Aujourd’hui, on vous présente l’autrice Olga Tokarczuk ! En 2019, le prix Nobel de littérature de l’année 2018 lui est attribué. Au lendemain du scandale sexuel ayant ébranlé l’académie et justifiant ce report, c’est donc une femme polonaise, connue pour ses dreadlocks et son engagement en faveur de l’écologie, qui reçoit ce prix. Bien que médiatisée en France, son œuvre pléthorique reste peu connue. On vous a donc sélectionné trois œuvres de l’autrice pour mieux comprendre son univers tout à fait singulier !
Qui est Olga ?
Romancière Polonaise, Olga Tokarczuk a publié une quinzaine de romans. À ce jour, il s’agit de l’autrice polonaise la plus lue à l’étranger. Dans son pays natal, elle est considérée comme la plus grande écrivaine de la littérature contemporaine et a été à plusieurs reprises distinguée par le Prix Nike (équivalent du Goncourt). Sa marque de fabrique ? Son sens aigu de l’observation des comportements humains, qu’elle ancre souvent dans une réalité presque surnaturelle. En 2018, elle explique ainsi :
« On ne peut pas décrire le monde en utilisant des outils réalistes, anachroniques pour la réalité aujourd’hui. Le monde a transgressé les frontières qu’il avait auparavant, les outils sont devenus désuets. Mon obsession, lorsque je lis des romans réalistes, est de chercher des scènes en dehors du réalisme. »[
Olga est une travailleuse acharnée. Exigeante avec les sujets qu’elle aborde, elle mène de longs travaux de recherche pour créer avec le plus de matière possible. Pour Les livres de Jakob, fresque sur le singulier Jakob Frank, elle étudie pendant 8 ans les archives de différentes institutions et commence même à apprendre l’hébreux afin d’accéder à des documents non traduits. Pour Les Pérégrins, elle partira 1 an à Amsterdam afin d’y étudier l’anatomie et la vie du médecin Ruysch.
Dans chacun de ses ouvrages, on retrouve chez Olga un goût prononcé pour les voyages et le mouvement, le rapport au temps qui passe, la nature.
Les Pérégrins, ôde au mouvement
Le voyage a toujours eu chez Olga une place prépondérante. Son premier ouvrage sera Podróż ludzi Księgi(« Le voyage des gens qui lisent »). Mais c’est avec Les Pérégrins, un roman à tiroirs, qu’elle décline sa fascination pour le nomadisme.
Pépite dans la littérature de voyage, Les Pérégrins nous embarque pour un périple unique. En recensant les notes de tous ses voyages, l’autrice nous emmène en Pologne, mais aussi aux Pays-Bas, en Croatie, aux États-Unis. Au-delà du voyage dans l’espace, Olga nous fait également voyager dans le temps. Les Pérégrins se transforme alors en un ouvrage d’histoire. Au détour des pages, on y découvre l’épopée du cœur de Chopin, la découverte du talon d’Achille au XVIIe siècle, la vie du médecin et botaniste néerlandais Ruysch…
Au total, ce sont 116 histoires qui mettent en scène des nomades du quotidien, fictifs ou réels : 116 histoires qui racontent des personnages arpentant des quais de métro, conduisant des ferrys, fuyant leurs familles… L’ouvrage grouille de destins entremêlés, de personnages en mouvement perpétuel et aux expériences plurielles.
« Ce roman, en forme de constellation, reflète cette obsession à rechercher des liens entre les différentes expériences que nous vivons. »[
Pourquoi faut-il faire lire Les Pérégrins ? Parce que l’auteure nous fait voyager dans l’espace, dans le temps et nous montre que pour voyager et faire voyager l’imagination suffit.
Dieu, le temps, les hommes et les anges : une histoire du temps qui passe
Dieu, le temps, les hommes et les anges, c’est l’histoire d’un jeu :
« Le jeu est une sorte de chemin sur lequel se succèdent de multiples choix, annonçait le texte au début. Les choix s’effectuent automatiquement, mais parfois le joueur a l’impression de prendre des décisions raisonnées. Il se sent alors responsable de la destination prise et de ce qui l’attend au bout. Cette éventualité est susceptible de l’effrayer ».
Ce jeu mystérieux structure ce conte. C’est le châtelain Popielski qui en est le joueur et, à mesure qu’il lance les dés et avance, son village, Antan, s’ouvre vers d’autres mondes, des mondes effrayants. Hameau polonais parmi d’autres, Antan est un cocon où le temps passe au gré des saisons : « tout ce qui existe hors des frontières d’Antan est aussi trouble et changeant qu’un rêve ». Le monde extérieur semble absent dans les destins de ses habitants.
L’ouvrage raconte ainsi l’histoire du Châtelain Popielski et celles de Geneviève, Misia, Elie, la Glaneuse, le Mauvais Bougre, Divins… Chaque personnage traverse l’ouvrage pour s’évanouir au fil des pages, dans le temps qui passe. Car finalement, le cœur de l’histoire est le rapport au temps. À mesure que le châtelain lance son dé et que le jeu avance, les saisons passent et les frontières d’Antan se lézardent. Dans les brèches, c’est l’Histoire sombre et cruelle de la Pologne qui s’engouffre et vient définitivement rompre « le temps d’Antan ».
Pourquoi faut-il lire Dieu, le temps, les hommes et les anges ?Au-delà de l’écriture, c’est la forme même de l’ouvrage qui fascine. Cet ouvrage nous parle de frontières, de la porosité entre différents mondes. Les formes littéraires s’en retrouvent également perturbées. O. T explique ainsi : « Je raconte en partie l’histoire de ma famille, mais, au lieu d’en faire un récit biographique ou historique, j’ai voulu en faire un mythe. »[
Spoor : l’engagement de Tokarczuk dans une œuvre cinématographique
En 2017, Anieszka Holland (Europa, Europa ; House of cards), adapte Sur les ossements des morts de Tokarczuk. Cette dernière, co-scénariste, est d’ailleurs associée tout au long de la construction du film. Pour cette histoire, Olga Tokarczuk a choisi la forme du polar. Récompensé à la Berlinale en 2017, Spoor raconte la vie de Janina, une vieille femme passionnément engagée pour la cause animale. Cet engagement se traduit par une lutte avec les chasseurs de son village et plus largement contre les institutions établies. Lorsque les chiens de Janina disparaissent, d’étranges phénomènes surviennent au point que les chasseurs deviennent les proies dans une nature qui semble reprendre ses droits.
Pourquoi faut-il voir ce film ?Le film démontre du goût de Tokarczuk pour, encore une fois, le mélange des genres. Entre thriller et polar, le film a le goût du fantastique. Enfin, au-delà des images magnifiées par une réalisation faisant la part belle à la nature, ce film traduit l’engagement de Tokarczuk. Le résultat est un véritable plaidoyer pour l’écologieoù le personnage de Janina est une métaphore de « dame nature ».
Par Juliette Bord
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