A24, un indépendant qui compte

La société de production indépendante nord américaine est une nouvelle fois sous les feux des projecteurs après avoir raflé neuf des statuettes dorées tant convoitées par les grands noms du cinéma. Avec pas un mais trois films en compétition « The Whale », « Everything everywhere all at once » et le film  d’animation « Marcel the Shell with shows on » A24 a volé la vedette à des sociétés stars comme Netflix, Paramount Pictures ou encore 20th Century Fox en remportant les prestigieux prix du meilleur film, meilleur scénario original, meilleur réalisateur, meilleur acteur, meilleur acteur dans un second rôle, meilleure actrice, meilleure actrice dans un second rôle, meilleur montage et meilleur maquillage et coiffure. La critique d’ailleurs reconnaît le talent du studio à soutenir des projets tout aussi farfelus qu’audacieux.

Mais alors, c’est quoi la marque de fabrique A24 ? Son influence va-t-elle se faire ressentir dans tout Hollywood et la production cinématographique dans le futur ? Le petit studio artsy est-il parvenu à se hisser parmi les grandes et révérées familles de magiciens des salles obscures ?

La genèse du studio: une histoire hors du commun

Le nom de la société peu évocateur est aussi unique car complètement déconnecté du cinéma. La légende raconte qu’un des créateurs aurait pensé à créer sa société en conduisant sur l’autoroute A24 en Italie… vous avez compris l’idée. 

Tout commence il y a sept ans en 2012 lorsque David Fenkel et Daniel Katz décident de créer le studio qui ne produit pas encore à ce moment là, la société A24 est une société de distribution. Mais déjà les deux hommes marquent leur différence en distribuant des films à petits budgets aux scénarios originaux comme « Spring Breakers de Harmony Korine » (le film qui avait réussi à réunir Vanessa Hudgens, Selena Gomez et James Franco méconnaissable en gangster à dread rocks pour ceux qui auraient oublié) « The Bling Ring » de Sofia Coppola (le seul film où on déteste le personnage d’Emma Watson) ou encore « Spectacular Now » réalisé par James Ponsoldt (Shailene Woodley et Miles Teller révélés dans Divergente partagent l’écran de cette histoire d’amour un peu déprimante mais touchante).

Ces films sont nominés à de nombreux festivals et sont acclamés par la critique, récompensant les choix osés de Fenkel et Katz. En 2015, le studio commence son activité de production. Son film « Moonlight » réalisé par Barry Jenkins remporte l’oscar du meilleur film, en quelques années seulement A24 est entré dans la légende et on le sait aujourd’hui, est parvenu à y rester.

Des producteurs proches des cinéastes

En plus de leur flair infaillible à trouver des gemmes du cinéma d’auteur américain, les deux cinéphiles derrière A24 sont différents de certains de leurs homologues qui lorsqu’ils ne manquent  pas de professionnalisme (hum-hum Harvey Weinstein), sont beaucoup moins passionnés par le cinéma qu’eux. C’est de là que vient la fameuse marque de fabrique A24 selon les créateurs, ils ont crée cette société parce qu’ils aimaient « le cinema et les cinéastes », pas pour générer à tout prix du profit. Cette idée qui pourrait sembler un peu naïve à priori fonctionne pour eux, leur éthique de travail et leur désir de faire évoluer le cinéma vers un courant libéré des modèles stéréotypés imposés par les grands studios hollywoodiens depuis plusieurs décennies attire un grand nombre d’artistes.

Ils ont d’ailleurs plusieurs pensionnaires qui réalisent plusieurs de leurs films chez eux, on peut penser à Ti West à l’origine des films « X », « Pearl » et dont le prochain film « MaXXXine » sortira bientôt en salle. Un des nouveaux maîtres de l’horreur Ari Aster à qui on doit les très perturbants « Midsommar » et « Hereditary » et dont le prochain film « Beau is afraid » toujours produit par A24, met en scène le nouveau Joker de notre ère Joaquin Phoenix. Je n’ai énoncé que des réalisateurs, mais la parité est² bien là chez A24, ils soutiennent également de nouvelles voix du cinéma d’auteur indépendant féminin comme Greta Gerwing, Charlotte Wells et même la réalisatrice française Claire Denis.

Des créateurs loin de la célébrité

L’anonymat relatif des créateurs du studio par le grand public est une autre particularité qui permet au studio de briller. Dans un article sur la percée fulgurante d’A24, le magasine américain Vanity Fair avoue avoir bataillé longtemps avant d’obtenir des producteurs une entrevue. Ils ne souhaitent pas être sous les feux des projecteurs car pour eux les stars de leurs studios, ce sont leurs films et rien d’autre. Dans une industrie régie par le stars system, cette recherche de l’anonymat est intrigante, mais ce qui est certain c’est que leurs productions ne manquent pas de stars elles :  Des jeunes talents comme Saoirse Ronan, Florence Pugh ou Paul Mescal révélés dans « Lady Bird », « Midsommar » et « Aftersun » respectivement rejoignent le club des acteurs révérés comme Nicolas Cage, Joaquin Phoenix ou Tilda Swinton qui prennent part eux aussi à des films A24.

