Les Animaux et l’Art

Jeune tigre jouant avec sa mère, Eugène Delacroix, 1830 (huile sur toile, musée du Louvre)

En 2020, 39% de la population française est flexitarienne et tend à réduire sa consommation de viande. Ce chiffre ne cesse d’augmenter chaque année. Cette tendance est due à la forte conscientisation du mal-être animal qu’impose notre surconsommation de viande. L’animal nous est indéniablement utile pour sa force, son aspect ludique ou bien comme matières premières. Pourtant, il reste absent de notre quotidien, malmené, abattu à la chaîne. 

La considération de l’ensemble des êtres vivants par les humains est un processus lent que nous allons explorer à travers le prisme de l’Art.   

À l’origine de nombreuses formes d’art 

L’art paléolithique  

Il y a 3,3 millions d’années, l’apparition des premiers outils lithiques marque le début du Paléolithique, la plus longue période de la Préhistoire. À l’époque des chasseurs-cueilleurs naissent les premières formes d’art. Nous retrouvons de nombreuses représentations animales mais peu de représentations de végétaux. 

De nombreux dessins datant du Paléolithique ont été retrouvés en Europe. On trouve des vestiges de cet art figuratif en France et en Espagne notamment. 179 sites ont été découverts en hexagone, mais c’est sans doute les grottes de Lascaux dont nous tendons à nous souvenir. Des bisons, des cerfs, des chevaux, des aurochs, des bouquetins et des rennes y sont représentés.   

Mur gauche de la salle des Taureaux, Lascaux II 
(réplique de la grotte d’origine, cette dernière étant fermée au public)
©brewminate.com

Les animaux peints dans les grottes étaient tantôt les proies des chasseurs-cueilleurs tantôt leurs prédateurs. À Lascaux, sur 597 animaux, on compte un humain. Plus largement, sur l’ensemble de l’art paléolithique seul 5% des figures représentées sont des silhouettes humaines. À cette époque, l’art avait alors une utilité mystique, se protéger des animaux dangereux ou attirer ceux qui étaient mangés.  

L’art égyptien  

L’Égypte est composée de trois biotopes distincts, le désert, le Nil, et la jungle. Cette particularité géographique offre aux égyptiens une faune riche et multiple. Admiratifs, mais toujours craintifs face à cette diversité, la civilisation égyptienne a largement été influencé par le monde animal, et situe l’homme à son niveau.  

Les recherches archéologiques ont tout aussi bien donné lieu à des découvertes de momies humaines qu’animales. On a retrouvé notamment des chats, des crocodiles, des oiseaux voire même des lionceaux. Les fouilles de la nécropole de Saqqarah en 2019 ont permis de découvrir des dizaines de momies d’animaux. Les hiéroglyphes au même titre que les momies sont les exemples les plus courants permettant de rendre compte du rôle des animaux dans l’histoire de l’Égypte ancienne. 

Mummified cats inside a tomb, at an ancient necropolis in Saqqara, Giza, Egypt, November 10, 2018. (©Nariman El-Mofty/AP, journal the Times of Israel)

Absence et représentation   

L’art au Moyen Âge  

Le Moyen Âge a fondamentalement transformé notre rapport aux animaux. À cette époque, une réelle rupture a lieu entre les êtres vivants. La naissance du christianisme, un mariage de la culture juive et gréco-romaine en est le point d’ancrage. La sphère religieuse exclut radicalement l’animal du rapport au spirituel. 

« Dieu créa l’homme à son image, il le créa à l’image de Dieu, il créa l’homme et la femme »

Genèse 1.27

Ce passage de la Bible fonde le rapport des humains aux animaux dans les civilisations chrétiennes ou postchrétiennes. L’anthropocentrisme délivre une place supérieure à l’Homme. Les animaux ne sont plus représentés pour leurs qualités mystiques comme à l’ère paléolithique ou dans l’Égypte Ancienne. Au début du Moyen-âge, les représentations animales sont allégoriques. La colombe est le symbole de la paix, le serpent celui de la tentation. 

Au Moyen-âge, les animaux bien qu’exclus dans le domaine religieux, demeurent fortement représentés dans la vie quotidienne car considérés comme esthétiques. Les ornements animaliers sont à la mode. La façade de la cathédrale Saint-Trophime d’Arles datant de la fin du XIIème siècle présente chaque évangéliste sous la forme de l’animal qui le symbolise – l’homme pour Matthieu, l’aigle pour Jean, le lion pour Marc et le taureau pour Luc.  

