Charlotte Perriand, de l’ombre à la lumière

Charlotte Perriand, ce nom ne vous dit rien ? Grande designer, architecte et photographe du XXe siècle, pourtant êtes-vous sûrs de ne jamais avoir entendu parler de ses œuvres ? Plus de 20 ans après sa mort, son influence, elle, ne s’éteint pas et ses créations continuent d’attirer sur elles la lumière par leur caractère avant-gardiste.   

Charlotte Perriand, une femme en avance sur son temps

 Née en 1903 à Paris, la jeune Charlotte voit sa mère lui répéter toute son enfance que pour être libre, il faut qu’elle travaille. A 18 ans, elle lui donne son indépendance, bien que la majorité soit fixée à 21 ans à l’époque. Elle applique donc les conseils de sa mère et se lance dans des études jusqu’ici réservées majoritairement aux hommes grâce à une bourse. Après 5 ans d’études, elle devient diplômée de l’Union des arts décoratifs en 1925. Elle se fait connaître dans le monde du design tout juste deux ans après avec son bar sous le toit lors du salon d’automne de 1927. Si cela la dirige tout droit vers une carrière de designer, cette jeune artiste ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. 

Charlotte Perriand
Photo prise sur le site cassina

En 1927, elle rejoint le cabinet de Le Corbusier et commence sa conquête du monde de l’architecture. En 1933, elle élargit encore son champ d’action à l’art photographique sur lequel elle dirige une étude. Sa carrière ne cesse d’évoluer au gré de ses voyages et de prendre de l’ampleur tout au long de sa vie. On retient de ses œuvres notamment la bibliothèque nuage (1947), la banquette modèle Cansado (1958) en design ou le refuge Tonneau (1938) et la maison de thé (1993) en architecture. Cette artiste visionnaire nous a quitté en 1999 mais ses œuvres marquent encore notre époque.

La bibliothèque nuage
©galeriedowntown.com

Une œuvre avant-gardiste influencée par sa vie 

La démarche artistique de Charlotte Perriand est ancrée dans son expérience personnelle, ses convictions et ses passions. Son expérience au Japon de 1940 à 1942 marque par exemple ses œuvres. Elle fait naitre en elles un lien entre tradition et modernité. La chaise en bois d’acier en 1928 devient alors la chaise en bambou en 1940 et la technique de l’origami lui inspire la chaise Ombre en 1955 réalisée par un simple pliage. Quant à son amour pour la nature, il aura permis à de nouveaux chefs d’œuvre de voir le jour. Et quel meilleur exemple que les Arcs 1600 et 1800 pour illustrer cela ? Cet amour aura fait d’elle une visionnaire sur le plan environnemental. Ainsi elle intègre cette dimension dans son travail : maison préfabriquée pour les réfugiés avec des matériaux de récupération ou toits végétalisés, des idées encore d’actualité.   

De gauche à droite :
Chaise longue en bambou, musée du Quai Branly. ©J-P Dalbéra – Flickr
Les Arcs ©architecturalreview – Charlotte Perriand Archive
Station les Arcs ©Getty image
Chaise Ombra Tokyo ©Cassina

Une artiste engagée au travers de ses créations 

Si ses voyages et amours influencent ses œuvres, ses convictions jouent également leur part dans la carrière de cette artiste. Ainsi, sa vision globale de l’architecture et du design est l’illustration même de son orientation politique. Selon elle, ces deux domaines ont pour intérêt de rendre la modernité accessible au plus grand nombre. Elle est sans cesse à la recherche du mieux vivre ensemble : équipements de dortoirs, de crèches, d’hôpitaux… En tant que femme ambitieuse évoluant dans un milieu masculin, la condition de la femme occupe également une place importante dans ses projets. Elle repense notamment les intérieurs pour inclure la femme dans la société en pensant et créant la cuisine ouverte, réelle révolution à l’époque.  

