Zhou Wenjing : la douleur et la violence dans la beauté

Le mot qui vient généralement à l’esprit quand on parle d’art contemporain est : incompréhensible. Aujourd’hui, cependant, je voudrais présenter une jeune artiste contemporaine chinoise, Zhou Wenjing, et ses œuvres d’art contemporain accessibles et intelligemment conçues.

Série des Femmes – DIU N°1

En 2014, elle a réalisé sa première œuvre d’art contemporain, intitulée Serie des Femmes-DIU. À première vue, cette œuvre ressemble à une série de bijoux magnifiquement réalisés, qui paraissent nobles et élégants sur un fond de velours bleu. Mais lorsqu’on se lance dans ce travail, en connaissant l’utilisation réelle et la douleur qui se cache derrière eux, on ne peut plus en apprécier la beauté (NB).

Série des Femmes – DIU N°1, 2014
140*120cm, cuivre/PVC/silicone

En février 2011, après que la mère de Zhou a retiré le stérilet qui avait été placé dans son corps pendant plus de vingt ans, elle a saigné abondamment pendant un mois. À l’époque, le médecin lui avait diagnostiqué un cancer de l’utérus, ce qui a eu un impact important sur elle et sa famille. C’est la raison pour laquelle l’artiste a commencé à rechercher les relations entre DIU (Dispositif Intra-Utérin), la maladie et les liens sociologiques et politiques. À cette fin, elle a également interrogé 50 femmes qui ont utilisé le stérilet et a réalisé une étude pathologique.

En 2014, elle a créé l’œuvre « DIU » en utilisant son matériau le plus typique, le cuivre. Elle a reproduit les différentes formes  que le stérilet a prises depuis sa création et en a fabriqué plus de 300 à l’échelle 1:1. Ils ont ensuite été placés sur un délicat velours bleu, comme des bijoux de femme, geste revêtant une forte dose d’ironie.

Reconstruction de ses idées artistiques après son arrivée en France

Elle s’est ensuite installée en France pour poursuivre un deuxième Master à l’École des Beaux-Arts de Nantes. Pendant cette période, l’école d’art a eu une influence majeure sur elle, notamment en matière de réflexion philosophique. Son artiste préférée est Pina Bausch, « I grieve so I dance » : La racine de l’art vient du sentiment, des émotions fortes, d’amour et de haine, il concerne tout le monde ; un autre artiste qu’elle admire est Bill Viola, dont le travail, selon elle, va à l’origine même de la vie et de la mort, qui sont la source de l’art.

En 2016, inspirée par l’une des œuvres précédentes de Bill Viola, Zhou Wenjing a voulu renforcer l’ironie de son précédent travail DIU et mettre en avant le sentiment douloureux d’être enraciné dans le corps. Elle a donc commencé à recréer le thème de “Stérilet”. C’est également un travail important dans sa série Rouge. Elle a inséré un anneau contraceptif dans  un carreau de porcelaine et puis l’en a fait sortir. La céramique a laissé une trace “douloureuse”, qui a ensuite été brûlé et garde une marque éternelle. Lorsque les deux œuvres de DIU sont présentées en même temps dans une exposition, un dialogue intéressant s’établit – l’une est réelle, l’autre est vide.

Série Rouge N°6, 2016 (image de droite)
Céramique

Le mot « rouge » est utilisé dans toute la série comme une métaphore. Le premier sens métaphorique est « sang ». L’effusion de sang est l’expérience la plus fréquente dans le corps féminin au niveau biologique, qu’il s’agisse de menstruations, d’accouchement, de blessures ou de maladies. Dans son travail, le deuxième sens métaphorique de rouge est la douleur, l’éveil de la conscience de soi, sa mère, l’amour.

Séries Rouge

Avec les six œuvres de sa série Rouge, on peut voir non seulement la variation de son expression artistique, mais aussi l’exploration apparemment intentionnelle de différentes formes d’art et la synthèse de différents matériaux. On y trouve des sculptures, des installations, des aquarelles et des vidéos, des matériaux du plâtre à la céramique en passant par les liquides rouges, etc.

Dans la série Scalpel (Red Series N°1), l’artiste dessine à l’encre rouge des appareils chirurgicaux, principalement des appareils chirurgicaux féminins, à l’échelle 1:1, avec des dessins techniques à côté pour indiquer leurs dimensions.

La forme froide contraste fortement avec l’intérieur chaud, utilisant également une approche paradoxale pour faire ressortir les émotions rationnelles. La série de fonds d’écran rouges est belle et chaleureuse. En y regardant de plus près, on voit que le contenu est constitué de ciseaux chirurgicaux et d’anneaux de contrôle des naissances dessinés à l’encre rouge. La froideur extérieure et la violence intérieure ont un fort impact sur la perception humaine. La séduction reste à la surface, en contradiction avec le sens profond de l’œuvre.

Série Rouge N°5, 2016
Animation vidéo 16:9

La troisième œuvre de la série Rouge est aussi celle qui étonne Zhou. Elle a créé 12 corps de femmes, en plâtre blanc immaculé, sans tête, ni mains, ni jambes, ni de symboles d’identité personnelle et sociale, ne conservant que les parties des femmes ayant des fonctions reproductives.

