Les mangas et les animés, culture ou sous-culture ?

Les mangas et les animés, culture ou sous-culture ? Retour sur le phénomène de L’Attaque des Titans

En France, toute une génération découvre les mangas Goldorak, Dragon Ball ou Akira grâce à la télévision, avant qu’ils soient repris massivement en format papier. Pourtant, dans leurs pays d’origine respectifs, que cela soit au Japon ou à Taïwan, on observe le phénomène contraire. Les animés sont des adaptations, des manga papier et non l’inverse. Alors pourquoi un intérêt soudain pour l’animé en France ? 

L’histoire du manga et des animés en France 

Rappels chronologiques 

Les premières séries japonaises sont introduites à la télévision française en 1978, sur Antenne 2. Ce choix est avant tout économique, comme l’explique Matthieu Pinon, l’auteur de l’ouvrage Histoires du manga moderne.

 « Si pendant une dizaine d’années les enfants ont regardé plein de dessins animés japonais, c’est parce qu’il coûtait moins cher aux chaînes fraîchement privatisées, telle que TF1, d’acheter des dessins animés tout faits venus du Japon plutôt que des productions françaises ».   

Histoires du manga moderne, Matthieu Pinon.

A partir des années 1990, c’est avec Akira de Katsuhiro Otomo, ou encore Sailor Moon et Dragon Ball chez Glénat, que le marché du manga papier connait une montée en flèche. En effet, les animations sont censurées et adaptées au jeune public. Ainsi, les fans, privés de leurs dessins animés, se tournent vers le manga papier.  

Du milieu des années 1990 au début des années 2000, l’essor est considérable. Les publications annuelles passent de 150 en 1998, à près de 270 trois ans plus tard. De nombreux éditeurs se sont engouffrés dans la brèche. Aujourd’hui, le manga est une des branches du secteur du livre qui fonctionne le mieux.  

Evolution Ventes Manga France – Chiffes GfK et éditeurs, issu du Bilan Manga 2019 de Paul Ozouf sur le site journaldujapon.com.jpg

Sous-culture et mépris de classe 

Bien qu’étant un nouveau phénomène pour la jeunesse, les mangas et les animés sont longtemps considérés comme une sous-culture. Ils sont critiqués, voire méprisés par « l’élite » culturelle, les classes politiques et le CSA (Conseil supérieur de l’audiovisuel). 

En 1989, Ségolène Royale, entre autres, parle des animés ainsi :

« Les animés japonais qui sont exécrables qui sont terribles, beaucoup plus violents que les films. »

Tandis que des œuvres toutes aussi violentes, voire plus encore, sont saluées par la critique. On peut citer en exemple le film Princesse Mononoké ou la peinture de Goya intitulé Saturne dévorant un de ses fils,

Le phénomène est marginalisé, et réduit à quelque chose d’extrêmement violent. Ainsi, les valeurs nobles mises en avant, les qualités artistiques et scénaristiques que les animés peuvent présenter ne sont jamais mentionnées.  

https://m.ina.fr/video/CAB96006695/les-mangas-video.html?fbclid=IwAR0PwMYxhDlZhKupyB2Z4cfsrAkJMmN-LlzvMhVzP_EUzP3BYLaHc_UfX6Y

Le phénomène de L’Attaque des Titans – Shingeki no Kyojin en Japonais

Couverture du premier volume de l’Attaque des Titans d’Hajime Isayama, publication française de Pika Edition

Un peu de contexte

En 2020, L’Attaque des Titans est le 10e manga le plus vendu dans le monde.   

En 2009, cette œuvre de Hajime Isayama, apparaît dans les pages du mensuel Bessatsu Shonen Magazine : le succès est immédiat. L’Attaque des Titans devient une des œuvres japonaises les plus marquantes de ces dix dernières années, avec 100 millions de volumes vendus au Japon. Vendredi dernier, le 9 avril 2021, le dernier chapitre de ce manga est publié.   

« Ce jour-là fut pour l’humanité le brutal rappel de l’écrasante suprématie de ces êtres… et de l’humiliante captivité à laquelle elle avait été réduite. »  

Première phrase de l’histoire tragique de L’Attaque des Titans   

Le synopsis 

Depuis plus d’un siècle, ce qu’il reste de l’humanité vit retranché derrière des murs immenses, à l’abri des Titans. Les Titans sont des monstres énormes, au visage d’homme, uniquement animés par l’envie de dévorer les humains. Tout bascule le jour où l’un d’entre eux détruit la porte de l’enceinte qui protège les hommes de l’extérieur. Il laisse ainsi pénétrer les ennemis de l’humanité dans la ville. On découvre la destinée du jeune Eren Jaëger, un humain qui, face à la tragédie, promet de détruire ses adversaires et d’assouvir sa vengeance. Aux côtés de ses amis, Armin et Mikasa, il décide d’intégrer le bataillon d’exploration, un corps de l’armée qui lutte à l’extérieur des murs pour percer le secret des Titans.  

Les facteurs de succès 

Les personnages 

Hajime Isayama dépeint une multitude de personnages complexes et nuancés, dont le personnage principal qui emprunte beaucoup de caractéristiques à l’« anti-héros ». De plus, aucun personnage n’est à l’abris de la mort, ce qui donne lieu à un suspens intense quand les personnages principaux sont menacés.  

