L’empire Disney et le danger d’un monopole

Le rachat de la 21st Century Fox en 2019 a posé beaucoup de questions quant au dangereux monopole que Disney est en train de se créer, car ce rachat lui permet d’acquérir des chaînes telles que National Geographic ou le réseau Sky, mais aussi côté cinéma de franchises telles que X-men et les droits de distribution de Titanic, Alien ou Avatar entre autres. Ce rachat vient marquer la concrétisation d’une volonté devenue réalité de concurrencer Netflix sur le marché des plateformes de streaming. Ajoutons à cela tous ses parcs d’attractions dans le monde et se dresse alors le bilan de presque 100 ans d’expansion, non sans embûche pour parvenir à créer un empire du divertissement.  Un empire qui pose des questions et qui fait parfois peur.

Walt Disney, un patron visionnaire, en quête de modernité

Aux prémices de Disney se trouve une recherche de modernité. Walt Disney, qui au début des années 1920 avait quelques courts-métrages d’animation à son actif décide en 1923 de créer avec son frère son propre studio, le Disney Brothers Studio, rebaptisée Walt Disney Studio en 1926. Walt voit dans l’animation le futur du divertissement sur grand écran.

Couverture du court-métrage d'animation Mickey Mouse in Steamboat willie
Les débuts de Mickey Mouse ©Wikipédia

Les débuts sont compliqués pour le nouveau studio qui ne parvient pas à vendre aux distributeurs la nouvelle création de Walt, une certaine souris nommée Mickey. Walt Disney s’intéresse donc à l’utilisation du son dans l’animation. Si certains dessins animés sonores comportaient déjà du son, Walt, plein d’ambition, investit tout son argent dans son court-métrage d’animation Mickey Mouse Steamboat Willie. Le son n’est alors pas qu’un simple accompagnateur de l’image, mais partie intégrante du court-métrage, accompagnant les gags, ce qui marquera le premier succès du studio.

Plusieurs courts-métrages usant de nouvelles technologies ainsi qu’un budget très conséquent lui permettent de mêler cette expérience pour produire en 1937 ce qui marquera un tournant dans l’histoire du studio : Blanche-Neige et les Sept Nains. Le film est évidemment un énorme succès et le plus gros succès du cinéma jusqu’à Gone with the Wind deux ans plus tard. Il révolutionne le genre de l’animation et propulse Disney sur l’avant-scène.  L’équipe de plus de 1200 animateurs déménage alors dans de nouveaux locaux à Burbank, Los Angeles.

Couverture du magazine LIFE en 1971, à la création du parc Disney World  ©Reddit
Couverture du magazine LIFE en 1971 ©Reddit

En 1940, Disney définit son projet d’ouvrir un parc d’attractions qui ouvre en 1955 à Anaheim (Californie). L’expansion Disney a commencé. Puis en 1971, c’est Disney World à Orlando (Floride) qui ouvre ses portes avec 11 000 hectares contre 37 pour celui de Californie. Walt Disney ne verra jamais le parc puisqu’il s’éteint en 1966. Cependant, son héritage continue et des parcs ouvrent un peu partout dans le monde à Paris, Tokyo, Hong-Kong et Shanghai.

Avec cette diversification, le modèle de l’entreprise fait peur à certain et on parle déjà de Disneyisation pour désigner l’uniformité culturelle que l’entreprise est en train de créer.

L’histoire de Disneyland Paris, ouverture de la Tour de la terreur, ina.fr

« Disney, c’était encore du spectacle, du folkore, avec un effet de distraction et de distance alors qu’avec Disney World et son extension tentaculaire, on a affaire à une métastase généralisée, à un clonage du monde et de notre univers mental non pas dans l’imaginaire mais dans le vrai et le virtuel. Nous devenons non plus les spectateurs aliénés et passifs, mais les figurants interactifs, les gentils figurants lyophilisés de cet immense reality-show. »

Jean braudillard, Libération

Un empire qui ne finit pas d’asseoir son monopole au XXIème siècle

Au début des années 2000, Disney est sans aucun doute un mastodonte du divertissement, avec plus de 70 productions à succès. Mais l’empire ne s’arrête pas là. Le studio souhaite s’étendre de plus en plus sur le cinéma hollywoodien et en un peu plus de 10 ans, par le biais d’acquisitions, se hisse au rang du plus gros studio américain. En 2006, Disney rachète ainsi Pixar pour 7,4 milliards de dollars. En 2009, c’est au tour de Marvel d’être racheté pour 4 milliards. La franchise sera la plus lucrative pour Disney avec notamment Avengers : Endgame qui récoltera 2,8 milliards de dollars de recettes. En 2012, Disney rachète Lucasfilm pour 4 milliards et détient donc désormais la franchise Star Wars.

