La Mode à travers le prisme du genre

Récemment, Mark Bryan a beaucoup fait parler de lui par ses tenues hors du commun. Cet Américain a décidé de s’habiller comme il le souhaitait, ce qui signifie allier garde-robe féminine et masculine. On peut donc le voir aller au travail en tailleur jupe et talons. Les femmes peuvent de nos jours porter des pantalons sans faire scandale mais un homme qui porte des jupes parvient à faire la une des journaux. Que dit cette contradiction sur la vision du vêtement dans notre société ?

Harry Styles posant pour le numero de décembre 2020 de Vogue
@Tyler Mitchell

Une histoire de la mode et des vêtements  

Les vêtements peuvent servir à plusieurs fonctions. Originellement, les vêtements ont un rôle protecteur. D’un côté pour se protéger du froid et du mauvais temps, de l’autre pour se protéger des regards extérieurs. Petit à petit, le rôle d’expression s’est ajouté au rôle de protection. Les vêtements sont utilisés par les individus pour exprimer leur style, leur genre, leur métier mais aussi leur classe sociale. Chez les Romains, seuls les citoyens ont le droit de porter la toge afin que la distinction entre eux et les non-citoyens se fasse au premier regard.  

Les phénomènes de mode sont apparus très tôt. D’après Georges Vigarello, historien spécialiste des représentations du corps, la mode en fonction du genre naît au début du XIIIème siècle. A cette époque, la ceinture sépare le corps en deux. Chez les hommes elle est plus courte et dans la partie supérieure du corps. Chez les femmes, elle est plus longue et dans la partie inférieure du corps.  

Les habits : instruments d’oppression comme de libération 

Christine Bard, historienne spécialiste de l’histoire des femmes et du genre, explique que :

« Dans l’histoire de nos sociétés occidentales, le vêtement féminin se devait d’être ouvert, comme l’est la jupe, à la différence des vêtements masculins fermés »

Cette différence confirme la hiérarchisation des sexes établie par notre société. En effet, le vêtement ouvert manque de confort dans beaucoup d’activités et l’ouverture du vêtement représente aussi la disponibilité sexuelle, ce qui a longtemps, et encore aujourd’hui, entretenu la vulnérabilité féminine.  

C’est seulement en 1934 que les premiers jeans Levis féminins voient le jour, alors que le premier ‘blue jean’ naît en 1853. Les mentalités commencent déjà à évoluer comme le montre certaines œuvres. On peut citer l’illustration « La toilette de Venus » de Gerda Wegener en 1925. L’étape du jean féminin marque le début de l’émancipation vestimentaire de la femme. Ainsi, de plus en plus de femmes de l’époque portent des pantalons dans leur quotidien, malgré l’interdiction qui leur est faite de porter des pantalons dans certains endroits jusque dans les années 1970.  

Ces ‘blue jeans’ sont particulièrement appréciés par les adhérents du mouvement hippie car ils font office d’uniformes universels. Par ailleurs, ils permettent de lutter contre les distinctions hommes-femmes et de contester la hiérarchisation des genres dans les sociétés occidentales.  

La situation a depuis bien évoluée et les femmes portent des pantalons selon leurs envies mais, preuve que le monde met du temps a évolué, l’interdiction du port du pantalon pour les femmes en France n’a été officiellement aboli qu’en 2013. 

La Toilette de Vénus, 1925, France, Paris. Les longs cheveux typiquement féminins et des vêtements masculins. Illustration de Gerda Wegener pour l’hebdomadaire humoristique « Le Sourire ».
Crédits : Fototeca StoricaNazionale / Contributeur – Getty

Les habits comme moyens d’expression

Nous avons vu que les vêtements sont utilisés à des fins d’émancipation. Ils sont également de plus en plus utilisés pour exprimer sa sexualité et son appartenance à un genre.  

Au cours des dernières décennies, les femmes se sont appropriées la garde-robe du sexe opposé pour pouvoir s’habiller et s’exprimer librement. Des vestes militaires jusqu’aux costumes cravates, tout est désormais accepté dans la vie quotidienne. Malheureusement, on remarque encore une dichotomie des genres importante sur les tapis rouges. Marlene Dietrich, figure emblématique de son époque, répond à un journaliste qui fait un commentaire sur son costume alors que ses collègues féminines portent des robes par « je suis, dans mon cœur, un gentleman ».  

