Guignol : gone des traboules ou cabotin pour marmots ?

Ma première fois avec Guignol : une rencontre spectaculaire

Juin 2003. Par un beau samedi ensoleillé, ma mère nous emmène au parc de la Tête d’Or. Mon frère et moi, tout gones* que nous sommes, s’extasions devant des bestioles que l’on croise rarement à Lyon par-delà les grilles du parc : des crocodiles, des lions, des fennecs, des ours, et même des cercopithèques de l’Hœst. Mais entre l’enclos des girafes et celui des émeus, un animal un peu particulier attire mon attention. Sous un préau en bois, niché dans son castelet, un petit bonhomme aux joues rouges et au nez en trompette, vêtu d’une redingote brune et d’un nœud papillon rouge et coiffé d’une drôle de casquette noire de laquelle dépasse une natte, agite un bâton. Face à lui, une horde de mes semblables crie « Guignol ! Guignol ! ».

Guignol et le gendarme
©Ben Kerckx sur Pixabay

Le cinéaste Jean Renoir décrivait bien mieux que je ne le pourrais le souvenir qu’évoque en lui le spectacle du Guignol des Tuileries.

« Quand j’essaie d’éveiller dans ma mémoire un souvenir direct de ce théâtre, j’en associe le style à celui des peintures de Braque ou de Chardin. […] Gabrielle prétend que j’étais tellement excité qu’il m’arrivait de saluer le début du rideau en faisant pipi dans mon pantalon ».

Jean renoir, Ma Vie et Mes Films, 1974

Guignol, symbole de Lyon et des canuts

Mais ce souvenir ne doit pas faire oublier qu’avant de monter sur les planches parisiennes, c’est dans les pentes de la Croix Rousse, à Lyon, que Guignol est né. C’est Laurent Mourguet, fils de canuts, qui crée la marionnette en 1808. Mais au-delà de son accoutrement reconnaissable entre mille, qu’est-ce qui singularise Guignol au point que 200 ans après sa création, il continue de rayonner à travers l’hexagone ? Et bien pas grand-chose justement. Ou plutôt le moins possible, mais j’y reviendrai tout à l’heure.

L’essence de Guignol est difficile à délimiter. Tantôt espiègle, tantôt naïf, toujours altruiste mais souvent coquin, Guignol représente, du moins à l’origine, un gone du peuple souvent dépeint en domestique, « 50% Scapin, 50% Figaro » dirait Jean-Guy Mourguet, un des descendants de son créateur. Au fond c’est un filou, un bon vivant, un esprit frondeur, un polisson. Comme le disait Luis Buñuel, « Guignol est tout à fait de ce pays où les révolutions se font en chantant ». Car Guignol est un révolutionnaire ! Rappelons qu’il est né chez les canuts, à la Croix-Rousse, parmi ceux qui en 1831 n’ont pas hésité à s’insurger contre la dégradation de leurs conditions de vie. A l’origine, Guignol n’est pas du tout un spectacle réservé aux enfants. Il aime boire du rouge avec son ami Gnafron, dont il convoite régulièrement la fille, Madelon. Les pièces évoquent avec satire l’actualité locale de l’époque. « C’est une marionnette qui est faite pour taper sur le gendarme, pour taper sur les gens en place » rapporte Jean-Guy Mourguet.

Buste de Laurent Mourguet, créateur de Guignol, avec la marionnette
Avenue Doyenné (Lyon 5e), ©Wikipédia

Quand Guignol monte sur Paris et s’embourgeoise

Sous le Second Empire, Guignol est même censuré. Concrètement, les textes doivent être soumis à une vérification avant d’être interprétés. C’est peut-être ça, avec la récupération de la marionnette par des théâtres parisiens, qui a peu à peu dénaturé Guignol pour en faire le personnage pour enfant qu’on connaît aujourd’hui. Paradoxalement, c’est peut-être aussi grâce à cela que Guignol a pu marquer aussi durablement les esprits. En effet, la soumission des textes au comité de censure du Second Empire a permis la conservation des pièces, alors que Laurent Mourguet, ne sachant ni lire ni écrire, n’avait pu les transmettre qu’à l’oral. Il est aussi probable que sans les théâtres parisiens, Guignol serait resté une curiosité lyonnaise méconnue du grand public.