Enfin, en 2019, le rachat de 21st Century Fox pour 71,3 milliards donne un coup de marteau au cinéma hollywoodien. Avec ce rachat, Disney acquiert l’ensemble du catalogue de la Fox, soit pas moins de 3 600 films, et met fin aux « Big Six », les six principaux studios qui se partageaient alors les recettes du marché hollywoodien.

Mickey, accompagné des enseignes Marvel, Star Wars et Pixar, botte les fesses de Netflix
©ScreenRant

De surcroît, Disney écrase la concurrence en 2019 avec de multiples succès tels qu’Avengers : Endgame, Le Roi Lion (1,6 milliard de dollars de recettes) et réalise 4,3 milliards avec Aladin, Toy Story 4, Captain Marvel et Spider-Man : Far From Home. À l’heure actuelle, Disney compte 8 films dans le top 10 des films ayant réalisés les plus grosses recettes de l’histoire.
Pour couronner le tout, Disney+, la nouvelle plateforme venue concurrencer Netflix, regroupe 90 millions d’abonnés à travers le monde.

En somme, Disney a profité du laxisme des autorités antitrust (contre la prise de monopole) à son égard pour réaliser une série d’achats lui permettant de plus que doubler son chiffre d’affaires, de 32 milliards de dollars en 2005 à 69 milliards en 2019.  

Infographie des propriétés de Disney © TitleMax
Infographie sur les propriétés de Disney ©TitleMax
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Un monopole qui fait peur

La raison pour laquelle Disney parvient à hisser ses films en haut des ventes est avant tout sa compréhension du marché. Avec l’arrivée des plateformes de streaming, les consommateurs de films préfèrent attendre que les films sortent sur les plateformes et ne se déplacent que pour les films à gros budget leur offrant un spectacle visuel et une expérience propice au grand écran. Dès lors, les grosses productions Disney font un carton et les films indépendants parviennent de moins en moins à trouver un public dans les salles. Résultat : les recettes de Disney augmentent et l’entreprise peut racheter d’autres acteurs du secteur, au risque de marginaliser les réalisateurs indépendants. À terme, l’entreprise pourrait asseoir un peu plus son rôle de symbole du capitalisme culturel.

Cependant cela pose problème car de plus en plus de films viennent de Disney ou sont liés au studio. Disney possède par exemple depuis le rachat de Lucasfilm la plus grande société d’effets spéciaux du cinéma américain, Industrial Light & Magic (ILM). En possédant cette société, Disney possède en quelque sorte le monopole des effets visuels d’Hollywood.

Il est en fait rare qu’un film ne dépende pas du géant, ce qui pose le risque de standardisation des productions. D’autant que depuis l’échec de John Carter, Disney ne souhaite plus que développer des franchises déjà existantes ou actualiser des vieux succès. Avec ce phénomène de Disneyisation, les spectateurs tendent à délaisser les autres genres et à consommer une majorité de films à la sauce Disney. Le cinéma engagé laisserait donc place à un cinéma de genre où la bienveillance et la superficialité prédominent et où la pluralité des opinions se ferait de plus en plus absente.

Avec ce danger vient également le problème des coûts dans le secteur. Si Disney gagne toujours plus de parts de marché, la firme pourrait alors exercer un contrôle des coûts à son avantage. Disney réclame ainsi déjà 65% des recettes à certaines salles qui ne peuvent plus se passer des productions du géant. L’empire Disney serait alors inarrêtable, à moins d’un changement de comportement des consommateurs. Certains, comme Spielberg, pensent qu’un essoufflement de ce type de culture aura lieu : « Il y a un moment où les super-héros emprunteront le même chemin que le western ». Ce qui est sûr, c’est que la Walt Disney Company fera tout pour maintenir son empire et garder un rôle prédominant dans le divertissement. Reste à savoir si l’autorité de la concurrence freinera l’expansion du géant.

