Kazuo Ishiguro : de la narration à la réflexion

J’avais aujourd’hui envie de partager mon coup de cœur pour un auteur peu connu en France qui a pourtant reçu le prix Nobel de Littérature pour l’ensemble de son œuvre en 2017 et a réussi à se faire un nom dans le milieu littéraire anglo saxon, Kazuo Ishiguro.

Connaître l’auteur pour comprendre l’œuvre

Kazuo Ishiguro est né en 1954 à Nagasaki au Japon où il ne vit que les six premières années de sa vie. Sa famille déménage en effet en 1980 en Angleterre, dans le Surrey. Si ses œuvres sont toutes écrites en langue anglaise, le Japon et la culture japonaise dans laquelle l’auteur a été élevé y conservent une influence fondamentale. Ses premiers romans Lumière Pâle sur les Collines et Un Artiste du Monde Flottant se déroulent d’ailleurs dans le Japon d’après-guerre tandis que la nouvelle A Family Supper raconte le retour, dans son Japon natal, d’un jeune homme parti vivre aux Etats-Unis. Cependant, son style reste fortement similaire à celui des auteurs européens qui l’ont inspiré à l’instar de Marcel Proust et Fiodor Dostoïevski.

Des textes qui miment la pensée

Chacun de ses romans, à l’exception du Géant Enfoui, est écrit à la première personne du singulier. C’est que Kazuo Ishiguro est adepte du procédé littéraire du « monologue intérieur », qu’Edouard Dujardin définit comme « le flux ininterrompu des pensées qui traversent l’âme du personnage au fur et à mesure qu’elles naissent sans en expliquer l’enchaînement logique ». A travers cette technique, l’écriture mime les mouvements de la pensée qui erre d’une idée à une autre sans suivre une structure précise mais en suivant des liens établis par le narrateur entre deux souvenirs. Aussi le récit n’est-il pas narré de manière chronologique mais en conservant la fluidité des mouvements de la pensée. Le récit est souvent le fruit d’une réflexion que le personnage a sur son passé et donne l’impression que le personnage se remémore son passé au moment même où nous lisons. Dans Les Vestiges du Jour comme dans Auprès de Moi Toujours, par exemple, c’est un voyage en voiture qui engendre la réflexion. Il est difficile pour le lecteur d’établir une chronologie dans les actions qui sont relatées dans le roman comme il est parfois impossible de remettre ces souvenirs dans le bon ordre.

Des personnages face au changement

Les thématiques abordées par Ishiguro sont souvent liées au changement et à la difficulté de vivre dans un monde en constante évolution. De fait, ses romans sont souvent ancrés dans une période précise où l’histoire des personnages se retrouve mêlée à l’Histoire avec un grand H. L’auteur est particulièrement inspiré par la période d’après-guerre, que ce soit dans Les Vestiges du Jour ou dans Un Artiste du Monde Flottant qui se déroulent respectivement dans l’Angleterre et le Japon d’après Seconde Guerre Mondiale. Cette période de grands changements pousse le protagoniste à appréhender différemment son environnement et à questionner sa culture et son rôle dans la société. Dans ses romans, jeunesse et maturité se confrontent, qu’il s’agisse du protagoniste avec d’autres personnages avec lesquels il interagit ou du protagoniste se remémorant une version révolue de lui-même. Le narrateur se replonge dans les choix marquants de sa vie et imagine l’influence qu’ils ont eue sur son présent.

Le récit au service de la réflexion

Par les réflexions de son protagoniste, Ishiguro nous pousse avec douceur à repenser notre manière d’appréhender le monde, à envisager les relations familiales, les relations amoureuses ou les choix que nous faisons. Ses textes sont une pente douce vers la réflexion philosophique dans le sens où elle se mêle au récit sans jamais se dévoiler de manière trop manifeste. Tandis que Auprès de moi Toujours amène progressivement le lecteur à se questionner sur la notion d’humanité et d’âme dans le contexte des intelligences artificielles, Un Artiste du Monde Flottant propose une réflexion sur l’engagement dans l’art face à « l’art pour l’art ». Le tout s’effectue dans un rythme paisible qui donne l’impression d’une discussion partagée avec un ami.

Appréhender la douleur avec douceur

Si le style d’Ishiguro est empreint de douceur et de calme, c’est pour mieux aborder les drames auxquels chacun fait face. Sans trop en dévoiler pour ne pas divulguer, les protagonistes sont tous confrontés à un moment ou un autre au deuil ou à d’autres épreuves que peut réserver la vie et chacun partage sa façon d’y faire face et de vivre avec. Malgré la dureté de ce qui est dépeint dans ses livres, le sentiment de sérénité demeure laissant au lecteur un sentiment doux amer lorsqu’il referme le livre.

Lire Kazuo Ishiguro en somme, c’est se plonger avec douceur dans une réflexion philosophique, c’est converser avec un ami du sens que l’on donne aux choses anodines comme essentielles. C’est aussi lire des récits passionnants, parfois bouleversants, toujours écrits finement. Lire Kazuo Ishiguro en somme c’est lire un grand roman contemporain sans voir le temps passer. Je ne peux donc que vous conseiller de découvrir son œuvre. 

Clémence Redondo