Le plâtre est un matériau qui se transforme lorsqu’il absorbe de l’eau. Au début, il révèle une couleur rose très douce. Mais au bout d’un mois, cela devient horrible. L’encre rouge est comme une lymphe qui monte et tache le corps. Comme ce plâtre absorbe lentement l’eau et sèche, il prend le caractère d’une maladie abstraite, formant des dépôts blancs et jaunes à la surface du plâtre, comme des sécrétions cutanées qui vous font sentir mal, le corps insulté, contaminé, endommagé.

Série Rouge N°3, 2016
40*20*20cm, plâtre

Une invitation à la réflexion

Nous pouvons percevoir aussi dans son travail une préoccupation réelle pour la souffrance des femmes, et cela nous rapproche de l’art contemporain qui peut être chaud, froid, ludique, et qui peut même afficher un soupçon de malice. De telles œuvres d’art, qui incitent à la réflexion et vont droit au cœur, ont un impact plus important que des slogans : les femmes veulent l’indépendance et la liberté. Certains problèmes ne peuvent peut-être pas être résolus du jour au lendemain, mais il faut au moins que quelqu’un les trouve et les présente au grand public.

Comme le dit l’artiste : l’art peut ne pas être une discipline pratique. L’art se présente souvent comme inutile, inutile pour rien. L’artiste pose les questions avec les yeux de l’art, et la personne qui peut vraiment résoudre ce problème est probablement un scientifique, un sociologue, un médecin ou autre.

Interview de Zhou Wenjing

TC : Votre dictionnaire du pouvoir définit l’art contemporain comme un art autre que les « beaux-arts ». Peut-on comprendre que les artistes contemporains ont plus de formes de création et doivent donc conceptualiser le message qu’ils veulent transmettre ?

ZW : Le dictionnaire est principalement ironique et humoristique, une satire sur le dilemme auquel est confronté l’art traditionnel aujourd’hui.

TC : Pensez-vous que l’art contemporain doit être compris par le public ?

ZW : Il est difficile de juger un genre artistique dans son ensemble, et la définition de l’art contemporain fait encore l’objet de nombreuses controverses, et il n’est pas facile de juger quand on ne sait pas clairement ce qu’est l’art contemporain.

Cependant, aujourd’hui, de nombreux artistes contemporains commencent à s’intéresser à la question de la publicité, et il existe également de nombreux artistes interdisciplinaires, tels que l’anthropologie sociologique et les études croisées sur l’art, ces types d’art doivent avoir un caractère public.

Personnellement, je pense que l’art doit provoquer à communiquer et à partager. La niche et la masse ne sont parfois qu’une question de temps. J’ai créé la Série de Stérilet en 2014, à l’époque peu de gens le voyaient et en discutaient. Est-ce considéré comme un créneau ? Aujourd’hui, plus de gens le voient et plus de gens y font attention, est-il considéré comme une niche ? Je n’en suis pas sûre.

TC : Êtes-vous d’accord avec les commentaires sur Internet concernant votre œuvre DIU : c’est beau et violent ?

ZW : Oui, c’est beau, mais la violence dans le contenu est une sorte d’approche paradoxale que j’aime. Il y a une différence entre cela et le terme « esthétique de la violence » que nous utilisons, parce que la douleur et la violence dans mon travail sont plus internes, physiques, de maladie, de pouvoir.

Tiantian Chen

NB :  Le taux de  DIU posés est relativement élevé chez les Françaises, plus que dans les autres  pays européens, avec 21 % des femmes entre 15 et 49 ans qui l’utilisent. En France les femmes sont régulièrement suivies par un médecin , de sorte qu’il n’y a généralement pas de dommages subis. En Chine, cependant, ce taux atteint 40 %. (Selon les données de l’OMS en 2011)

Depuis les années 1980, quand la Chine est entrée dans une période de planification familiale obligatoire, environ 10 millions de femmes  se sont fait poser un stérilet chaque année de 1980 à 1990, selon les données publiées par la Commission nationale de planification sanitaire en Chine, mais la plupart d’entre elles ne se soumettent pas à des contrôles de suivi. Et en raison du manque de connaissances sanitaires, elles ne savent pas non plus comment fonctionne le stérilet ni la durée d’expiration (5 ou 10 ans selon le type de stérilet) pour sa pose, et elles ne vont généralement chez le médecin que lorsqu’elles ressentent des douleurs insupportables. Cependant, les stérilets périmés risquent de s’incruster dans le myomètre ou la couche de plasma de l’utérus, ce qui provoque des douleurs abdominales, des saignements, des infections internes, des lésions d’organes, etc. En 2016, le professeur Sun Xiaoming de l’université des postes et télécommunications de Nanjing a déclaré dans une interview accordée à Xinjing News que son équipe avait prédit qu’environ 26 millions de Chinoises devraient se faire retirer leur stérilet au cours de la prochaine décennie.

Sources :

https://www.sohu.com/a/276411510_301394

https://www.chinesenewart.com/chinese-artists17/zhouwenjing.htm

https://www.shejipi.com/518672.html

https://beauxartsnantes.fr/zhou-wenjing-dnsep16

LE DISPOSITIF INTRA-UTÉRIN : AMÉLIORER LE CONSEIL CONTRACEPTIF CHEZ LA FEMME NULLIPARE, Revue de littérature systématique, présentée et soutenue publiquement le 15 octobre 2013, Léa Plan.

Pour aller plus loin :

Zhou Wenjing : son travail, ses œuvres