William West

L’art de la Fauconnerie des Pallières

En écrivant le premier traité officiel français de fauconnerie, Charles d’Arcussia seigneur d’Esparron-de-Paillières a donné à la fauconnerie ses bases dans le monde. Aujourd’hui, dans le Var, une confrérie porte son nom. Elle perpétue un savoir-faire, inscrit au patrimoine culturel immatériel de l’humanité de l’Unesco.

« La fauconnerie est l’art de capturer un gibier dans son milieu naturel à l’aide d’un oiseau de proie affaité- dressé. C’est un art très ancien pratiqué dans plus de quatre-vingts pays et inscrit au patrimoine culturel immatériel de l’humanité de l’Unesco depuis 2010 »

Christian Ghinamo, maire d’Esparron-de-Pallières, et secrétaire de la confrérie de Charles d’Arcussia de Caprée.

Un peu d’histoire

La fauconnerie, aussi appelée chasse au vol, a eu ses moments de gloire en France à la fin du XVIe et XVIIe siècles, sous Henri IV et Louis XIII. Esparron-de-Pallières, ce village construit tel un nid d’aigle sur l’éperon du plateau de Montmajor, ne l’a pas oublié. La petite église du village conserve même en ses murs, l’autoportrait austère d’un de ces seigneurs, Charles d’Arcussia (1554-1628). 

Charles d’Arcussia ©blog stmaximin

Gentilhomme campagnard, fin lettré et bon père de famille, Charles d’Arcussia n’a pas moins de vingt-deux enfants avec sa noble épouse Marguerite de Forbin. Quinze garçons et sept filles, dont seulement quinze survivent à cette époque. Le seigneur et maitre d’Esparron est animé d’une passion dévorante pour un mode de chasse particulier, effectué à l’aide d’oiseaux de proie.

Gentilhomme ordinaire à la cour, à l’avènement d’Henri IV (1596), il est nommé premier consul d’Aix, procureur du pays et député aux États de Provence. Grand spécialiste de dressage de faucons, vautours, éperviers et autres busards, il devient gentilhomme de la fauconnerie d’Henri IV puis de Louis XIII.

Il publie en 1598, le premier traité de fauconnerie français, « La Fauconnerie de Arcussia, Seigneur d’Esparron de Paillières ». Cet ouvrage, fruit de longues années de travail, est édité en cinq exemplaires. Il définit les règles techniques, mais également morales, que les fauconniers se doivent de respecter dans la pratique de leur art. Ce traité a longtemps été considéré comme la référence en la matière par les équipages du monde entier. 

L’expansion de l’art de la fauconnerie 

Dès le Moyen-Âge, la fauconnerie se développe dans tous les pays d’Europe.

Faucon pèlerin et sa proie 
©Paul Balfe – flickr

« En France, si elle est essentiellement pratiquée par les rois, elle connaît un âge d’or sous Louis XIII. Fauconnier dans l’âme, Charles d’Arcussia propulsera la fauconnerie française en première position dans le monde, tant par l’éclat de ses équipages que par sa technique »

Bernard Prévost, fauconnier et membre de la confrérie de Charles d’Arcussia.  

En 1616, la fauconnerie du roi comporte trois cents oiseaux, répartis en six spécialités : le vol pour le héron, le vol pour milan et corneille, le vol pour perdrix… Raffinements et subtilités permettent des prouesses. Les oiseaux volent de compagnie, c’est-à-dire en équipe, chacun tenant un rôle distinct ! Le talentueux historiographe de ces chasses est alors Charles d’Arcussia de Caprée, vicomte d’Esparron-de – Paillières. 

La contribution de cet expert, à l’éducation des oiseaux de chasse et accessoirement à celle des chasseurs, a été reconnue par la commune d’Esparron-de-Paillières, qui lui dédie une plaque commémorative apposée au centre du village. 

Les fauconniers de Provence rendent également hommage au seigneur des faucons d’Esparron. Héritiers d’une tradition qui compte quelques adptes, ils baptisent leur équipage – le seul de la région Sud Paca – d’après le vicomte Charles d’Arcussia. Ils sont reconnaissables à leurs gilets bleus et or, les couleurs de la Provence, et à leurs boutons, sur lesquels un autour enlève un lièvre. 