Portail de la cathédrale Saint-Trophime d’Arles, XIIe siècle (photo ©Djedj sur Pixabay)

Le Moyen-âge est paradoxal, il exclut totalement les animaux au travers de la religion qui régit la société mais les représente pour leurs esthétiques.  

L’animal-machine  

L’animal-machine est évoqué par Descartes. Le philosophe attribue aux animaux des qualités certaines de rentabilité et d’efficacité. En revanche, les machines sont dépourvues d’âme et de conscience. Cette thèse soutient que les animaux existent pour être au service des humains. Le célèbre tableau de Rosa Bonheur représente des vaches comme des animaux moteurs. Cette conception de l’animal est une des répercussions de la diffusion du christianisme en Europe.  

L’industrialisation de nos sociétés a éloigné l’animal de notre quotidien. C’est ainsi que l’animal-machine est souvent remplacé par de vraies machines encore plus rentables. Les campagnes se dépeuplent : c’est l’exode rural. Ce phénomène d’urbanisation a engendré une forte nostalgie de la ruralité chez les bourgeois des villes. Dans ce contexte, Rosa Bonheur peint Le labourage Nivernais en 1849.  

« Labourage nivernais », Rosa Bonheur, 1849 (huile sur toile, musée d’Orsay)

Éveil intellectuel  

Questionner notre relation au vivant  

Notre relation au vivant évolue. Si depuis l’arrivée du christianisme, l’animal est souvent relayé au second rang, il semble être de nouveau considéré par le milieu intellectuel et philosophique contemporain. De nombreux ouvrages récents portent sur notre rapport au vivant. L’ouvrage Manière d’être vivant de Baptiste Morizot est très inspirant. Il réalise son terrain auprès des loups, et son étude démontre que l’infériorité supposée des animaux n’a rien de palpable. Il amorce un dialogue avec les autres espèces dont leurs paroles sont si longtemps restées ignorées. 

« Imaginez cette fable : une espèce fait sécession. Elle déclare que les dix millions d’autres espèces de la Terre, ses parentes, sont de la “nature”. »  

Postface de Baptiste Morizot

Baptiste Morizot n’est pas le seul à remettre en question l’anthropocentrisme. Sans doute car les chiffres sont vertigineux, un million d’espèces animales et végétales sont en danger d’extinction. La pandémie de la COVID-19 semble progressivement mener les esprits vers une reconsidération de l’autre. La lenteur à laquelle ce processus a lieu ne nous donne que très peu d’espoir d’avenir.  

L’animal dans l’art contemporain 

L’éloignement de nos racines rurales est d’autant plus important que nos sociétés se développent. Aimer les animaux est souvent vu comme marginal ou enfantin. D’un autre côté, les animaux de compagnie occupent une place très importante dans les foyers et semblent structurer la vie de famille. Le renouement est lent mais l’animal jugé ringard redevient lentement à la mode.  

Par exemple, la taxidermie n’était plus du tout exposée dans les salons ou galeries. L’artiste dadaïste et surréaliste Victor Brauner crée le Loup-table (qui fait penser à « redoutable ») en 1939/1947 – la sculpture est conservée au Centre Pompidou. L’artiste associe les restes d’un renard avec une table en bois, l’objet s’impose de lui-même. Le pied arrière gauche de la table est décalé. Ce détail rend impossible de déterminer si la table est l’inspiration de l’artiste ou bien si l’œuvre est une adaptation de l’animal.  

Victor Brauner, « Le Loup-table », (1939-1947, Centre Pompidou) 
Photo ©Alaia Lamarque

Conclusion  

La considération animale, et plus largement la considération de l’autre en tant qu’égal passe en premier lieu par la dénomination. Faire une distinction entre nature et culture d’une part, animal et homme d’autre part revient à refuser les différentes manières des espèces d’être vivant.  

Alaia Lamarque

Pour en savoir plus 

Podcasts : 

  • Quand les enfants découvriront-ils que les écureuils ne vont pas à l’école ? Chloé Leprince sur France Culture, le 3 décembre 2017. < https://urlz.fr/eTQd>
  • Les animaux ont aussi leurs histoires. Michel Pastoureau et Mathilde Wagmam sur France Culture, le 28 décembre 2020. <https://urlz.fr/eTQh>

Source :

Cet article a été inspiré du cours Histoire de l’Art diachronique : l’animal délivré par Monsieur Denis Chevallier à L’École du Louvre en 2021.