« Roosevelt, Churchill et Staline étaient tatoués, mais aussi des rois, des reines. Être tatoué veut dire plein de choses, la plus subtile, la plus secrète ou la plus provocatrice »
Tin-Tin, le roi français des tatoueurs.
Aux origines des tatouages
Tout d’abord, rappelons les origines du tatouage qui remontent à des milliers d’années. Cette pratique serait née au Néolitique (- 6000 et – 3000 av. JC) avec Ötzi, un corps momifié retrouvé dans les années 1990 près des Alpes italo-autrichiennes. Il serait pour l’instant le premier Homme tatoué de cette époque avec ses multiples lignes et croix tatouées sur ses articulations.
Au cours de l’Antiquité, de nombreux peuples portaient des tatouages pour effrayer l’ennemi. Ces tatouages étaient ainsi souvent réservés aux guerriers. Mais ces marques pouvaient également être porteuses d’un tout autre symbole comme sous l’Egypte antique où les femmes se faisaient tatouer sur le ventre des signes évoquant la fertilité.
Cependant, à cette époque, le tatouage était également utilisé à des fins punitives. Il était employé pour marquer les esclaves chez les Grecs, permettant ainsi de les reconnaître en tout lieu. Plus tard, les Romains ont repris cette technique en tatouant la première lettre de leur nom de famille sur leurs esclaves. Ainsi, la pratique du tatouage était réservée aux couches de la population les plus basses.
La pratique de ce dessin corporel n’était pas exclusivement réservée à l’Europe, elle se pratiquait partout dans le monde. Diverses ethnies arboraient des tatouages dont les techniques et motivations différaient entre elles.
La période du Moyen-Âge marque une pause dans l’évolution du tatouage par les interdits religieux.
Le pape Adrien signe en 787 la fin de cette pratique à l’exception des tatouages chrétiens. Mais sa disparition ne fût pas entière puisque certains artisans arboraient fièrement ces dessins pour illustrer leurs compétences comme par exemple les architectes avec des compas.
Il faut attendre le début des croisades pour que le tatouage devienne à nouveau populaire. En effet, pour encourager les volontaires à partir vers des contrées lointaines, on leur promettait des rites funéraires chrétiens s’ils se faisaient tatouer une croix sur leur bras.
James Cook remit le tatouage au goût du jour en 1771 lorsqu’il revint de Polynésie. Il importa d’ailleurs le nom « Tatau » en référence à la technique utilisée là-bas qui consistait à « taper » la peau. Au fil du temps, les marins utilisèrent les tatouages comme un souvenir de leurs voyages et la tradition naquit ! Leur peau commença à se recouvrir de leurs histoires, emblèmes et batailles … pour que petit à petit cette pratique se démocratise auprès de toutes les populations.
Cette démocratisation du tatouage fut facilitée par l’apparition de la machine à tatouer électrique par Samuel O’Reilly en 1891. Des professionnels et salons du tatouage s’installent alors partout dans le monde. Ces salons se multiplient surtout dans les années 1970 avec l’apparition des « mauvais garçons », rockers, punks… des populations, marginales à l’époque, qui utilisent le tatouage comme signe de rébellion. Il faut attendre les années 1990 pour que ce dessin corporel devienne un véritable phénomène de mode.
Symbole ou simple acte esthétique ?
Les Ta moko, tatouages polynésiens, sont essentiels dans la culture maorie : ils constituent un rituel représentant le passage à l’âge adulte. Leurs tatouages se composent de nombreuses symboliques qui vont de l’emplacement du tatouage au motif qui est représenté. Par exemple, un tatouage au centre du front va indiquer le rang de la personne au sein de la tribu. Ce sont ainsi de véritables marqueurs sociaux pour ces peuples qui cherchent en permanence à unir les Hommes entre eux mais également à la Terre.
De nombreuses traditions berbères associent également aux tatouages des fonctions thérapeutiques. Au Sahel, par exemple, il était courant de penser que ces dessins corporels pouvaient guérir les inflammations, les maux de tête ou même l’infécondité. A ces fonctions thérapeutiques s’ajoutent des vertus magiques. En effet, ces peuples pensaient se protéger des esprits malfaisants en se tatouant par exemple Le Khamsa (main de Fatima) pour contrer le mauvais œil.