Cette reconnaissance est un symbole important pour le village. Esparron-de-Pallières suit cet élan et crée une confrérie. Aujourd’hui présidée par Xavier de Jerphanion, propriétaire du château de Charles d’Arcussia, elle s’attache à préserver le patrimoine, que représente la fauconnerie, lors de journées d’animation dédiées à cet art. 

Spectacles de Fauconnerie

Aujourd’hui des représentations ont lieu dans toute la France. Elles se présentent sous la forme de spectacles de fauconnerie ou fauconnerie équestre. La plupart de ces exhibitions sont des représentations où des intervenants (les dresseurs) sont costumés, selon les traditions, avec le matériel utilisé en fauconnerie médiévale (leurre, gants, chaperon..). 

Spectacle de fauconnerie médiévale 
©Les aigles du Léman

Le Puy du Fou, qui dispose de la plus grande collection d’oiseaux au monde, est une des places fortes de la fauconnerie en France.

Son spectacle le plus connu est « Le bal des oiseaux ». Il présente près de trois cent trente oiseaux, entre aigles, faucons, vautours, milans et chouettes. Les oiseaux volent à quelques centimètres des spectateurs. Ils effectuent des chorégraphies dans le ciel et plongent dans les bras de fauconniers qui se transforment en véritables chef d’orchestre d’un ballet envoutant. Par ailleurs, les oiseaux volent à quelques centimètres des spectateurs, qui ne peuvent être qu’émerveillés de voir ces rapaces d’aussi près. 

Spectacle « le bal des oiseaux fantômes »
©Le Puy du Fou

Être fauconnier en 2021 

Un mode de vie

Chez les Prévost, la fauconnerie est une passion familiale. Une fascination pour les oiseaux de proie que Bernard a transmis à sa femme Annie puis à un de ses deux fils, Sylvain. Car la « fauconnerie » va plus loin qu’un simple mode de chasse. Le fauconnier est un passionné.  

“C’est plus un mode de vie, qu’une activité de chasse. On y consacre tous nos loisirs. On rencontre d’autres fauconniers et on voyage. Et surtout, on participe à la sauvegarde des rapaces qui ont longtemps été considérés comme des nuisibles ».

Bernard Prévost

Pour Bernard Prévost, sa passion s’est même étendue à sa vie professionnelle en qualité de créateur de la fauconnerie de la base militaire d’Istres. Il y dressera les oiseaux pendant 18 ans.  

Une pratique réglementée

En France, la chasse au vol est réglementée, car elle impose pour la pratiquer d’être détenteur d’un permis, le même que celui pour la chasse à tir, et de se conformer à un calendrier. Cependant, elle est peu compatible avec la chasse au fusil. 

« Les jours sont donc comptés. Mais certaines sociétés de chasse acceptent des pratiquants et aménagent un calendrier pour éviter de se croiser. Après, chaque fauconnier trouve des solutions. Certains chassent sur des propriétés privées d’autres partent à l’étranger en Espagne, Ecosse, Hongrie… sur des terres plus giboyeuses pour entrainer leurs oiseaux ».  

Bernard Prévost

Chez les Prévost, les équipages sont constitués de Bernard avec Tisza une forme (femelle) de Faucon pèlerin, d’Annie avec un Tiercelet (mâle) d’Autour et de Sylvain avec un tiercelet de Faucon Gerfaut blanc.

Les faucons et les autours sont les deux grandes familles d’oiseaux de la chasse au bas vol pour les proies à plumes et à poils, comme le lièvre, le lapin. Il manque encore un membre indispensable, un chien d’arrêt, car comme le dit Bernard Prévost « la chasse au vol est la collaboration entre trois éléments, le fauconnier, l’oiseau et le chien ».

La Fauconnerie, pratique ancestrale, semble avoir encore un bel avenir devant elle. 

Paul Taieb

 Sources :  

https://www.puydufou.com/fr

« La Fauconnerie ancienne et moderne » de Jean Charles Chenu 

« Rapaces, entre ciel et terre » de Christian Coulomy 

Les mangas et les animés, culture ou sous-culture ?

