L’érotisation du corps masculin par les femmes dans l’art

Le 7 janvier 2021, le collectif Lusted Men exposait sa collection de photographies érotiques d’homme pour les dix ans du festival PhotoSaintGermain à Paris. À travers cette exposition, le collectif dénonce le manque d’accès aux photographies érotisant les hommes. Lusted Men a donc lancé un appel à contributions de photographies érotiques d’hommes (s’identifiant comme tels) ouvert aux amateur.trices et ou professionnel.les afin d’enrichir les représentations masculines.

Une histoire brève de l’érotisation du corps de l’Homme

Pourtant les images érotiques d’hommes ne manquent pas dans l’histoire. Dans l’Antiquité grecque, le corps masculin était érigé comme un idéal, se rapprochant du demi-dieu. On peut penser à l’Académie d’homme, dit Patrocle peint vers 1778 par Jacques Louis David qui s’inspire de Galate Mourant, une copie romaine d’une statue grecque. À la Renaissance, le nu masculin primait encore sur le nu féminin. Il était érigé comme norme du genre humain. Les artistes dépeignaient un « moi idéal », un corps musclé et héroïque.

« Depuis le XVIIe siècle, nous avons tendance à considérer que le nu féminin est un sujet artistique plus naturel et plus séduisant que le nu masculin. ». Kenneth Clark

C’est l’esthétique réaliste de l’art occidental au XIXème siècle qui marque un point de rupture avec une représentation du corps masculin loin de l’idéalisation qui avait pu être faite. À l’inverse, la sensualité et l’érotisation sont attribuées à la femme qui devient l’objet de désir par excellence.

Jacques Louis David, Académie d’homme, dit Patrole
https://www.musee-orsay.fr/fr/evenements/expositions/archives/presentation-detaillee.html?zoom=1&tx_damzoom_pi1%5BshowUid%5D=130055&cHash=855c0ead84

Une sous-représentation des femmes dans l’art

L’érotisation du corps de l’homme dans l’art ne disparaît pas non plus au XXème siècle. De nombreux artistes comme les photographes Robert Mapplethorpe, Herbert List ou Ren Hang affirment leur homosexualité avec des photographies homo-érotiques du corps masculin qui choquent. Pourtant, les femmes artistes sont encore écartées de la scène. En 1989, les activistes féministes connues sous le nom des Guerillas Girls placardaient dans les rues de New York des affiches dénonçant la sous-représentation des femmes artistes dans le monde de l’art contemporain : « Faut-il que les femmes soient nues pour entrer au Metropolitan Museum ? Moins de 5% des artistes de la section art moderne sont des femmes, mais 85% des nus sont féminins. ». Les œuvres exposées écartent l’idée que le spectateur peut être une femme.

Dans le cadre de l’exposition Masculin / Masculin au Musée d’Orsay en 2014, L’Origine de la guerre d’ORLAN est présenté en réponse à L’Origine du monde de Courbet. Au lieu de représenter une vulve, l’artiste a effectué un photo montage représentant un homme aux jambes écartées avec le pénis en érection. Si le corps de la femme est considéré comme beau et non obscène, le corps de l’homme devrait l’être aussi.

L’érotisation du corps de la femme, une vision du genre inégalitaire

Dans la religion judéo-chrétienne, Ève naît de la côte du corps d’Adam. Elle est considérée comme l’Autre, celle qui vient après et qui sera responsable du péché de l’humanité. Dans Le Deuxième Sexe, Simone de Beauvoir souligne qu’on « dit parfois « le sexe » pour désigner la femme : c’est elle qui est la chair, ses délices et ses dangers : que pour la femme ce soit l’homme qui est sexué et charnel est une vérité qui n’a jamais été proclamée parce qu’il n’y a personne pour la proclamer. ». Or la chroniqueuse Maïa Mazaurette dans Le sexe selon Maïa : Au-délà des idées reçues nous rappelle bien que « L’homme est un objet érotique comme les autres. ». L’homme ne se douterait pas que son corps ait un certain pouvoir érotique et se ferait une idée du désir de la femme comme il souhaiterait se le représenter.

Néanmoins, nous vivons dans une société de l’image-écran où nous avons tendance à croire ce que l’on voit. Nous sommes tous les jours submergés par des représentations érotiques du corps féminin : dans la publicité, dans le cinéma, la télévision, les magazines, la pornographie, etc … Au XXIème siècle, le corps de la femme est hypersexualisé et utilisé comme un objet marchand. Dans son livre Les couilles sur la table, l’auteure et podcasteuse Victoire Tuaillon estime que si les productions culturelles « faisaient plus souvent l’effort de proposer d’autres représentations du désir, de la séduction, de la sexualité », cela nous permettrait « de mieux les incarner dans nos propres vies. ». L’érotisation du corps de l’homme et sa diffusion serait donc un facteur de libération sexuelle.

