Le marché de l’art se digitalise grâce à la covid-19

Le commissaire-priseur Oliver Barker prenant les enchères par téléphone et en ligne à Londres (source : Sotheby’s)

84,5 millions de dollars. C’est la somme qu’un acheteur a déboursé le 29 juin 2020 chez Sotheby’s pour le fameux triptyque de Bacon, « Inspired by the Oresteia of Aeschylus », 1981. Le marché de l’art fait ainsi son entrée dans l’ère des ventes virtuelles de prestige.

Triptyque “Inspired by the Oresteia of Aeschylus” de Francis Bacon (source : Sotheby’s)

L’année 2020 a forcé le marché de l’art à faire ses preuves dans le digital. Alors que la plupart des institutions culturelles ont été mises au point mort par l’Etat au printemps 2020, et le marché de l’art a tenté tant bien que mal de poursuivre son activité.

Un marché de l’art mis à rude épreuve

Les galeries ont été frappées de plein fouet par la crise covid-19, accusant pour certaines une baisse de plus de 90% de leur chiffre d’affaires. Les foires ont dû trouver de nouveaux moyens de dialoguer avec leur public. La foire Art Basel Hongkong a ainsi annulé sont événement physique et lancé une alternative en ligne. Cette dernière a réuni 250 000 visiteurs virtuels, alors que l’édition 2019 avait rassemblé 90 000 visiteurs physiques.

Quelques galeries ont réussi à tirer leur épingle du jeu. La vente record de la foire a été attribuée à la galerie David Zwirner pour un tableau de Marlene Dumas à 2,6 millions d’euros. La galerie est un des précurseurs du changement digital. Elle a créé des « viewing rooms », permettant au public de parcourir les œuvres exposées, et son réseau est rompu aux visites et aux achats en ligne.

Il est indéniable que la digitalisation du marché de l’art ouvre la porte vers un nouveau public, vers de nouveaux acheteurs. Les grandes galeries pourraient s’imposer à l’avenir comme des figures incontournables du marché de l’art. Comment les maisons de ventes ont-elles fait face à cette crise sans précédent ?
(Oeuvre : Like Don Quixote, 2002, Marlene Dumas)

Une innovation portée par les leaders du marché

Les sociétés de ventes ont pu éviter le pire. En raison de l’urgence sanitaire, les maisons de vente ont reporté voire annulé leurs ventes physiques, mais elles ont pu développer leur solution de repli, les ventes en ligne. Dès le début de la crise, Sotheby’s a mis les ventes en ligne au centre de sa stratégie de développement, lui permettant de prendre de l’avance sur ses concurrents : à la mi-mars, la maison avait déjà vendu 10 fois plus d’œuvre que sa grande rivale, Christie’s.

Les enchérisseurs ont témoigné d’une grande confiance à l’égard de Sotheby’s : en avril elle génère 6,4 millions de dollars, un record pour ses ventes en lignes. En outre, la moitié de lots vendus sont au-delà de leur estimation haute. La maison a même réussi l’exploit d’attirer entre 30 et 35% de nouveaux enchérisseurs.

Christie’s a quant à elle effectué un incroyable bondissement au mois de mai, durant lequel elle multiplie par deux ses ventes en ligne. Son prochain défi est de faire repartir son marché haut de gamme, défi qu’elle relève haut la main en juillet avec l’inédite vente « ONE : A Global Sale of the 20th Century ». ONE est une vente hautement expérimentale : non contente d’employer l’ubiquité numérique, elle met également en avant la réalité augmentée (RA). Des QR codes sont ainsi associés aux œuvres, permettant aux futurs enchérisseurs de projet virtuellement celles-ci dans leur salon. ONE a regroupé quatre sessions de prestige, à Paris, New York, Hong Kong et Londres. Quatre-vingt pièces exceptionnelles ont été vendues aux quatre coins du globe, atteignant la somme pharaonique de 420 millions de dollars. Jusqu’alors, le grand public pouvait observer une œuvre dans ses moindres détails grâce aux nouvelles technologies. Ces dernières offrent désormais une qualité d’immersion inédite. Ces outils pourront éclairer les enchérisseurs sur les œuvres et motiver leurs intentions d’achats.

Portrait of Sir David Webster, David Hockney

Œuvre exposée sur le site de Christie’s en réalité augmentée, où l’on peut examiner le tableau sous toutes ses coutures (capture d’écran)

Evolution du produit des ventes en ligne (source : rapport artprice « 20 ans d’Art Contemporain aux enchères »)

Comment se différencie une vente en ligne d’une vente traditionnelle ?

Il est nécessaire de distinguer deux types de ventes en ligne. La première, la plus commune, présente uniquement la liste de lots avec la possibilité d’enchérir pendant une durée déterminée, généralement une semaine à dix jours. On peut en l’occurrence citer les ventes NOW! de la maison Sotheby’s. La deuxième revêt un caractère plus exceptionnel : une vente traditionnelle est filmée, et les acquéreurs ont la possibilité d’enchérir en ligne. La difficulté se pose alors pour les commissaires-priseurs qui doivent naviguer entre les acquéreurs en salle, les enchères par téléphone et les enchères en lignes qui s’affichent sur un écran. Le rythme de le la vente est alors considérablement accéléré.

Les ventes en ligne ou les prémices du renouvellement des collectionneurs

Enchérir à une vente aux enchères n’a jamais été aussi simple. L’acquéreur se connecte en quelques clics depuis son ordinateur, sa tablette ou même son téléphone portable. En 2019, 40% des ventes en ligne ont été conduit sur mobile, soit 1, 92 milliards de dollars. Les ventes en ligne sont ouvertes à tous, mais elles attirent en particulier un public plus jeune, et plus enclin à faire des achats de luxe sur Internet, à l’inverse des générations précédentes. Les maisons de vente aux enchères traditionnelles peinent à renouveler leur base de clientèle. La digitalisation des ventes permet d’attirer des collectionneurs plus jeunes. Cette nouvelle génération de collectionneurs n’aurait pas les mêmes intérêts et cibles que leurs aînés. Alors que les grands collectionneurs se concentrent traditionnellement sur le segment des œuvres d’art, le goût se déplace de plus en plus vers les objets de collection.

Source : rapport Hiscox 2020

La vente en ligne semble s’afficher telle la panacée pour les sociétés de ventes et les acteurs internationaux. Mais se pose alors la question du plaisir sensoriel d’une vente aux enchères, de sa frénésie et de son atmosphère électrique.

Se dirige-t-on vers un marché de l’art résolument dématérialisé ?

Ostiane Moitry

Bibliographie :