Les mangas et les animés, culture ou sous-culture ? Retour sur le phénomène de L’Attaque des Titans

En France, toute une génération découvre les mangas Goldorak, Dragon Ball ou Akira grâce à la télévision, avant qu’ils soient repris massivement en format papier. Pourtant, dans leurs pays d’origine respectifs, que cela soit au Japon ou à Taïwan, on observe le phénomène contraire. Les animés sont des adaptations, des manga papier et non l’inverse. Alors pourquoi un intérêt soudain pour l’animé en France ? 

L’histoire du manga et des animés en France 

Rappels chronologiques 

Les premières séries japonaises sont introduites à la télévision française en 1978, sur Antenne 2. Ce choix est avant tout économique, comme l’explique Matthieu Pinon, l’auteur de l’ouvrage Histoires du manga moderne.

 « Si pendant une dizaine d’années les enfants ont regardé plein de dessins animés japonais, c’est parce qu’il coûtait moins cher aux chaînes fraîchement privatisées, telle que TF1, d’acheter des dessins animés tout faits venus du Japon plutôt que des productions françaises ».   

Histoires du manga moderne, Matthieu Pinon.

A partir des années 1990, c’est avec Akira de Katsuhiro Otomo, ou encore Sailor Moon et Dragon Ball chez Glénat, que le marché du manga papier connait une montée en flèche. En effet, les animations sont censurées et adaptées au jeune public. Ainsi, les fans, privés de leurs dessins animés, se tournent vers le manga papier.  

Du milieu des années 1990 au début des années 2000, l’essor est considérable. Les publications annuelles passent de 150 en 1998, à près de 270 trois ans plus tard. De nombreux éditeurs se sont engouffrés dans la brèche. Aujourd’hui, le manga est une des branches du secteur du livre qui fonctionne le mieux.  

Evolution Ventes Manga France – Chiffes GfK et éditeurs, issu du Bilan Manga 2019 de Paul Ozouf sur le site journaldujapon.com.jpg

Sous-culture et mépris de classe 

Bien qu’étant un nouveau phénomène pour la jeunesse, les mangas et les animés sont longtemps considérés comme une sous-culture. Ils sont critiqués, voire méprisés par « l’élite » culturelle, les classes politiques et le CSA (Conseil supérieur de l’audiovisuel). 

En 1989, Ségolène Royale, entre autres, parle des animés ainsi :

« Les animés japonais qui sont exécrables qui sont terribles, beaucoup plus violents que les films. »

Tandis que des œuvres toutes aussi violentes, voire plus encore, sont saluées par la critique. On peut citer en exemple le film Princesse Mononoké ou la peinture de Goya intitulé Saturne dévorant un de ses fils,

Le phénomène est marginalisé, et réduit à quelque chose d’extrêmement violent. Ainsi, les valeurs nobles mises en avant, les qualités artistiques et scénaristiques que les animés peuvent présenter ne sont jamais mentionnées.  

https://m.ina.fr/video/CAB96006695/les-mangas-video.html?fbclid=IwAR0PwMYxhDlZhKupyB2Z4cfsrAkJMmN-LlzvMhVzP_EUzP3BYLaHc_UfX6Y

Le phénomène de L’Attaque des Titans – Shingeki no Kyojin en Japonais

Couverture du premier volume de l’Attaque des Titans d’Hajime Isayama, publication française de Pika Edition

Un peu de contexte

En 2020, L’Attaque des Titans est le 10e manga le plus vendu dans le monde.   

En 2009, cette œuvre de Hajime Isayama, apparaît dans les pages du mensuel Bessatsu Shonen Magazine : le succès est immédiat. L’Attaque des Titans devient une des œuvres japonaises les plus marquantes de ces dix dernières années, avec 100 millions de volumes vendus au Japon. Vendredi dernier, le 9 avril 2021, le dernier chapitre de ce manga est publié.   

« Ce jour-là fut pour l’humanité le brutal rappel de l’écrasante suprématie de ces êtres… et de l’humiliante captivité à laquelle elle avait été réduite. »  

Première phrase de l’histoire tragique de L’Attaque des Titans   

Le synopsis 

Depuis plus d’un siècle, ce qu’il reste de l’humanité vit retranché derrière des murs immenses, à l’abri des Titans. Les Titans sont des monstres énormes, au visage d’homme, uniquement animés par l’envie de dévorer les humains. Tout bascule le jour où l’un d’entre eux détruit la porte de l’enceinte qui protège les hommes de l’extérieur. Il laisse ainsi pénétrer les ennemis de l’humanité dans la ville. On découvre la destinée du jeune Eren Jaëger, un humain qui, face à la tragédie, promet de détruire ses adversaires et d’assouvir sa vengeance. Aux côtés de ses amis, Armin et Mikasa, il décide d’intégrer le bataillon d’exploration, un corps de l’armée qui lutte à l’extérieur des murs pour percer le secret des Titans.  