Au VIIème siècle, alors que le Japon est fortement influencé par la culture chinoise, le tatouage est considéré comme tabou et réservé aux criminels. Apparaissent alors les tatouages punitifs pour exclure les condamnés de la société. Cette pratique de l’irezumi (tatouage japonais) se développe avant d’être totalement interdit en 1872 car le gouvernement craint de donner une image d’un peuple primitif au reste du monde. Il est à nouveau autorisé par l’occupation américaine en 1948. Aujourd’hui, on associe souvent les tatouages aux yakuzas (mafia japonaise) qui utilisent ces dessins pour témoigner de leur fidélité à leur clan. Ils sont ainsi mal perçus par la société nippone actuelle.
Avec la multiplication de la pratique du tatouage dans le monde entier, ce dernier s’est démocratisé et ses techniques se sont largement améliorées. Le perfectionnement du graphisme et des styles artistiques ont permis aux tatouages de se transformer en véritables œuvres d’art. Oldschool, tribal, minimaliste… il y en a pour tous les goûts. Ils sont devenus de plus en plus tendance, et aujourd’hui se faire tatouer dans une démarche artistique est aussi répandu que sa pratique symbolique.
Le tatouage, une nouvelle forme d’art
L’art contemporain a permis à l’art de s’exprimer sur divers supports, notamment le corps. Yves Klein a ouvert la voie avec l’action-painting en utilisant les empreintes du corps dans le processus créatif. Le body art a ensuite fait son entrée en scène aux Etats-Unis dans les années 1970. L’artiste considère alors son corps comme une œuvre à part entière qu’il peut modifier à son goût. Orlan, par exemple, utilise son corps dans ses performances artistiques pour en tester ses limites. Aujourd’hui, on y consacre des expositions comme au Musée du Quai Branly qui a réuni plus de 700 000 visiteurs avec « Tatoueurs, tatoués » en 2014.
Selon un sondage de l’IFOP, 55% des Français considèrent le tatouage comme une œuvre d’art. En effet, il en respecte la définition : il se définit par son absence d’utilité et par la subjectivité de sa conception et de l’appréciation qu’elle suscite. Les salons du tatouage se multiplient dans les grandes villes, les pseudonymes des tatoueurs sont reconnus mondialement comme ceux des peintres par leur style et talent particulier. Cependant, ces tatoueurs ne sont pas considérés comme des artistes mais comme prestataires de service dans la loi française car on leur reproche de créer sur la peau. Leur activité ne bénéficie donc pas de la même fiscalité qu’un photographe, peintre ou sculpteur (taux de TVA réduit).
Wim Delvoye, artiste contemporain belge, a cherché à bouleverser cette hiérarchie des valeurs dans l’art. En 2006, il tatoue le dos de Tim Steiner dans sa galerie d’art. Ce tatouage, que l’artiste considère comme une œuvre d’art, a été acheté par le collectionneur allemand Rik Reinking pour 150 000 euros en échange de deux conditions. Ces dernières sont que le propriétaire peut disposer de l’œuvre trois fois par an pour l’exposer et il pourra également récupérer la peau tatouée une fois Tim Steiner décédé (pratique illégale dans la plupart des pays européens). Cette démarche avait ainsi pour but ultime de questionner la place du tatouage dans l’art.
Le tatouage est une pratique millénaire qui a séduit les différentes sociétés qui ont peuplé notre Histoire. Si sa pratique a servi divers symboles, il est irréfutable que le tatouage s’est imposé comme un art à part entière. Cependant, le statut actuel de ces auteurs ne permet pas encore de faire classer le tatouage comme dixième art…
Isabelle Ruiz
Pour aller plus loin…
Tim Steiner, enchères et en os – Libération (liberation.fr)
Sources
Les origines du tatouage et ses usages – Anomaly paris
Le tatouage, un art primitif devenu populaire (lemonde.fr)
Tatouages berbères et leur signification (latatoueuse.com)
Profession | Syndicat National des Artistes Tatoueurs (assoconnect.com)