Doit-on encore présenter Sylvain Tesson ?
Ecrivain, essayiste, chroniqueur, romancier, nouvelliste, Sylvain Tesson est avant tout un homme d’action et d’aventure. Il est l’acteur de nombreux voyages, extrêmes ou contemplatifs, dont peut-être lui seul a les clés. Qui aurait assez d’imagination, de fantaisie, de panache, pour entreprendre en side-car dans les pas de la Grande Armée la désastreuse retraite de napoléonienne de Russie sur des milliers de kilomètres ? De poursuivre une chimérique panthère des neiges dans des températures extrêmes sur les plateaux du Tibet ? D’escalader une flèche de pierre de plusieurs centaines de mètres au milieu du désert, ou tout simplement une centaine de fois la flèche de Notre-Dame à Paris ? De traverser la France du Cantal au Cotentin après une chute de 10 mètres de haut, qui le laisse pour mort ?
Un écrivain passionné
Sylvain Tesson grandit en région parisienne et s’oriente après une classe préparatoire littéraire vers une formation de géographe. Il est également titulaire d’un DEA de géopolitique à l’Institut français de géopolitique. Au fil de ses voyages, ascensions, ou aventures en tout genre, il livre sur papier ses rencontres avec les populations locales, ses impressions sur les paysages traversés, ses réflexions sur la société ou le monde en général, mais également des nouvelles fictionnelles ou romanesques.
Ses qualités d’écrivain ne sont plus à prouver : prix Goncourt de la nouvelle et prix de la nouvelle de l’Académie Française en 2009 pour Une vie à coucher dehors, prix Médicis essais en 2011 pour Dans les forêts de Sibérie, prix des Hussards et de la Page 112 pour Berezina en 2015, et prix Renaudot pour La Panthère des Neiges en 2019… qui en font déjà un écrivain incontournable de notre époque (et des suivantes !)
Ses oeuvres majeures
L’axe du Loup (2004) est un récit de voyage où Sylvain teste la véracité du récit de Slawomir Rawicz (A marche forcée) qui retrace « le chemin des évadés » du goulag. Il part de Iakoutsk en Sibérie, rejoint le Baïkal, la Mongolie, parcourt le désert du Gobi en cheval et en vélo, traverse le Tibet et atteint Calcutta en Inde. Il utilise de très rares fois une 4×4.
Dans les forêts de Sibérie (2011) raconte l’ermitage de l’auteur en Sibérie, vivant dans une cabane de la pêche, de la chasse, et de vodka. Il partage ses lectures, et ses pensées autour de l’immensité du destin humain, ou des pages sur les descriptions magnifiques des paysages sibériens.
Berezina (2015) est une perle de fantaisie. Sylvain refait en side-car la désastreuse retraite de Russie de l’armée napoléonienne de 1812.
Sur les chemins noirs (2016) retrace la rééducation de Sylvain à la suite d’une chute accidentelle de près de 10 mètres alors qu’il escaladait en état d’ébriété le chalet d’un ami. A peine remis d’un coma -et toujours victime de séquelles graves- le narrateur entreprend de traverser la France du Cantal au Nez de Jobourg en Normandie. C’est l’occasion pour lui de (re)découvrir la France tout au long d’un cheminement psychologique.
S’abandonner à vivre (2014) est un admirable recueil de nouvelles fictives (et parfois inspirées de faits réels de la vie de l’auteur ?) qui font traverser au lecteur le temps et l’espace à travers le récit de destinées brutes, tragiques qui soulignent la fragilité et la gloire de l’existence humaine.
La panthère des neige (2019) est le récit de la traque d’une panthère des neiges au Tibet dans le but de la photographier. Vont-ils l’apercevoir ? C’est également l’occasion d’un reportage photographique pour les amis que Sylvain accompagne.
Style littéraire et esthétique d’écriture
La grande majorité des œuvres de Sylvain Tesson sont des récits de voyages ou des nouvelles qui mêlent descriptions de paysages (notamment du Grand Nord russe), nécessités de survie, et réflexions sur la société, l’espace, le temps, le monde, la modernité. Certaines sont également l’occasion d’introspections plus ou moins poussées.
En plus d’un don évident pour emporter son lecteur dans des histoires particulières et pour souligner avec un décalage qui lui est propre le tragique et la beauté de l’existence et du monde, Sylvain Tesson a l’art subtil de disséminer des aphorismes et des pensées au fil de ses récits qui ajoutent encore à la densité légère et poétique de son écriture.
Par exemple dans Berezina : « J’avais sur la tête une réplique du couvre-chef impérial, celle qu’on trouve dans les asiles de fous et que j’avais décidé de ne plus quitter pendant notre campagne. J’ai toujours cru aux vertus de la coiffe. Dans les temps antiques le chapeau faisait l’Homme. Il en va encore ainsi dans l’Orient : ce que vous portez sur la tête vous identifie. L’un des symptômes de la modernité était de nous avoir fait aller dans la rue tête nue. »
Ou, plus loin : « Le lendemain, à 8 heures, nous étions dans un garage derrière la gare de Iaroslav. Il faisait sombre, l’air puait le goudron froid. Moscou rugissait déjà comme une monstrueuse machine à laver les âmes. Le boue poissait les rues, le ciel, le moral. Les automobilistes se ruaient vers les embouteillages. Des congères flanquaient les trottoirs. Il y avait certainement des cadavres d’ivrognes sous la neige. Au printemps, ils réapparaîtraient. En Russie, on les appelait « les perce-neige », ils annonçaient les beaux jours avec autant de fiabilité que les oiseaux migrateurs. Nous avions eu du mal à atteindre l’endroit. »
Etienne Gresset
Pour en savoir plus
L’axe du Loup, éditions Robert Laffont, 2004s
Dans les forêts de Sibérie, éditions Gallimard, 2011
S’abandonner à vivre, éditions Gallimard, 2014
Berezina, éditions Guérin, 2015
Sur les chemins noirs, éditions Gallimard, 2016
La panthère des neige, éditions Gallimard, 2019