Les facteurs de succès 

Les personnages 

Hajime Isayama dépeint une multitude de personnages complexes et nuancés, dont le personnage principal qui emprunte beaucoup de caractéristiques à l’« anti-héros ». De plus, aucun personnage n’est à l’abris de la mort, ce qui donne lieu à un suspens intense quand les personnages principaux sont menacés.  

Les Titans, principaux antagonistes de l’histoire, sont des créatures brutales qui génèrent un sentiment de malaise et d’insécurité, autant pour les lecteurs du manga que pour les spectateurs de l’animé. Le mystère qui entoure les Titans maintient l’intérêt de l’intrigue : que sont-ils ? Pourquoi veulent-ils anéantir l’humanité ? D’où viennent-ils ? Les mystères en suspens permettent aux lecteurs et aux spectateurs de transposer des problématiques sociétales contemporaines aux problèmes évoqués dans l’histoire.

La structure 

L’une des principales forces de L’Attaque des Titans, est la capacité de l’auteur à faire évoluer l’intrigue et l’atmosphère du manga au fil des chapitres et des épisodes. Cela permet de nourrir le récit en péripéties. Tout au long de l’histoire, nous sommes exposés à de petites révélations, qui s’imbriquent les unes dans les autres, et font rejaillir à la surface des événements passés. Il semble que l’auteur ait tout planifié jusqu’aux moindres détails. Par exemple, certains personnages qui semblent apparaître à la moitié de l’histoire, sont en réalité déjà présents sur des planches plusieurs chapitres auparavant. De fait, les lecteurs d’Isayama sont à l’affut des indices dissimulés dans le manga, pour pouvoir élaborer des théories quant à l’avenir des protagonistes.  

Dans l’Attaque des titans, tout est toujours sous nos yeux sans que l’on s’en rende compte. 

L’adaptation en animé 

En 2013, L’Attaque des Titans fait l’objet d’une adaptation en animé par Wit Studio. C’est grâce à une animation, une bande originale de qualité et des openings (génériques de début) emblématiques que l’adaptation est très rapidement saluée par la critique. La qualité est au centre de la démarche de l’adaptation – le studio travaille pendant quatre ans sur la saison 2. C’est aussi l’innovation des procédés d’animation qui fait de L’Attaque des Titans une série remarquable. Le nouveau genre graphique adopté est très dynamique, par exemple les perspectives sont plus prononcées pour les scènes d’action et la 3D est utilisée.   

Couverture du premier volume de l’Attaque des Titans d’Hajime Isayama, publication française de Pika Edition

Au Japon, les animés sont généralement un produit dérivé qui a pour but d’augmenter les ventes papier du manga. Dans le cas de L’Attaque des Titans la démarche est différente. Hajime Isayama s’est pleinement investi dans l’adaptation animée de son récit, pour proposer deux œuvres qui se complètent et se répondent. 

La thématique du récit : échos sur les problèmes de société et forte symbolique 

L’Attaque des Titans est classé parmi les « Shonen », à savoir les récits d’aventure, qui ont pour lectorat principal les jeunes adolescents masculins.  En réalité, son audience est bien plus vaste, notamment grâce à la variété des thèmes abordés. C’est un manga très fédérateur, dont les messages ont une portée universelle. On peut citer en exemple la dualité entre les humains et les Titans. Ces derniers sont (alerte spoiler fin de la saison 3) des humains génétiquement transformés en géants anthropophages. Mais c’est avant tout une leçon sur l’histoire de l’humanité : l’homme est son propre ennemi.

In fine, la pluralité des vérités est mise en avant dans l’affrontement entre les peuples Eldiens et Mahr. L’intrigue reste nuancée sur leur conflit, nous sommes alors spectateurs de deux vérités qui s’affrontent. Enfin, il est important de mentionner le grand nombre de références occidentales et les métaphores à certains drames du XXe siècle qui rendent l’œuvre d’autant plus intéressante.  

