Analyse de Ma vie avec John F. Donovan, de Xavier Dolan

Le huitième long-métrage de Xavier Dolan, The death and life of John F. Donovanest sorti le 13 mars 2019. L’association de cinéma d’Audencia Les Hallucinés a proposé le film aux étudiants lors d’une projection au Katorza. Nous sommes donc allés le visionner pour en faire l’analyse.

Le film ne nous a pas surpris. Les thèmes abordés font écho à ses précédents films. Certaines séquences du long-métrage semblent déjà vues dans la filmographie de Xavier Dolan. La mise en scène ne déroge pas au style caractéristique du réalisateur, césarisé trois fois à seulement 29 ans.

Nous allons tenter de mettre en lumière les similitudes et les différences que l’on peut observer dans Ma vie avec John F. Donovan. En comparaison aux deux films précédents de Xavier Dolan : Juste la fin du monde (2016) et Mommy (2014).

Un drame humain qui se sert de mécaniques efficaces pour susciter l’émotion.

Comme pour Mommy et Juste avant la fin du monde, Dolan joue avec une grande palette de sentiments. Ma vie avec John F. Donovan présente des scènes tristes (comme la lecture de la dernière lettre de Jon), comiques (quand Rupert enfant regarde son feuilleton avec John à la télévision). Mais aussi des scènes engagées ou encore romantiques. Dolan a bien compris que pour transmettre des émotions, il faut savoir jouer sur plusieurs cordes. Les protagonistes présentent tous des douleurs profondes. Tout cela crée un attachement presque immédiat à ces « under dogs ».

Les relations qu’ils entretiennent avec leurs proches sont en dents de scie afin qu’ils puissent apparaître à l’écran en colère, tristes, songeurs, joyeux, coupables ou encore déçus. La direction des acteurs est d’ailleurs millimétrée pour que chacune de leurs émotions soient amplifiées à l’écran. (John s’approche et prend la main de sa mère avant de lui déclarer son amour). Les dialogues sont très explicites et viennent compléter le jeu des comédiens. Au niveau de la mise en scène, le réalisateur n’hésite pas à faire durer un plan chargé émotionnellement de longues secondes. Aussi, il utilise parfaitement la musique pour renforcer les émotions véhiculées par les images.

Le film présente des personnages principaux et des thèmes caractéristiques des films de Dolan.

Les deux protagonistes se sentent rejetés par leurs semblables. Ils sont différents et en souffrent. On décèle chez eux une profonde solitude et un manque cruel d’affection. Leurs cadres familiaux sont ternes et dépeints sans concession par Dolan. On pense à la première fois que John va chez sa mère avec tous ses oncles. John et Rupert ont la sensation de ne pas être compris et surtout de ne pas être aimés. Ils cherchent à être accepté, à vivre comme ils le voudraient. Ces caractéristiques sont typiques des protagonistes des films de Dolan. A l’aide de scènes intimistes et de gros plans successifs, Dolan nous plonge toujours dans l’intimité de ses personnages, dont la souffrance est universelle. Qui ne s’est jamais senti rejeté ou mal aimé ?

Dans Ma vie avec John F. Donovan, John n’assume pas son homosexualité, il a du mal à être compris par les gens de sa sphère professionnelle qu’il finit par délaisser. Il a de mauvaises relations avec sa famille et entretient une relation inégale avec sa mère. On ne peut pas s’empêcher de comparer John avec le personnage de Louis dans Juste la fin du monde. Comme John, il a réussi sa carrière professionnelle et cela a créé un fossé qui semble insurmontable avec sa famille. Il a lui aussi une relation compliquée avec sa mère. Il a du mal à avouer son homosexualité et c’est un homme que personne ne semble capable de comprendre. Ils sont tous deux esseulés. John finira par mourir d’overdose et Louis partira sans être parvenu à dire à sa famille qu’il était condamné. Le parallèle entre Rupert et Steve (Mommy) est tout aussi frappant.

Des références à la culture populaire sont omniprésentes dans le long-métrage.

La manifestation la plus évidente de cette caractéristique est la bande originale du film. Ma vie avec John F. Donovan se sert de reprises de véritables tubes planétaires comme le fameux Stand by me de BB King. Puis on peut remarquer que les vêtements et les décors ne sont absolument pas originaux. Tout ce qu’il y a de plus commun aujourd’hui. Les vêtements que Rupert et sa mère portent pourraient être ceux qu’on trouve à Zara ou H&M en solde. Les dialogues des personnages sont souvent empreints de vulgarité, ce qui est plutôt rare pour un drame d’auteur s’attaquant à des thèmes aussi sérieux que les relations mère-fils ou les discriminations liées à l’homosexualité.

Enfin, il y a des références qui ne trompent pas. John est interprété par un acteur ayant connu une renommée foudroyante après avoir joué le personnage principal d’une série télévisée. Comme par hasard, il est interprété par Kit Harrington , vedette de Games of Thrones.

Une nouvelle fois Dolan a su cultiver un certain mystère.

