Après avoir été délaissé par les utilisateurs avec l’arrivée des formats compressés dans les années 80, le vinyle fait son grand retour dans le monde de la consommation de la musique. Les chiffres sont sans appel : en 15 ans, les ventes aux USA sont passées de 900 000 à 19 millions d’unités vendues par an (Nielsen & Billboard) . En Allemagne sur la même période, nous enregistrons une augmentation de plus de 1000% (Bundesverband Musikindustrie). Comment expliquer cet engouement pour ce format pourtant délaissé il y a 40 ans ?
Un retour indéniable du vinyle : une affaire générationnelle ?
La première hypothèse est que les ventes seraient dues aux nombreux nostalgiques des années 70, lorsque les vinyles étaient les rois. Néanmoins, une récente étude de la SNEP publiée en juin 2020, nous montre la répartition par tranche d’âge des acheteurs de vinyles en France.
Cette étude montre que la part la plus importante d’acheteurs se situe chez les moins de 30 ans. Même si beaucoup sont sûrement nostalgiques des grandes années du rock’n’roll, ils ne peuvent pas intrinsèquement être nostalgique de cette époque. L’origine du retour du vinyle trouve donc son explication autre part, même si cette hypothèse doit y participer légèrement.
Le disque microsillon face au streaming : de concurrencé à concurrent
L’explication de ce retour en force du vinyle ne se trouverait-elle pas plutôt dans son exact opposé, le streaming ? Ces dernières années, la progression du nombre de streams a explosé pour battre tous les records. L’étude réalisée au Pays-Bas par NVPI montre les parts des revenus de l’industrie musicale par type de consommation.
Par ailleurs, l’institut de statistique Statista vient de publier une étude montrant la croissance du nombre total d’utilisateurs des plateformes de streaming dans le monde et les prévisions pour les prochaines années.
À la vue de ces données, on comprend bien mieux les habitudes de consommation d’aujourd’hui : nous faisons face à une digitalisation extrême de nos contenus musicaux. Cela pousserait certains à s’orienter vers le vinyle pour rematérialiser leur bibliothèque afin de retrouver la sensation d’écouter de la musique réelle. Il est vrai qu’écouter de la musique est devenu très simple et peut-être même trop simple. On a désacralisé le travail de l’artiste jusqu’à en perdre la notion d’œuvre d’art. Finalement, consommer du vinyle, ne serait-il pas le meilleur moyen de combattre cette musique trop souvent devenue jetable ?
De plus, tout audiophile vous dira la même chose : la qualité audio du streaming n’est en rien comparable avec l’analogique. Et on ne peut pas leur donner tort. Sur les plateformes de streaming, le média est compressé au maximum en plus de subir toutes sortes d’interférences, de pertes et de compressions lors de ces allers-retours entre les serveurs pour finalement être joué sur une enceinte de qualité moyenne en Bluetooth. Les fichiers ressortent plats, sans largeur de scène ni de profondeur. Ce mode de consommation va évidemment à l’encontre de l’essence même des amoureux de la musique : où sont passé les fiches en or ? Le vinyle, c’est retrouver cette authenticité du crépitement des microsillons, du côté solennel de l’écoute d’un contenu de qualité mais aussi le retour d’une activité perdue : écouter de la musique.
Attention, nous ne critiquons en aucun cas le streaming qui permet d’obtenir toutes les dernières sorties rapidement. Il ouvre également des opportunités à tant de jeunes artistes. Pour l’utilisateur, ce système est plus pratique au quotidien. De plus cela permet de réduire au maximum les écoutes illégales et permet donc aux musiciens de percevoir le vrai fruit de leur travail. Néanmoins, on sait que les artistes ont besoin d’un nombre conséquent d’écoutes pour pouvoir vivre de leur passion.
Plus qu’un support audio, un objet de collection
De ce postulat, une dernière hypothèse, qui pourrait expliquer l’augmentation des ventes de vinyles, se dégage. L’idée est que les auditeurs se procureraient majoritairement leurs albums favoris pour le plaisir de l’écoute mais aussi par geste altruiste envers l’artiste qui leur a créé l’œuvre. Ainsi, le consommateur donne une participation bien plus importante à l’artiste et ce dernier bénéficie d’un revenu bien supérieur pour son travail. Il est ainsi fréquent que les artistes publient des éditions limitées plus onéreuses pour attirer les fans les plus extrêmes et ainsi générer plus de revenus.
Mais alors pourquoi les ventes de CD ne connaissent-elles pas le même essor ? A la différence du CD, le vinyle jouit d’une certaine popularité par son aspect esthétique mais aussi grâce au retour sur le devant de la scène du style « vintage ». Certains LP (long play ou 33 tours) sont de véritables œuvres d’arts et renferment même parfois des surprises. Comme cette compilation ci-contre signée par le label Ed Banger. A l’ouverture, on découvre alors un véritable flipper musical. Ces petits plus font toute la différence entre écouter une musique en streaming et écouter un vinyle. Un second exemple qui traduit parfaitement l’idée d’objet de collection est la compilation des 4 EP d’Etienne de Crécy ci-dessous qui, une fois réunis, forment une illustration. Ce côté « objet de collection » démarque une nouvelle fois le vinyle des autres modes d’écoute et rajoute de l’intérêt à ce type d’enregistrement.
Ces points singuliers sont les principales raisons qui expliquent le retour du vinyle. Et enfin, si vous vous demandez si nous sommes en train d’écouter un vinyle en écrivant ces lignes, la réponse est dans le titre !
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© Laurent Seroussi (1998)
Mathis Granger
Sources :
Breakdown of vinyl records sale revenue in France in 2019, by age of the buyers, SNEP, juin 2020
Distribution of music industry revenue in the Netherlands in 2019, by category, GfK Entertainment, NVPI, février 2020
Record sales volume (vinyl LPs) in Germany from 2003 to 2019, GfK Entertainment, Bundesverband Musikindustrie, avril 2020
Digital music, Digital media report 2020, Statista, décembre 2020