Le Corbusier, Charlotte Perriand, 1928
©corinneb.net ©Pierre Jeanneret – Archives Charlotte Perriand (ADAGP)

Une carrière dans l’ombre de Le Corbusier 

Femme ambitieuse, avant-gardiste et engagée, Charlotte Perriand reste pourtant aujourd’hui encore dans l’ombre de Le Corbusier. Alors âgée de 24 ans, elle intègre son cabinet formé avec Pierre Jeanneret. Dès son arrivée, on lui fait savoir qu’« ici, on ne brode pas de coussin ». Mais Charlotte fait son bout de chemin et ne tient pas compte des différentes critiques et obstacles. Il la forme et transforme sa vision du design et de l’architecture vers le fonctionnalisme. 

Pendant dix ans, elle reste aux côtés de Le Corbusier. Pendant dix ans, son nom est cité en dernier pour tous les projets auxquels elle participe, même lorsqu’elle en est à la tête. Pendant dix ans, elle est  dans l’ombre d’un maître mais à qui on attribue souvent encore des œuvres qui sont en réalité celles de Charlotte Perriand : la chaise longue LC4, le fauteuil grand confort… Cette collaboration achevée en 1937 reste toutefois le début d’une carrière impressionnante, fruit de son seul travail.


Un talent mis en lumière ces dernières années  

Vous l’aurez compris, Charlotte Perriand aura marqué le XXe siècle. Encore trop peu reconnue, son œuvre est aujourd’hui partagée et acclamée. En 2017, Artcurial vend une bibliothèque nuage en mai et un bureau dit « en forme » en octobre, respectivement pour la somme de 696 000 et 703 400 euros.

Sa reconnaissance dans le domaine de l’architecture n’est pas non plus en manque. En 2013, le défilé croisière de Louis Vuitton lors de la Design Miami Fair se déroule dans une reproduction meublée de sa Maison au bord de l’eau, jamais construite par l’artiste mais récompensée par deux prix de son vivant sur la base de ses croquis. C’est finalement pour le vingtième anniversaire de sa mort qu’une exposition lui est consacrée à la fondation Louis Vuitton : 200 meubles, 200 œuvres d’artistes qui l’ont influencée et 7 reconstitutions de maisons conceptuelles, dont la maison au bord de l’eau.  Les nombreux visiteurs ont ainsi pu apprécier l’espace d’un instant tout le génie et la vision de cette impressionnante artiste.  

La Maison au bord de l’eau, reproduction 2019
©carnetsdetraverse – Photographs Courtesy Fondation Louis Vuitton

« L’important ce n’est pas l’objet c’est l’homme »

Charlotte Perriand place l’homme au centre de ses œuvres. Par sa créativité, son engagement et sa vision, cette artiste protéiforme a bousculé les codes du XXe siècle. Son œuvre résonne encore aujourd’hui dans le monde entier.  

Anaëlle  Perret

Pour en savoir plus sur Charlotte Perriand

N’hésitez pas à écouter la série d’interviews « A voix nues » réalisée par France Culture en 1999. 

Vous pouvez également revivre l’exposition de la fondation Louis Vuitton consacrée à Charlotte Perriand grâce au parcours filmé de l’exposition et la vidéo du colloque organisé ensuite. 

Vous retrouverez aussi son parcours dans le livre dédié à sa vie « Le monde nouveau de Charlotte Perriand » paru en 2019. 

Sources :  

Pourquoi Charlotte Perriand est-elle fascinée par le Japon ?, Numéro (221), 31 octobre 2019 

L’actu de la mode du 02/12/2013, Vogue, 8 décembre 2013  

Le monde nouveau de Charlotte Perriand, Fondation Louis Vuitton, 2019 

Design : la révolution Charlotte Perriand, Les Echos, 27 septembre 2019 

Charlotte Perriand, grande architecte et designeuse du 20e siècle, enfin au premier plan, TV5 Monde, 5 octobre 2019