Une fois n’est pas coutume, nombre de questions restent sans réponse à la fin de Ma vie avec John F. Donovan. On ne sait pas pourquoi John s’est suicidé, on a du mal à cerner le personnage, mais surtout on ne peut pas réellement savoir si la correspondance est réelle ou factice. A part la mère de Rupert, personne ne semble réellement y croire : ni la maîtresse d’école de Rupert enfant, ni l’agent artistique de John. Comme dans ses deux précédents films, le réalisateur a volontairement entretenu un écran de fumée autour de son intrigue et de ses personnages.

Une réalisation qui reste la marque de fabrique du réalisateur québécois.

Des plans longs et contemplatifs, des acteurs filmés de près, des inserts sur les détails d’un vêtement, des cartons noirs de plusieurs secondes entre certaines scènes, des cadres soignés. Voilà tout ce que l’on retrouve une nouvelle fois dans le huitième long-métrage de Dolan. Même si l’ambition de ce film dépasse ses précédentes œuvres comme Dolan le dit lui-même, le réalisateur n’a pu s’empêcher de répéter quelques réflexes qui lui sont propres. L’utilisation de la musique est typique : une musique extrêmement célèbre va constituer un fond sonore (son extra diégétique) pour une scène de retrouvailles, et, une fois les dialogues passés, elle va passer au premier plan (son in). Cet exemple est à peine caricatural.

De même, Dolan joue dans son dernier film avec les couleurs comme si son film devait absolument présenter toute une palette de couleur picturale. On se souvient dans Juste avant la fin du monde, le maquillage de la mère très bleu ou encore le flashback de l’amour passé de Louis dans une teinte rougeâtre. On retrouve également dans Ma vie avec John F Donovan une scène ou la mère de Rupert (magnifiquement interprété par Nathalie Portman) se demande comment se maquiller dans un éclairage si bleu et une scène de sexe entre John et son amant dans laquelle les lumières sont très rouges.

La structure du film crée cependant la surprise et constitue plutôt une prise de risque.

Mommy et Juste la fin du monde se construisaient sur des structures linéaires. L’enchaînement des actions obéissait aux règles de causalité, et par conséquent du déroulement du temps. La mécanique était d’ailleurs enclenchée par des perturbations bien précises. Il faut aller chercher Steve qui est viré de sa maison de redressement, désormais il sera soit avec sa mère soit en asile. Louis est condamné, il faut maintenant qu’il se réconcilie avec sa famille afin de mourir en paix. Dans Ma vie avec John F. Donovan, ce n’est pas le cas. Le film est un long flashback qui évolue à partir des souvenirs que Rupert adulte décrit en interview. On suit ainsi deux trajectoires différentes à partir des dires du comédien. Les actions ne répondent donc pas obligatoirement aux règles de causalité, et encore moins au déroulement du temps.

Une scène concernant la vie de Rupert peut très bien apparaître dans le film après une scène avec John, alors que les deux moments se sont déroulés en même temps. D’ailleurs, l’exposition ne comprend pas d’éléments perturbateurs. Dolan choisit ici de lancer son film sur le modèle de la catastrophe irrémédiable. Tout le mode sait dès les premières images que John va mourir et que Rupert en sera contrarié. On suit dès lors le film pour comprendre cette fameuse catastrophe irrémédiable. C’est une technique efficace pour tenir le spectateur en haleine. La structure bien que similaire en apparence à celle de son premier long-métrage Laurence anyways(2012), est bien plus complexe, présentant des jeux de miroir osés entre les vies de Rupert et John.

Conclusion

Pour son premier film en langue anglaise avec un tel casting hollywoodien, Dolan a décidé de mettre les bouchées doubles. Le film est le fruit d’un travail long de plus de deux ans. « C’est mon film le plus abouti, le plus personnel » a déclaréle réalisateur deMommy. On retiendra surtout la deuxième partie de la phrase, qui apporte un argument de plus pour expliquer en quoi Ma vie avec John F. Donovan reste si caractéristique de la filmographie de Dolan. Le film rassemble toutes les obsessions du réalisateur québécois et même une bribe de son histoire personnelle, puisque Dolan a lui-même écrit enfant une lettre à son idole Leonardo DiCaprio.

Nous nous sommes cependant lassés du traitement de ces obsessions par le cinéaste. Dolan colle toujours trop à ses personnages, caractérisations des thématiques chères au réalisateur. Cela laisse très peu de place à la peinture des systèmes qui les broient (le show-business et l’école anglaise ici) et à des mouvements de caméra plus libres (plan séquence, traveling, plans général et d’ensemble). Une anecdote caractérise nos avis personnels sur ce film : l’actrice Jessica Chastain, prévue pour jouer le rôle d’une rédactrice en chef voulant détruire John, a été coupée entièrement au montage. Il s’agissait pourtant d’un des rôles principaux. Rien qu’à voir son rôle, on pourrait penser que Dolan s’aventurait hors de sa zone de confort, risquant une intrigue avec des personnages différents et une véritable critique de notre société médiatique. Non. Dolan a fait du Dolan. Le long-métrage reste un bon film à visionner, mais notre frustration est réelle.

Cet article n’engage que nous : Quentin Flaba et Thibaud Feuillet.

Pour l’autre article de la semaine, c’est ici !

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