Nicolas Poussin : peintre de l’amour

Affiche de l’exposition « Poussin & l’amour », au Musée des Beaux-Arts de Lyon du 26/11/2022 au 5/03/2023. Source : https://www.boutiquesdemusees.fr

Le musée des Beaux-Arts de Lyon vient de clore son exposition « Poussin et l’amour », nous invitant à revisiter une facette méconnue de ce maître de l’académisme du XVIIe siècle français : son érotisme. Les commissaires de l’exposition, Nicolas Milovanovic, Mickaël Szanto et Ludmila Virassamynaïken mettent en lumière cette expression évidente, quoique mal connue, du traitement de l’amour chez Poussin, mais est-ce pour autant la seule ? L’œuvre de Poussin, si elle est une exaltation de la chair par de nombreux aspects, n’est-elle pas également un éventail d’expressions de l’amour, sous diverses formes et à diverses destinations ?

Poussin et l’amour Charnel

« Depuis quelques jours j’ay fait couvrir un tableau de Vénus 4 figures, qui est à la vérité trop nu et immodeste, mais que j’ay rendu en le coupant et en couvrant la figure de Venus supportable aux yeux chastes. […] L’indécence de ce tableau consistoit en ce que la déesse, dormant ou faisant semblant de dormir, levoit une jambe qui découvroit trop le nud du siège d’amour », écrit Louis-Henri de Loménie de Brienne, collectionneur du XVIIe siècle, en parlant d’une œuvre de Poussin. Cette phrase nous révèle le caractère choquant de certaines œuvres de Poussin à l’époque même de leur création. En témoignent aussi les nombreux repeints de pudeur retrouvés sur certains de ses tableaux. L’Inspiration du poète (vers 1628-1629), par exemple, a récemment fait l’objet d’une restauration qui a permis d’enlever des drapés qui avaient été ajoutés a posteriori sur les putti, probablement par pudeur. On retrouve le rôle central de l’amour charnel tout au long de l’œuvre de Poussin, de l’une de ses premières peintures attestées (La Mort de Chioné, vers 1622, avec le corps nu de Chioné au centre du tableau), à sa dernière (Apollon et Daphné, 1663-1664). Pour autant, l’amour charnel n’est pas la seule forme d’amour exaltée par Poussin à travers son œuvre… 

Nicolas Poussin, L’inspiration du poète, v.1629, RF 1774, musée du Louvre, Paris. © 2014 RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Tony Querrec – vue avant restauration. Source : https://collections.louvre.fr

Poussin et l’amour de Dieu

Nicolas Poussin, Le Printemps, v.1660, INV 7303, musée du Louvre, Paris. © 2010 Musée du Louvre / Angèle Dequier – exposée à l’occasion de l’exposition « Poussin et Dieu » au musée du Louvre en 2015. Source : https://collections.louvre.fr

Poussin est aujourd’hui aussi reconnu pour sa peinture sacrée, celle-ci ayant notamment fait l’objet d’une exposition au Louvre à l’occasion du 350e anniversaire de la mort du peintre, en 2015. La peinture sacrée de Poussin est singulière, parce qu’elle mêle profane et sacrée, à la manière de Raphaël, à qui Poussin fut d’ailleurs beaucoup comparé. Ses tableaux religieux ont d’ailleurs longtemps été délaissés des études poussiniennes, qui privilégiaient les sujets profanes, et laissaient en suspens la question de la « religion de Poussin ». Autre singularité de la peinture sacrée de Poussin selon la présentation de l’exposition du Louvre : elle est la « source d’une réflexion personnelle sur Dieu ». 

Poussin et l’amour de la mythologie

L’amour charnel, l’amour de Dieu … et l’amour de la mythologie. Voilà les trois formes d’amour qui sous-tendent les sujets des tableaux de Poussin. L’œuvre de Poussin témoigne en effet de sa lecture des Métamorphoses d’Ovide, entre autres œuvres antiques (La Mort de Chioné (vers 1622), Le Triomphe d’Ovide (vers 1624-1625), Céphale et Aurore (vers 1624-1625), Echo et Narcisse (vers 1630), etc.). 

Nicolas Poussin, La Mort de Chioné, v.1622, inv. 2016.1.1, musée des Beaux-Arts, Lyon. © Lyon MBA / Photo Alain Basset. Source : https://www.lejournaldesarts.fr

Poussin et l’amour de l’art

Nous avons évoqué trois formes d’amour qui composent le fond de l’œuvre de Poussin. Mais cette dernière témoigne d’une quatrième forme d’amour, cette fois perceptible dans sa forme : l’amour de l’art. Poussin s’inspire largement des statues antiques dans sa manière de représenter les corps dans la plupart de ses peintures. Il a en effet passé une grande partie de sa vie à Rome, où il a beaucoup étudié les antiques, avec le sculpteur François Duquesnois, et l’on retrouve l’influence des œuvres antiques dans beaucoup de ses tableaux. Dans La Mort de Chioné par exemple, le corps sans vie de Chioné a les formes et la couleur d’une statue de marbre antique.

Nicolas Poussin, Autoportrait, 1650, INV 7302, musée du Louvre, Paris. © Musée du Louvre / Angèle Dequier. Source : https://petitegalerie.louvre.fr/

L’œuvre de Poussin est riche en d’interprétations possibles, elle mélange les genres et les sujets, s’inspire des œuvres qui l’ont précédées et inspire à son tour. Le musée des Beaux-Arts de Lyon illustre l’influence de Poussin sur des artistes pourtant postérieurs en présentant à la suite de son exposition sur Poussin une exposition intitulée « Picasso / Poussin / Bacchanales ». « Poussin et l’amour » semble donc bien porter en soi une immense partie de ce qui fait l’œuvre de Poussin : l’amour sous diverses formes et à diverses destinations. 

Cécile De Garnier des Garets

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