Artemisia Gentileschi est une artiste italienne du 17e siècle et l’une des premières femmes peintres qui a gagné sa vie à la force de son pinceau. A cette époque, beaucoup de femmes étaient peintres mais elles ne pouvaient pas faire carrière sans le consentement d’un homme. Il était donc très difficile pour elles de se faire reconnaître. Artemisia Gentileschi est la première femme à se libérer d’une tutelle masculine pour faire carrière.
Il faut néanmoins comprendre qu’Artemisia n’est pas une exception en soi, qu’il y avait d’autres femmes artistes à l’époque. Beaucoup d’entre elles s’imposent dans une carrière artistique et ont travaillé dans l’atelier familial. A cette époque, les Académies sont des lieux de réflexion et non pas des lieux d’enseignement. La formation se fait entièrement en atelier.
Contrairement aux idées reçues, à la fin du 18e siècle, les femmes étaient autorisées à pratiquer leur art dans des ateliers. Elles commencent même à pratiquer le nu et l’histoire, deux concepts qu’on attribue souvent au Grand-Art qui a longtemps exclut les femmes. L’histoire n’est donc pas linéaire. Les femmes n’ont pas eu d’un jour à l’autre accès à l’école des Beaux-Arts. Il y a des périodes ponctuelles où elles ont eu accès à l’étude du nu et ont pratiqué la peinture d’histoire.
Vivre en tant que femme peintre au 17e siècle : le passé lourd d’Artemisia Gentileschi
Artemisia a commencé la peinture avec son père Orazio Gentileschi, peintre très respecté en son temps. Comme beaucoup de jeunes filles, Artemisia devait peindre dans l’atelier familial et avait interdiction de sortir, car son père craignait qu’elle ne tombe dans la prostitution.
Un jour pourtant, Orazio demanda à son associé, Agostino Tassi, d’enseigner à Artemisia les techniques de la perspective. Il devient alors son maitre de peinture. En 1611, Agostino convint Orazio de le laisser seul avec sa fille pendant leur leçon et en profita pour la violer.
Pour éviter tout scandale, Artemisia lui demanda alors de se marier avec lui. Dans la confusion du moment, il accepta. Orazio lança quant à lui un procès contre son ancien associé. Malheureusement, Agostino nia le viol et c’est finalement la promesse brisée du mariage qui sera reconnu contre lui. Le procès ne sera jamais reconnu comme un viol mais comme une simple « défloration ». Peu après, Artemisia se maria avec un peintre florentin, Perantonio Stiattesi, et se réfugia à Florence.
Une peintre influente malgré le poids de la stigmatisation
Après cet épisode, en 1616, Artemisia fut la première femme à entrer à l’Académie du dessin de Florence et devient par la suite une des peintres les plus influentes de Florence.
L’histoire de l’Art montre que les femmes sont redécouvertes en tant qu’artistes grâce à leur réseau. En effet, apprendre à peindre, ce n’est pas seulement peindre, mais aussi apprendre les stratégies de carrière. Artemisia est un de ses exemples en devenant une femme d’affaire, une femme de réseau. Elle dirige à la fois sa peinture et son atelier et écrit un bon nombre de correspondances avec des collectionneurs, des poètes, etc.
Pourtant, son art resta souvent stigmatisé à la fois pour son genre et pour son passé. C’est d’ailleurs par l’autoportrait qu’elle exprima très souvent son combat contre les stigmates de son époque.
Son art est très proche de celui de l’artiste baroque Michelangelo Merisi de Caravaggio, plus connu sous le nom du Caravage en France. On peut voir dans ses peintures des personnages cadrés à mi-corps sur fond noir. Elle utilise des contrastes entre la lumière et l’obscurité profonde et ses personnages sont particulièrement réalistes.
Vers 1612, Artemisia peint Judith décapitant Holopherne, œuvre qu’elle tire de la bible où Holopherne menace de détruire la cité de Judith. Cette œuvre représente le général assyrien Holopherne renversé sur un lit avec deux femmes, Judith et sa servante. On y voit Judith lui couper la tête après que celui-ci se soit assoupi d’ivresse (il n’est pas possible de trouver cette œuvre en libre de droit).
Souvent, dans les tableaux du Caravage, Judith est représentée comme une femme violente. Artemisia en fait, quant à elle, un personnage plus sympathique. Elle recréée le thème notamment par la complicité qu’on perçoit entre les deux femmes. De plus, la servante est une jeune femme alors que les servantes sont généralement âgées dans les peintures de son temps. On pourrait penser que cette peinture a une double signification, peut-être une vengeance contre son viol passé.
Pourquoi Artemisia Gentileschi a-t-elle été oublié ?
Après sa mort, peu de gens se souviennent d’Artemisia Gentileschi. Il faudra attendre le début du 20e siècle, avec la parution d’un essai de l’historien italien Roberto Longhi, pour que son art soit de nouveau reconnu. Pour la première fois dans l’histoire de l’art, ce n’est pas l’artiste qui est reconnue dans cet ouvrage mais l’art en tant que tel.
L’épisode du viol passe au second plan et ce sont davantage les formes, le style, l’art en tant que tel qui est mis au premier plan. C’est une avancée majeure dans l’histoire sociale, car on ne réduit plus l’artiste à sa biographie mais à son œuvre.
Néanmoins, pourquoi Artemisia Gentileschi a-t-elle été oubliée de l’histoire ? L’histoire de l’art s’est imposée comme une discipline à partir du 16e et attribue l’invention à l’esprit. A cette époque, on attribue l’esprit à la virilité. Les femmes, qui sont encore caractérisées par la matière, sont donc exclues de l’esprit et donc de l’Histoire de l’Art. Elles sont cantonnées à peindre des scènes privées, personnelles, à la peinture d’objets et de scènes familiales. Elles peuvent aussi réaliser des portraits. Beaucoup d’entre elles se sont autoreprésenter comme l’a beaucoup fait Artemisia.
Cette volonté de s’autoreprésenter a beaucoup évolué. A partir du 16e, cet usage est très pratiqué par les hommes mais plutôt en fin de carrière quand leur reconnaissance est acquise. Pour les femmes, la pratique de l’autoportrait est une manière de s’affirmer en tant que peintre et leur permet de revendiquer une reconnaissance. Comme Artemisia, beaucoup d’entre elles se sont représentées en allégorie de la peinture. Comme leur talent n’est pas reconnu de façon immédiate, l’autoportrait représente un véritable combat pour elles.
Finalement, y a-t-il réellement une histoire genrée ? Dans la littérature du 16e et du 17e siècle, c’est encore le cas. Par exemple, le maniérisme toscano-romain est considéré comme plus viril que le maniérisme vénitien qui utilise la couleur, l’indétermination de la touche, le cosmétique, la tromperie. Mais un artiste masculin peut avoir un style féminin. De tout temps, il faut savoir réintroduire de la complexité dans cette question. Il n’y a pas de tendance féminine dans l’art, l’histoire de l’histoire de l’art n’est pas linéaire.
Coline Gense