Enfin, A24 a su rentabiliser sa popularité en créant ou distribuant des contenus de qualité diverses, on parle de films mais ils sont aussi derrière de séries comme le phénomène « Euphoria » ou Beef qui est disponible sur Netflix depuis quelques jours. En 2018, la société a aussi crée son propre podcast où sont invité de prestigieux intervenants comme Martin Scorsese ou Michelle Yeoh la star de Everything everywhere all at once. En tant qu’élève en école de commerce, nous devons aussi leur reconnaître une stratégie marketing extrêmement bien pensée. Il existe toutes sorte de goodies à l’effigie de la marque devenue culte : casquette, t-shirt, livres illustrés, posters ou autres accessoires indispensables aux mordus de cinéma qui aiment le montrer comme des tote bags par exemple. Fidèles à leur habituelle singularité, la boutique d’A24 comprend aussi des objets plutôt originaux.

Une communication fraîche et efficace

Dès les années 2010, ils ont compris comment toucher les jeunes sur les réseaux avec des publications décalées et humoristiques se basant sur des références pop culture. Ils créent des memes, des faux comptes Tinder pour leur personnages et optent pour des teasers conceptuels plutôt que des bande-annonce onéreuses à diffuser à la télé. Ils savent aussi jouer sur la célébrité des stars qui jouent dans leurs films, par exemple pour Good Times avec Robert Pattinson, ils impriment sa tête sur des cartons de pizzas qu’ils distribuent dans les rues gratuitement… bizarre mais ça marche.

Pas autant que les blockbusters des grandes boîtes de l’époque qui brassent des millions et dépensent autant en campagnes marketing, mais les campagnes d’A24 marquent les esprits et visent un public bien précis : les adolescents et les jeunes adultes. Ils sont conscients que tout ne peut pas marcher et misent sur ce qui peut attirer du monde sans se priver de produire ou distribuer des films qui leur plaisent. Sur les 68 films de leur catalogue, seuls une dizaine sont connus du grand public, leur plus gros bide est un film qui a fait moins de 5000 euros de recettes mais leur plus gros succès a fait rentrer 70 millions dans les caisses… ça vaut donc le coup de prendre des risques pas vrai ?

A24 un nouveau modèle de success story ?

Pour conclure, A24 est une société qui est partie de rien mais qui a réussi à s’imposer sur la scène Hollywoodienne et gagner un oscar à peine 3 ans après sa création. Un record dans l’industrie, la société de Weinstein Miramax qui était le modèle de la réussite dans les années 1990-2000 a mis 20 ans avant d’avoir un film récompensé aux Oscars. Cette réussite est le résultat de la dévotion de ses créateurs qui ont su choisir leurs projets non pas comme des commerciaux qui jaugent la potentielle réussite d’un produit mais comme des auteurs qui sont touchés par une histoire originale. Ils n’ont pas mis de côté le volet commercial indispensable pour qu’une start-up prospère : marketing ciblé et films truffés de stars ou équipes reconnues dans le milieu.

C’est là que je mets de la distance avec ce conte de fées hollywoodien, A24 n’est pas devenue un succès seulement parce que des gens intelligents ont su choisir des bons projets, ce sont des gens qui connaissent le milieu et les codes à respecter pour s’élever rapidement. Les créateurs se sont rencontrés dans une boîte de production où ils travaillaient ensemble avant de partir solo pour  l’aventure entrepreneuriale.

A proximité de différentes institutions et acteurs du monde de la culture

Dernier détail important, bien qu’ils soient à la tête d’un studio indépendant, ils ont pu se lancer pour créer leur société grâce à la donation généreuse d’une ancienne boîte de production où l’un des créateurs travaillaient : Guggenheim Partners. Donc dire qu’ils sont partis de rien et que n’importe qui avec le même rêve pourrait reproduire le même miracle est faux (aïe l’histoire a perdu un peu de ses paillettes je sais). Mais quand bien même, leurs parcours n’enlèvent rien à leur persévérance car même quand on connaît du monde et les codes, il faut de l’acharnement et de la chance pour parvenir à ne pas être juste un effet de mode et créer sa marque dans un environnement très compétitif.

Est-ce qu’ils vont révolutionner l’industrie cinématographique durablement ? En tout cas la reine des stars-up Apple parlait de racheter la société au nom d’autoroute en 2021 pour plusieurs millions, mais toujours pas d’annonces officielles pour le moment. Évidemment le studio a pris de la valeur et tout le monde cherche à posséder son identité schizophrène presque, qui allie parfaitement le tendance et l’étrangeté. Pour le reste, on ne peut faire que spéculer et espérer que leur présence sur le marché encourage plus de jeunes artistes aux visions moins conformistes de trouver des sanctuaires créatifs bienveillants et des publics partageant cette envie de voir autre chose que des films de super-héros au cinéma (même si les films de super-héros c’est très sympa aussi bien sûr).

Aliénor Malevergne

SOURCES :

Site officiel : https://a24films.com

Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/A24

Article de Vanity Fair France de mars 2019 écrit par Jockey Golberg intitulé A24, « La jeune société de distribution qui bouleverse le cinéma américain »  : https://www.vanityfair.fr/culture/ecrans/story/article-mag-a24-la-jeune-societe-de-distribution-qui-bouleverse-le-cinema-americain/5297

Article de journal Les Échos du 23 mars 2023 écrit par Marina Alcaraz intitulé « Les oscars remettent un coup de projecteurs sur le studio indépendant A24 » : https://www-lesechos-fr.audenciagroup.idm.oclc.org/tech-medias/medias/les-oscars-remettent-un-coup-de-projecteur-sur-le-studio-independant-a24-1914794