Cette transgression des normes de genre s’apparente à une transgression des normes sociétales, et c’est ce qui effraie tant. Remettre en question le genre, c’est remettre en question la société dans son ensemble. Dans les années 1960 et 1970, ces deux remises en cause vont de pair avec des figures comme Ziggy Stardust, l’alter ego de David Bowie qui porte essentiellement des robes colorées à motifs psychédéliques et des coupes traditionnellement féminines, ou encore Jimmy Hendrix qui va sur scène en talons et chemise colorée. De nos jours, les stars rejettent de plus en plus la vision binaire du genre et tentent d’exprimer leur identité, parfois floue, grâce à leur façon de s’habiller. On peut citer par exemple Young Thug qui se montre en robe sur la pochette de son album « Jeffery ».   

L’envers de la mixtape « Jeffery » de Young Thug
Photographie de Garfield Lamond

Les fashion shows participent au changement des mentalités

Dans notre ère contemporaine, les mouvements de contestation se sont toujours accompagnés de leur style propre. Les punks avec leurs vestes en cuir, les hippies avec leur style coloré, tous ont choisi des vêtements correspondants au mouvement auquel ils appartenaient.  

Aujourd’hui, c’est la question du genre qui est remise en cause. Yann Weber, directeur de la rédaction du magazine Antidote rappelle que :  

« Les nouvelles générations se questionnent sur leur identité de genre ainsi que sur la binarité structurelle imposée par notre société. Une fois n’est pas coutume, l’industrie de la mode accompagne cette évolution. » 

Déjà en 1926, alors même que les garde-robes masculines et féminines des foyers sont bien distinctes, Coco Chanel fait du blazer, un vêtement traditionnellement masculin, l’élément phare de sa collection. Jean-Paul Gaultier a également surpris l’assemblée quand il a proposé des jupes lors d’un défilé pour hommes.  

Jean-Paul Gaultier a d’ailleurs été le premier à faire porter une robe de mariée de la collection femme au mannequin Andrej Pejic, qui a depuis changé de prénom pour Andreja, en 2011. Cette modèle sera la première a défilé autant pour des collections femme comme chez Jean-Paul Gaultier que pour des collections homme comme chez Marc Jacobs. De plus en plus, les designers cassent les barrières du genre avec par exemple les short-jupes de Yohji Yamamoto ou les kimonos unisexe d’Hiroko Takahashi. 

La refonte des genres dans la Haute Couture

Les créateurs se mettent à l’unisexe et au ‘gender neutral’. La première collection de Haute Couture unisexe est présentée à Paris en 2012 par Rad Hourani et participe au phénomène du ‘gender bending’ que l’on voit de plus en plus apparaître, même dans les rues.   

L’arrivée de l’unisexe et de l’inter genre dans la Haute Couture, comme un pas vers une neutralité des vêtements pour le grand public ? 

Les marques de fast fashion ont d’ailleurs bien vite compris cette tendance pour l’exploiter – par exemple Zara a sorti sa collection ‘Ungendered’ et Asos s’est lancé avec ‘Collusion’. La création de ses collections montre qu’il y a une forte demande du public et donc que les gens se sentent de plus en plus à l’aise dans l’expression de leur identité. 

Il y a bien sûr encore beaucoup de chemin à faire, autant du côté des femmes qui, pour la plupart, ne se sentent pas prêtes à s’habiller complètement comme elles le souhaitent. Mais également du côté des hommes qui, lorsqu’ils mettent des jupes, se trouvent souvent sujets à des agressions homophobes.  

Alice Pernelle

Sources : 

https://www.franceculture.fr/sociologie/mode-lhabit-fait-il-encore-le-genre

https://numero.com/fr/mode/gender-bending-fashion-boston-beaux-arts-unisexe-marlene-dietrich-alessandro-trincone

https://www.lemonde.fr/m-mode/article/2016/03/29/vetements-bon-chic-sans-genre_4891790_4497335.html

http://palimpsestes.fr/IUT/pmo/gmo16/pmo16/documentaire/K.pdf