à périr, c’est le lot de tous »[1]. Ruines mais pas néant, c’est ce que les archéologues ont révélé de l’exceptionnelle cité antique de Ratiatum (aujourd’hui Rezé) exhumée dans les années 1950 à proximité de la Chapelle Saint-Lupien. Ville la plus au nord de l’ancien royaume des Pictons, elle est une ancienne place commerçante qui faisait face à Nantes, située aujourd’hui à plusieurs dizaines de mètres du Liger (nom latin de la Loire). Or, au fil du temps, le lit du fleuve s’est déplacé, condamnant de fait la cité à une lente décadence commerciale et civique.
Depuis 2005, les fouilles archéologiques assurées dans les années 1980 par l’INRAP (Institut National de Recherches Archéologiques Préventives) sont maintenues et organisées dans le cadre d’une collaboration entre Ophélie de Peretti, archéologue municipale et l’Université de Nantes. En 2017, un centre d’interprétation archéologique baptisé « Le Chronographe » a été construit sur le site. Ce bâtiment en bois de 800 m2 est composé de trois niveaux : un rez-de-jardin consacré aux expositions temporaires et aux ateliers pédagogiques, un rez-de-chaussée présentant l’exposition permanente ainsi qu’une terrasse et un belvédère.
Il faut noter qu’une exposition temporaire de très bonne facture est en ce moment présentée au-dit Chronographe. Réalisée à partir d’œuvres du FRAC (Fonds Régional d’Art Contemporain) Pays de la Loire, elle est consacrée à l’art contemporain autour du thème de l’archéologie.
Le Chronographe est à l’image de la Loire qui l’a autrefois longé, un fleuve à côté duquel le promeneur est amené à flâner, un fleuve que l’on peut descendre ou remonter selon qu’on veuille se plonger dans le passé, ou bien rêver un passé. L’enfouissement dans le sol est une ressource précieuse, rare, sorte de bouteille jetée dans la mer du temps mettant en exergue le rapport important entre le sol et la mémoire. Force est de se demander pourquoi la municipalité de Rezé n’a pas réservé le nom de « Cité radieuse » à sa prestigieuse ancêtre plutôt qu’à sa voisine, l’étron moulé du Corbusier.
Ratiatum, ville florissante et prospère sur les bords du Liger il y a quelques siècles – c’est-à-dire hier – par son exhumation, invite à réfléchir sur la mortalité de nos propres villes qui sont promises au même trépas. Alors que les forces de la nature nous feront ravaler notre morgue, le poète Lucrèce nous enjoint à être prudent et à se prémunir face à l’arrogance. Afin que nous ayons conscience de notre mesure, il nous signifie que tout est destiné à la ruine : « Fiat mundi confusa ruina »[2].
Irénée Dupont, 15 avril 2019
[1]Cf. Sénèque, Épîtres, XCI, 11-12.
[2]« Et le monde ne sera plus qu’une ruine confuse », De la nature des choses, v. 605.