À l’ouest rien de nouveau: de grandes avancées pour Netflix…

Fin septembre 2022, le grand public a pu assister à la sortie sur Netflix du film allemand À l’Ouest Rien de Nouveau, réalisé par Edward Berger et adapté du livre éponyme de Erich Maria Remarque, une production de cette même plateforme. Le film raconte l’histoire d’un jeune allemand de 18 ans, Paul Baümer, incarné par l’acteur tout aussi jeune Felix Kammerer, envoyé sur le front de l’ouest avec ses camarades en 1917. À travers cette fresque visuellement très impressionnante, on retrouve les conditions de vie sur le front, l’insoutenable violence des combats, en particulier au corps-à-corps, l’enthousiasme général du début de la guerre jusqu’à son essoufflement total et l’impact des combats sur les hommes de l’époque.

A l’ouest rien de nouveau (teaser officiel)

Un message pacifique marqué par la brutalité

S’il est rare pour les Français d’assister à des films de guerre côté allemand, ces derniers revêtant le rôle d’ennemis féroces et sanguinaires dans nos films, c’est ici logiquement l’inverse et il en découle la vérité retentissante de l’absurdité de la guerre, du moins pour les soldats sur le front : les généraux dans le film sont dépeints comme des egocentriques envoyant des milliers à l’abattoir pour gagner quelques mètres de terrain. Cette volonté de montrer que la guerre manque de sens se retrouve dans des scènes extrêmement brutales (réellement difficilement soutenables) de combat au corps-à-corps avec les soldats français : lors d’un affrontement, Paul, dans un regain d’humanité, essaye de sauver un ennemi à qui il vient d’asséner le coup fatal ; le message est clair : même dans les moments de violence les plus extrêmes, la nature sympathique et adelphique de l’être humain se réveille.

C’est d’ailleurs une des lignes de conduite principales que le film a en commun avec le livre original. En effet, clé de voûte du pacifisme en Allemagne, À l’ouest rien de nouveau fut un succès mondial dès sa sortie en 1929, insistant sur la désillusion que subirent les jeunes allemands endoctrinés lorsqu’ils arrivèrent au front et furent choqués par la brutalité de ce conflit. Dans le livre, le message pacifique passe davantage par la souffrance morale et psychologique des personnages que par l’horreur explicite des combats uniquement. Certes, ces derniers y sont dépeints, mais on s’interroge également sur les conséquences individuelles du conflit : comment va-t-il être possible pour les soldats que la vie reprenne un cours normal ? La philosophie majeure de l’ouvrage est bien moins présente dans le film, notamment car son héros s’y pose moins de questions : il est de plus en plus fataliste, condamné et amorphe au fur et à mesure que ses camarades tombent. C’est la monstruosité de la guerre même qui nous interroge sur l’utilité de cette dernière, plutôt que les questionnements internes du personnage. C’est ce manque de ressemblance avec le héros du livre qui a valu au film d’être torpillé par la presse critique allemande.

Un accueil critique international mitigé

En effet, malgré le succès mondial du film, les journalistes allemands se montrent acerbes vis-à-vis d’À l’ouest rien de nouveau. Hubert Wetzel, journaliste au Süddeutsche Zeitung, déclare que le classique de la littérature allemande a été seulement transformé en spectacle « excitant pour les Oscars« , à tel point qu' »on se demande même si le réalisateur a lu le roman« . Le critique décrit le film comme « 148 minutes de guerre kitsch genre blockbuster qui sont giflées avec un titre internationalement connu et garant de prestige et de bonnes ventes« . En effet, de nombreux passages du livres ont été modifiés à l’écran, à tel point qu’on peut se demander si les scénaristes n’ont pas tout simplement écrit leur propre scénario en gardant les noms de l’œuvre et des personnages originaux. On déclare même dans Bild : « Sa version du classique d’Erich Maria Remarque est d’une impudence indescriptible. Il faut une part considérable d’ignorance, d’irrespect et de soif d’Oscar pour gâcher un chef-d’œuvre de cette manière, pour pulvériser son contenu et son histoire si impitoyablement ». Car c’est justement un autres des rebondissements autour de ce film : ce dernier a été nominé pour pas moins de 9 oscars, dont celui de meilleur film et de meilleure photographie, il est en passe de devenir le film allemand le plus récompensé de l’histoire !

Au-delà de l’œuvre, Netflix s’impose dans le milieu du cinéma

La présence de ce film à ces nominations témoigne d’une autre réalité : l’Académie des Oscars accepte peu à peu la présence et la récompense au sein de ses cérémonies de films produits par Netflix et disponibles uniquement sur la plateforme ; en 2017, par une forme de boycott de l’Académie, le film Okja, bien que récompensé dans la plupart des autres festivals, n’avait pas même était nominé aux Oscars, ce qui avait fait polémique dans le milieu à l’époque.  On constate au vu de la situation actuelle la montée en puissance de Netflix dans l’industrie du cinéma, que ce soit au niveau de la qualité des films produits, du succès de ses sorties, tant au niveau des affluences que des récompenses… Nous assistons probablement aux premières heures de la compétition entre les grandes plateformes de streaming pour les meilleures productions, les plus grands succès auprès du public, pour le plus grand malheur des productions de cinéma « traditionnelles »… La rivalité ne se fait pas attendre pour Netflix, avec les nombreux films produits par Amazon depuis 2016, notamment Manchetser by the Sea, également auréolé de succès aux Oscars en 2017.

Au-delà de ces considérations d’enjeux autour du milieu du cinéma et des œuvres suivant fidèlement leurs livres, je vous conseille grandement À l’ouest rien de nouveau, le film est absolument captivant, que ce soit au niveau des images, de la progression de l’histoire, du héros ou encore de l’ambiance sonore… Cela dit il vaut mieux avoir l’estomac bien accroché car certaines scènes auront du mal à passer !

Félix Thomas

Sources :

Allociné : https://www.allocine.fr/article/fichearticle_gen_carticle=1000011023.html

Les Echos : https://www.lesechos.fr/weekend/cinema-series/a-louest-rien-de-nouveau-un-remake-glacant-dactualite-1874001

Le Parisien : https://www.leparisien.fr/culture-loisirs/cinema/a-louest-rien-de-nouveau-cest-quoi-ce-film-netflix-plus-nomme-aux-oscars-que-top-gun-26-01-2023-ATZY7RQ7GFCZ5K7QGH3KVG5QJU.php

Euronews : https://fr.euronews.com/2023/01/22/cinema-a-louest-rien-de-nouveau-le-film-domine-les-nominations-aux-bafta