Conclusion 

Ainsi cette épopée a réussi à parcourir le monde entier grâce à ses thématiques universelles et a ses références historiques traitées avec singularité. Ce succès s’illustre par ses ventes mais aussi par ses nombreuses adaptations en live action et en jeux vidéo.  

L’Attaque des Titans se base sur les codes du Shonen, dans lequel on retrouve des valeurs telles que la loyauté, l’amitié, la bravoure. Cependant Isayama déconstruit ces codes pour renforcer les aspects rudes et cruels de son univers. Il met en exergue l’idée que dans notre monde personne n’est vraiment spécial, qu’il n’y a pas d’élu. Il en est de même pour le personnage principal, ce qui permet aux lecteurs de s’identifier à lui plus facilement.  

Si Isayama n’est pas un bon dessinateur (bien qu’il se soit amélioré au fil des tomes) son manga n’en est pas moins un succès mondial. Cela démontre d’autant plus les qualités scénaristiques de son histoire. Finalement L’Attaque des Titans est une proposition unique sur le marché du manga. L’absence d’intrigues amoureuses et de répliques humoristiques a su attirer un public moins jeune grâce à une narration qui ne garde que l’essentiel et qui se démarque par son coté brutal.  

Emma Veyrin-Forrer 

En quelques chiffres L’Attaque des Titans c’est :  

34 tomes 

75 épisodes  

Plus de 100 millions d’exemplaires vendus dans le monde. Seulement 17 mangas ont dépassé ce cap, dont 3,5 millions en France.  

A titre de comparaison, One Piece, le premier manga du classement des ventes mondiales. Il a été vendu à plus de 500 millions d’exemplaires pour 98 tomes depuis 1997. 

Sources :  

https://www.youtube.com/watch?v=-IwIh9ccQJU (10 minutes 15) 

https://www.journaldujapon.com/2019/06/26/bilan-manga-2018-ventes-en-france-toujours-plus-haut/


Les MNR : les œuvres spoliées des collections françaises

Qu’ont en commun une figurine de la déesse égyptienne Isis allaitant, datant de l’époque ptolémaïque, une sculpture de Saint Jacques en pèlerin du XVème siècle, un pastel d’Adélaïde Labille-Guiard datant de 1781 et un masque mortuaire de Napoléon Ier ? Ces œuvres d’art, et bien d’autres encore, sont inscrites sur l’inventaire Musées Nationaux de Récupération (MNR) et jouissent d’un statut particulier au sein des collections françaises.  

Les Musées Nationaux Récupération, qu’est-ce que c’est ?   

Les MNR sont des œuvres spoliées par le régime nazi et rapportées en France depuis l’Allemagne à la fin de la Seconde Guerre mondiale : sur les 61 000 œuvres récupérées, 45 000 sont restituées entre 1945 et 1949 par la Commission de récupération artistique. Les biens non réclamés sont vendus par l’administration des Domaines en 1950 et 1953, à l’exception de 2143 objets ou lots, qui sont confiés aux musées nationaux et qui forment aujourd’hui les MNR. Ces derniers sont conservés dans les réserves ou exposés dans certains musées français, mais n’appartiennent pas à l’État : les œuvres MNR sont conservées à titre de dépôts et échappent ainsi à l’imprescriptibilité et l’inaliénabilité des collections nationales, ce qui permet d’organiser plus facilement leur restitution. Leur statut particulier entraîne certaines contraintes : les MNR doivent être accessibles au public et ne peuvent pas sortir du territoire français.  

L’inscription sur cet inventaire particulier se veut être une solution provisoire, dans l’attente d’une éventuelle restitution aux familles ou ayants droit des collectionneurs spoliés pendant la Seconde Guerre mondiale. 

Le dernier exemple de restitution d’œuvres inventoriées MNR est relativement récent : en décembre 2020, la ministre de la Culture Roselyne Bachelot a annoncé qu’un ensemble de trois tableaux de petit format et de quatre dessins a été rendu aux ayants droit de Marguerite Stern, veuve du banquier et collectionneur Edgard Stern. Ceux-ci avaient été volés dans son hôtel particulier, réquisitionné par l’armée allemande pendant la guerre. 

