En 2018, le gouvernement français annonce la restitution de 26 œuvres à la République du Bénin, en 2020 le projet de loi est adopté par l’Assemblée nationale et, enfin, le 10 novembre 2021, une foule est réunie pour assister au retour du trésor sur ses terres d’origine. Aujourd’hui, que sont devenues ces œuvres et qu’elles sont les conséquences de cette restitution sur les pratiques muséales ?
Ces prises de guerre par les troupes coloniales françaises en 1892, après les affrontements du Dahomey, sont des témoignages uniques de ce royaume ayant régné sur la partie sud de l’actuel Bénin au XVIIIème et XIXème siècles. Les 26 œuvres du trésor royal d’Abomey furent conservées au musée d’Ethnographie du Trocadéro en 1893, puis au musée de l’Homme en 1937 et étaient jusqu’alors conservées au musée du Quai Branly Jacques Chirac. Parmi ces œuvres se trouvent des statues royales anthropo-zoomorphes, des portes en bois sculptées ou encore des trônes, témoignant d’un savoir-faire et d’une culture propre à ce peuple. En effet, le développement de l’artisanat et des arts régionaux faisait partie intégrante des règnes des rois du Dahomey.
Pour la population béninoise, cette restitution est un tournant mémorable pour l’histoire du pays. « Je frissonne à l’idée d’observer de plus près ces trésors royaux, notamment les trônes de nos ancêtres. C’est inimaginable. Du haut de mes 72 ans, je peux mourir en paix, une fois que je les aurais vus » a confié Dah Adohouannon, un dignitaire et chef de collectivité à l’AFP. En effet pour ce pays d’Afrique de l’Ouest, il s’agit d’une question de dignité et de fierté nationale que de voir revenir sur le territoire ces œuvres empreintes de symbolique et de sacralité, en témoignent les centaines de Béninois et Béninoises venus accueillir le convoi.
C’est donc sous le signe de l’émotion que le président béninois Patrice Talon a déclaré que « c‘est le symbole du retour au Bénin de notre âme, de notre identité, ce retour du témoignage de ce que nous avons été, de ce que nous avons existé avant ». Les œuvres du trésor d’Abomey seront l’occasion de reconstruire la mémoire des peuples spoliés, mais aussi de stimuler l’unité nationale autour de cet héritage commun.
Pourtant, les œuvres ne sont pas encore tout à fait arrivées au bout de leur voyage. En attendant l’inauguration du nouveau musée d’Abomey prévue pour 2023, les artefacts ont été acclimatés durant deux mois, avant d’être exposés pendant trois mois dans le bâtiment présidentiel béninois puis à l’ancien fort portugais de Ouidah et à la maison du gouverneur, lieux emblématiques de l’esclavage et de la colonisation.
Par ailleurs, c’est une véritable collaboration qui s’est mise en place entre la France et le Bénin. La France a accordé un prêt de 25 millions d’euros au Bénin afin d’accompagner l’érection du nouvel établissement muséal. Deux conservateurs béninois sont aussi présents en France pour coordonner le retour des œuvres.
Cependant, cet événement questionne avant tout le fonctionnement des musées européens et de la législation en matière de restitution des biens culturels. Car si les biens patrimoniaux des Musées de France sont inaliénables et imprescriptibles, et qu’ils ne peuvent changer de propriétaire que par le recours à une loi contournant l’inaliénabilité, il semblerait que de tels processus deviennent de plus en plus courants.
Ceci part du constat, selon certaines études, que près de 90% du patrimoine culturel africain se situerait en dehors du continent. De plus, plusieurs autres pays africains ont aussi adressé des demandes de restitution à la France, dont Madagascar, le Sénégal ou encore le Mali. Ce serait ainsi au moins 90 000 objets d’art d’Afrique subsaharienne intégrés dans les collections publiques, selon le rapport de Bénédicte Savoy et Felwine Sarr sur la restitution du patrimoine culturel africain.
Pour Felwine Sarr, économiste sénégalais, ces événements marquent le début de « l’âge de l’intranquillité » pour les musées occidentaux, une intranquillité face à la multiplication des actes militants en faveur de la restitution de ce patrimoine. L’auteur déplore la rétention de ces objets dans des établissements qui se veulent universalistes et l’imperméabilité de la société civile au débat. Une plus grande diffusion de ces problématiques permettrait pourtant de stimuler la réflexion autour de ces questions d’actualité afin d’envisager une nouvelle législation plus pertinente face aux enjeux actuels.
Dans les propos recueillis par Le Monde, Felwine Sarr confie penser « qu’il est possible d’aménager le droit français tout en respectant le principe d’inaliénabilité qui protège les collections du patrimoine. »
Pour autant, la France n’est pas le seul pays européen à émettre l’éventualité de restitutions. En Allemagne, le sujet prend plus de place dans le débat public depuis quelques années et aux Pays-Bas, certains musées font le premier pas dans les démarches de restitution d’œuvres. De son côté, le Royaume-Uni et le British Museum se montrent plus réticents dans les négociations. Il est cependant intéressant de comparer ces revendications aux pratiques choisies par les musées d’art asiatiques occidentaux qui préfèrent rester propriétaires des œuvres et articuler les relations autour de systèmes de prêts et d’échanges dans lesquels les conditions d’acquisition n’entrent pas en jeu.
Il semblerait donc que le chemin à parcourir pour atteindre des relations décomplexées entre les Etats, les musées et leurs collections soit encore long. Même si la restitution des œuvres du trésor royal d’Abomey témoigne d’une volonté croissante de rétablir un passé spolié, la conception de ce mouvement par la société et par le cadre législatif de ces enjeux n’a pas suivi le rythme des revendications.
Théo Chauby
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