Les Titans, principaux antagonistes de l’histoire, sont des créatures brutales qui génèrent un sentiment de malaise et d’insécurité, autant pour les lecteurs du manga que pour les spectateurs de l’animé. Le mystère qui entoure les Titans maintient l’intérêt de l’intrigue : que sont-ils ? Pourquoi veulent-ils anéantir l’humanité ? D’où viennent-ils ? Les mystères en suspens permettent aux lecteurs et aux spectateurs de transposer des problématiques sociétales contemporaines aux problèmes évoqués dans l’histoire.

La structure 

L’une des principales forces de L’Attaque des Titans, est la capacité de l’auteur à faire évoluer l’intrigue et l’atmosphère du manga au fil des chapitres et des épisodes. Cela permet de nourrir le récit en péripéties. Tout au long de l’histoire, nous sommes exposés à de petites révélations, qui s’imbriquent les unes dans les autres, et font rejaillir à la surface des événements passés. Il semble que l’auteur ait tout planifié jusqu’aux moindres détails. Par exemple, certains personnages qui semblent apparaître à la moitié de l’histoire, sont en réalité déjà présents sur des planches plusieurs chapitres auparavant. De fait, les lecteurs d’Isayama sont à l’affut des indices dissimulés dans le manga, pour pouvoir élaborer des théories quant à l’avenir des protagonistes.  

Dans l’Attaque des titans, tout est toujours sous nos yeux sans que l’on s’en rende compte. 

L’adaptation en animé 

En 2013, L’Attaque des Titans fait l’objet d’une adaptation en animé par Wit Studio. C’est grâce à une animation, une bande originale de qualité et des openings (génériques de début) emblématiques que l’adaptation est très rapidement saluée par la critique. La qualité est au centre de la démarche de l’adaptation – le studio travaille pendant quatre ans sur la saison 2. C’est aussi l’innovation des procédés d’animation qui fait de L’Attaque des Titans une série remarquable. Le nouveau genre graphique adopté est très dynamique, par exemple les perspectives sont plus prononcées pour les scènes d’action et la 3D est utilisée.   

Couverture du premier volume de l’Attaque des Titans d’Hajime Isayama, publication française de Pika Edition

Au Japon, les animés sont généralement un produit dérivé qui a pour but d’augmenter les ventes papier du manga. Dans le cas de L’Attaque des Titans la démarche est différente. Hajime Isayama s’est pleinement investi dans l’adaptation animée de son récit, pour proposer deux œuvres qui se complètent et se répondent. 

La thématique du récit : échos sur les problèmes de société et forte symbolique 

L’Attaque des Titans est classé parmi les « Shonen », à savoir les récits d’aventure, qui ont pour lectorat principal les jeunes adolescents masculins.  En réalité, son audience est bien plus vaste, notamment grâce à la variété des thèmes abordés. C’est un manga très fédérateur, dont les messages ont une portée universelle. On peut citer en exemple la dualité entre les humains et les Titans. Ces derniers sont (alerte spoiler fin de la saison 3) des humains génétiquement transformés en géants anthropophages. Mais c’est avant tout une leçon sur l’histoire de l’humanité : l’homme est son propre ennemi.

In fine, la pluralité des vérités est mise en avant dans l’affrontement entre les peuples Eldiens et Mahr. L’intrigue reste nuancée sur leur conflit, nous sommes alors spectateurs de deux vérités qui s’affrontent. Enfin, il est important de mentionner le grand nombre de références occidentales et les métaphores à certains drames du XXe siècle qui rendent l’œuvre d’autant plus intéressante.  

Conclusion 

Ainsi cette épopée a réussi à parcourir le monde entier grâce à ses thématiques universelles et a ses références historiques traitées avec singularité. Ce succès s’illustre par ses ventes mais aussi par ses nombreuses adaptations en live action et en jeux vidéo.  

L’Attaque des Titans se base sur les codes du Shonen, dans lequel on retrouve des valeurs telles que la loyauté, l’amitié, la bravoure. Cependant Isayama déconstruit ces codes pour renforcer les aspects rudes et cruels de son univers. Il met en exergue l’idée que dans notre monde personne n’est vraiment spécial, qu’il n’y a pas d’élu. Il en est de même pour le personnage principal, ce qui permet aux lecteurs de s’identifier à lui plus facilement.  

Si Isayama n’est pas un bon dessinateur (bien qu’il se soit amélioré au fil des tomes) son manga n’en est pas moins un succès mondial. Cela démontre d’autant plus les qualités scénaristiques de son histoire. Finalement L’Attaque des Titans est une proposition unique sur le marché du manga. L’absence d’intrigues amoureuses et de répliques humoristiques a su attirer un public moins jeune grâce à une narration qui ne garde que l’essentiel et qui se démarque par son coté brutal.  

Emma Veyrin-Forrer 

En quelques chiffres L’Attaque des Titans c’est :  

34 tomes 

75 épisodes  

Plus de 100 millions d’exemplaires vendus dans le monde. Seulement 17 mangas ont dépassé ce cap, dont 3,5 millions en France.  

A titre de comparaison, One Piece, le premier manga du classement des ventes mondiales. Il a été vendu à plus de 500 millions d’exemplaires pour 98 tomes depuis 1997. 

Sources :  

https://www.youtube.com/watch?v=-IwIh9ccQJU (10 minutes 15) 

https://www.journaldujapon.com/2019/06/26/bilan-manga-2018-ventes-en-france-toujours-plus-haut/