Cependant, comment créer du contenu sans être influencé par l’inconscient patriarcal ?

Le female gaze dans l’érotisation du corps de l’homme

En 1975, la critique de cinéma Laure Mulvey instaure le débat sur le male gaze dans son essai Visual Pleasure and Narrative Cinema. Elle définit ce dernier comme un plaisir de regarder basé sur l’objectivisation des femmes: leurs corps sont filmés en gros plans, et un système champs / contrechamps instaure un voyeurisme où la femme est transformée en un être-pour-le-regard. 
Selon Iris Brey dans Le regard féminin – Une révolution à l’écran, il faudrait créer « un régime d’images qui appellent à désirer autrement, à explorer nos corps, à laisser nos expériences nous bouleverser. Des images qu’il faut aujourd’hui nommer et définir. ». À l’opposé du male gaze, le female gaze filmerait les corps comme « sujets de désir ». Par la mise en scène, on ressentirait plus l’expérience féminine à travers l’écran. À titre d’exemple, la réalisatrice Houda Benyamina dans Divines propose une scène où du point de vue du personnage féminin Dounia on regarde discrètement le danseur Djigui se déshabiller alors que ce dernier sait qu’il est regardé et joue dessus. L’érotisation du corps est ici conscientisée, et celle qui regarde sait qu’elle peut être aussi regardée.

À titre d’exemple, la réalisatrice Houda Benyamina dans Divines propose une scène où du point de vue du personnage féminin Dounia on regarde discrètement le danseur Djigui se déshabiller alors que ce dernier sait qu’il est regardé et joue dessus. L’érotisation du corps est ici conscientisée, et celle qui regarde sait qu’elle peut être aussi regardée.

Vers une objectivisation du genre masculin ?

Les mouvements féministes reprochent à la société patriarcale d’avoir enfermé la femme dans un diktat de la féminité. L’objectivisation des corps masculins risquerait-elle de reproduire ce phénomène en imposant des diktats de la virilité ? De nombreuses représentations de corps masculin semblent montrer le contraire. Des artistes comme Louise Bourgeois interrogent les identités de genre. Dans la sculpture Arch of Hysteria en 1993, cette dernière s’empare du corps masculin comme objet de désir et brouille les frontières entre masculin et féminin. D’autres artistes émergeantes sur Instagram publient des images érotiques d’hommes qui mélangent les caractéristiques sociales de « féminin » et « masculin ». On peut citer en illustration Estine Coquerelle, Louise de Crozals ou en photographie le collectif Lusted Men mentionné au début ou Rosie Matheson qui explore la masculinité à travers des portraits d’hommes. La question du corps masculin idéal est aussi explorée par Sally Mann qui exposait au Jeu de Paume en 2018 des photographies de corps masculins marqués par l’âge ou par l’obésité.

Louise Bourgeois, Arch of Hysteria
https://www.google.com/search?q=arch+of+hysteria&source=lnms&tbm=isch&sa=X&ved=2ahUKEwjftrHNlfbuAhXF4uAKHavICBQQ_AUoAXoECA8QAw&biw=1208&bih=717#imgrc=VFMHAH-EioKnVM

La réinvention de notre érotisme se présente ainsi comme une piste de réflexion pour déconstruire l’asymétrie dans les rapports de pouvoir femme / homme et repenser la notion de genre. Paul B. Preciado, homme transgenre, philosophe et écrivain, nous amène de plus à réfléchir sur une future sortie d’une érotisation du corps binaire « femme » / « homme » afin de promouvoir des représentations qui mettent en avant la multiplicité des genres.

Laure Gonay

Bibliographie :

  • Le deuxième sexe de Simone de Beauvoir, 1949
  • Le sexe selon Maïa, Au-délà des idées reçues de Maïa Mazaurette, 2020
  • Les couilles sur la table de Victoire Tuaillon, 2019
  • Visual Pleasure and Narrative Cinema de Laure Mulvey, 1975
  • Le regard féminin, une révolution à l’écran d’Iris Brey, 2020
  • Divines réalisé par Houda Benyamina, 2016
  • Je suis un monstre qui vous parle de Paul B Preciado 2020