Quelle place pour les femmes et minorités de genre sur la scène électronique ?

Après avoir arpenté de nombreux clubs et festivals à Paris et dans le reste de la France, j’ai pu faire un constat alarmant : la représentation des femmes et des personnes non binaires sur le devant de la scène électronique est si rare que nous devenons de vrais privilégié.e.s lorsque nous avons la chance de croiser leur chemin. C’est pourquoi j’ai décidé de mener de plus amples recherches à ce sujet.

En effet, si je vous parle de musique électronique, c’est-à-dire d’électro, de house ou encore de techno, j’imagine que les artistes qui vous viennent en tête sont David Guetta, Avicii, les Daft Punk ou encore Fred Again. Et quel est le point commun entre ces artistes ? Leur genre : tous s’identifient comme homme.

Un peu d’histoire de l’électro…

Si certaines femmes ont été pionnières de la musique électronique, notamment Johanna Magdalena Beyer et son oeuvre « Music of the Sphere » parue en 1938 ou encore Daphne Oram qui a profondément marqué les années 1960 avec la création de son propre instrument de musique électronique « l’Oramic ». Celles-ci se sont faites éclipser par les hommes durant de nombreuses années en raison des dogmes et paradigmes socio-culturels de l’époque ; les femmes devaient s’occuper de leur foyer et non se soucier des technologies ou des sciences, domaines considérés comme réservés aux hommes.

Années 1980 et 1990

Les années 1980 et 1990 marquent un tournant pour les femmes et autres minorités de genre dans leur relation avec la musique électronique grâce à l’apparition de la house ainsi que de la techno. Ces décennies ont également donné naissance aux free party, particulièrement populaires auprès des classes moyennes durant lesquelles les femmes se sont mises à écouter davantage de musique électronique.

Début des années 2000

C’est à la fin des années 1990 et le début des années 2000 que l’on voit pour la toute première fois des DJ féminines se produire sur scène comme Miss Kittin ou encore Nina Kraviz. Une révolution porteuse d’espoirs qui ne doit cependant pas occulter les trente ans de retard que le monde électronique a essuyé quant à la représentation des femmes.

Daphne Oram travaillant à la machine Oramic au Oramics Studio for Electronic Composition à Tower Folly dans le Kent
Daphne Oram travaillant à la machine Oramic au Oramics Studio for Electronic Composition à Tower Folly dans le Kent

État des lieux de la situation

Avec ces évolutions, on pourrait penser qu’une égalité des genres se dessine enfin, toutefois ce dessin n’est qu’à son début. 

Les festivals

En effet, que ce soit dans les festivals électroniques mondiaux où elles.iels ne représentent que 21%* des artistes programmés ou encore dans les plus grands labels de musique électronique, les femmes et autres minorités de genre sont largement sousreprésenté.e.s. Par exemple, lors du festival Lolapalooza en 2022 à Paris, qui comporte une scène réservée à la musique électronique, sur seize artistes programmés, on ne comptait aucune femme et une seule personne non-binaire ;  Moore Kissmet un.e DJ de 18 dix-huit ans originaire des États-Unis dont le répertoire musical regroupe l’EDM, le dubstep, la trap et le future bass.

Les labels

Le constat est le même pour les labels : si l’on prend l’exemple de Ed Bangers Records fondé en 2003 par Pedro Winter (plus connu sous son nom de scène « Busy P »), qui a notamment propulsé Justice ou encore le célèbre duo Cassius, on ne retrouve que trois femmes parmi les vingt-deux artistes qu’il représente.

électro et sexisme

De plus, les femmes et personnes ne s’identifiant pas aux genres binaires qui mixent font souvent face au sexisme ainsi qu’aux violences verbales et sexuelles sur leur lieu de travail. Selon une menée menée en 2019 par le College of Music of Berklee et Women in Music, ce sont 80% des femmes faisant partie de l’industrie musicale qui affirment avoir déjà été victimes de sexisme au travail. Sexisme bien dépeint par DJ Carie aka La Dame qui préside l’antenne française de Future Female Sound, une organisation internationale qui enseigne gratuitement les techniques du mix aux femmes puis les aide par la suite à la gestion de leur carrière, lors d’une interview de France Culture en 2021. C’est sur cette antenne que DJ Carie confie son quotidien rythmé par des discours moralisateurs et dénigrants : « Tu mixes bien pour une fille » , « Sois plus jolie, pourquoi tu es mal habillée ? » ou encore des leçons enfantines sur l’installation de son matériel au début d’un gig ; ce qu’elle dénonce comme étant une forme de domination masculine.

*selon une étude qui a été menée en 2020 par le réseau Female pressure

La DJ Moore Kismet
Moore Kismet

Une égalité des genres possible ?

Pourtant, des artistes de minorités de genre qui mixent à merveille et ont un univers incroyable ce n’est pas ce qui manque aujourd’hui. À tel point qu’on voit l’émergence de nombreux collectifs 100% féminins à l’instar de Vénus Club. Ce collectif français fondé par ABS8LUTE (de son vrai nom Elodie Vitalis) a pour but de créer de nouveaux « safer spaces » tant bien dans l’expérience de la fête que dans sa dimension professionnelle. Vénus Club compte vingt résidentes et « une centaine de satellites » qui suivent son travail inclusif.

De même, certains clubs parisiens vont vers des programmations de plus en plus paritaires comme le Club Sacré situé dans le deuxième arrondissement de Paris. Cependant, le fondateur et dirigeant du Sacré, Martin Munier, tient à préciser qu’il n’est pas pour la discrimination positive concernant la parité mais aime programmer des femmes dans son club pour leur talent ainsi que leur univers. Et la promesse est bien tenue puisqu’il propose autant d’artistes femmes que hommes aussi talentueux les un.e.s que les autres.

Photos des membres du collectif Venus Club
Venus Club, © Dure Vie
Logo Venus Club
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Certaines initiatives viennent même parfois d’artistes eux-mêmes comme les podcasts Spasmophilie du duo contrxaction (duo spécialisé dans l’acid techno). Spasmophilie est un podcast qui a pour objectif de donner davantage de visibilité aux artistes femmes et plus largement aux minorités de genre. Une seule condition cependant est demandée aux DJ invité.e.s : que 51% des tracks passés dans leur set soient produits par des artistes femmes et/ou appartenant à des minorités de genre.

De quoi espérer que les choses changent et que femmes et minorités de genre puissent un jour être autant représentées que les hommes sur la scène électronique.

Et si vous souhaitez aller plus loin sur la question, je vous conseille de voir le documentaire Underplayed écrit et réalisé par Stacey Lee.

Camille Daens