Une marionnette à l’épreuve du temps

Ceci m’amène à un autre point : Guignol est populaire car Guignol appartient à tout le monde. N’en déplaise aux puristes qui grincent des dents lorsqu’on évoque le Guignol des Champs Elysées ou celui du Lavandou, la marionnette appartient au domaine public depuis 1914, soit 70 ans après la mort de Laurent Mourguet. Il persiste certes un droit moral, mais n’importe quel marionnettiste peut utiliser Guignol et ses petits camarades dans ses représentations. On observe une dialectique s’opérer entre d’un côté le personnage marqué par son appartenance géographique, sociale voire politique, et de l’autre la figure populaire et consensuelle appréciée de tous les enfants. Ma conviction est que c’est un équilibre particulier entretenu par la tension entre ces deux aspects de Guignol qui participe à perpétuer son mythe.

Le Guignol Guérin, théâtre de marionnettes depuis 1853
Bordeaux (Guignol Guérin, non modifiée, licence CC BY-SA 4.0)

Cela va de pair avec l’art même de la marionnette. Contrairement à un comédien, la marionnette est une figure inanimée qui prend vie par la seule main du marionnettiste. Elle est donc totalement à la merci de ce dernier. Jean-Guy Mourguet fait la distinction entre « les marionnettistes qui servent Guignol, et ceux qui se servent de Guignol ». C’est bien la preuve que la marionnette est façonnée par la superposition de ses manipulateurs invisibles, plus ou moins talentueux et conscients de la portée symbolique de celle-ci. C’est aussi la raison pour laquelle vous avez certainement une perception différente de Guignol que moi ou un autre lecteur de cet article, selon les castelets devant lesquels vous êtes passés. Seules les marionnettes, à ma connaissance, jouissent de cette incroyable plasticité, à l’image des personnages de la Commedia Dell’Arte dont Guignol est un héritier direct.

@ Compagnie M.A. // Coulisse du spectacle Guignol et Mama Swing

9 coups rapides, 3 coups lents : introduction au théâtre

Par ailleurs, je conteste la connotation péjorative de l’expression « théâtre pour enfant » qui désigne Guignol, car c’est chez le très jeune public que l’on peut aiguiser un jugement esthétique, même s’il est inconscient. Aussi Jean Renoir écrit-il : « Guignol contribua certainement à ma formation plastique. Celui des Tuileries m’a donné la crainte des contrastes brutaux. Au début de ma carrière cinématographique, j’ai exagéré ces contrastes. C’était une erreur, ce n’était pas le genre de cinéma qui me convenait. Guignol m’a aussi donné le goût des histoires naïves et une méfiance profonde pour ce que l’on a convenu d’appeler la psychologie. »

Pour finir, je voudrais vous laisser avec un extrait de la pièce Guignol député de Jules Coste-Labaume (1883) pour vous donner un aperçu du parler lyonnais du XIXème siècle.

« GUIGNOL : Eh ben, z’enfants, en v’là z’une manigance ! Maginez-vous, les gones, que c’t’intrigant de Gnafron n’a t’y pas z’a eu l’idée de vouloir me faire nommer député ! Guignol député, ah mes pauv’s belins ! Mais gn’y aurait de quoi faire tordre les côtes au cheval de bronze et l’homme de la Roche n’en aggraferait la courante à feurce de rigoler. »

Jules Coste-Labeaume, Guignol député, 1883

*Gones [Régional Lyon] : jeune enfant

Jérémie Garret

Sources :

Jean Renoir, Ma Vie et Mes Films, 1974

Jean Coste-Labaume, Guignol député, 1883

https://www.franceculture.fr/emissions/les-nuits-de-france-culture/lieux-de-memoire-guignol-1ere-diffusion-04031999

https://www.franceculture.fr/emissions/une-saison-au-theatre/la-place-conquise-de-la-marionnette

https://www.amisdelyonetguignol.com