Parmi les œuvres rendues aux ayant de Marguerite Stern, se trouvait cette petite huile sur toile intitulée Concert dans un parc, d’après Jean-Antoine Watteau (MNR 890). © Réunion des musées nationaux Grand Palais. © Paris, musée du Louvre, département des Peintures.

Un peu d’histoire…  

Peu après l’armistice, les bureaux de l’Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg (E.R.R. : littéralement « Équipe d’intervention du gouverneur Rosenberg ») ne tardent pas à s’installer dans la capitale, plus précisément au Musée du Jeu de Paume, situé dans le jardin des Tuileries. Les lois raciales permettent à cette équipe de confisquer ou d’acheter à des prix bien inférieurs à ceux du marché des milliers de tableaux, objets d’art, sculptures, etc. Les œuvres spoliées sont destinées à enrichir les collections allemandes (Hitler a notamment le projet de créer un Führermuseum, à Linz, qui devait accueillir les plus belles œuvres de « l’art véritable »), ou rejoignent les collections privées de hauts dignitaires nazis. La française Rose Valland, alors attachée de conservation au Musée du Jeu de Paume, prend clandestinement des notes sur les œuvres qui passent entre ses mains, rassemblant à la fois des informations sur leur provenance et sur leur prochain lieu de stockage.  

Photo d’identité de Rose Valland 

Dans le film Monuments Men réalisé par George Clooney, sorti dans les salles de cinéma en mars 2014, le personnage de Claire Simone est très largement inspiré par la vie et l’action de Rose Valland.   

Son travail a permis, d’une part, de sauver des bombardements alliés les lieux de stockage et de conservation des œuvres spoliées, et d’autre part, de faciliter leur restitution au sortir de la guerre. Dans les années qui suivent, la Commission de récupération artistique, installée dans ce même Musée du Jeu de Paume, s’emploie à restituer les œuvres spoliées ramenées en France. Les œuvres qui ne sont ni restituées, ni vendues forment les MNR (décret du 30 septembre 1949).  

La base de données qui recense les MNR dispersés dans les musées nationaux porte aujourd’hui le nom de Rose Valland. Celle-ci a été intégrée en 2019 sur la nouvelle « Plateforme ouverte du patrimoine » du Ministère de la Culture, et est consultable par tous.  

Plus de soixante-dix ans après la fin de la guerre, un peu plus de 2000 œuvres MNR n’ont pas encore retrouvé leur véritable propriétaire ou leurs ayants droit.  

Quelles avancées ces dernières années ?  

Le rapport de David Zivie remis en mars 2018 à la ministre de la Culture d’alors, Françoise Nyssen, a mené à la création l’année suivante d’un nouveau système. Désormais, les demandes de restitution sont centralisées au sein de la direction générale des Patrimoines du Ministère de la Culture. La Mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945 instruit les dossiers parvenus au ministère. Elle est également chargée de mener les recherches historiques nécessaires à l’identification des œuvres spoliées, ainsi que de leurs propriétaires. Les dossiers sont ensuite transmis à la Commission pour l’indemnisation des victimes de spoliations (CIVS), qui est elle-même chargée de rendre un premier avis du bien-fondé de la restitution auprès du Premier ministre, qui décide en dernier ressort.   

La refonte des démarches a permis de donner un nouvel élan à la politique de restitution des œuvres d’art spoliées pendant la Seconde Guerre mondiale. 

Depuis quelques années, les musées nationaux s’emparent également de la question, à commencer par le Musée du Louvre. Ce dernier a récemment dévoilé son nouveau catalogue des collections en ligne : les MNR y figurent en bonne place, sur la page d’accueil, ce qui donne plus de visibilité à ces œuvres particulières.  

Un colloque diffusé en direct le 10 mars dernier par le Musée du Louvre, avec la présence des directeurs des huit départements du musée, présente un premier bilan des recherches récemment engagées par le musée sur les MNR conservés par le musée et sur sa politique d’acquisition entre 1933 et 1945.  

Tourner la page… 

Les démarches proactives de restitution, émanant du ministère de la Culture, et les efforts récents des musées français ont permis d’attirer un peu plus de lumière sur les Musées Nationaux Récupération des collections des musées nationaux français.  

La tâche de la Mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945 est cependant loin d’être terminée : celle-ci a aussi pour but d’identifier les livres spoliés aux familles juives par l’administration nazie, ce qui est particulièrement difficile. En effet, après la Seconde Guerre mondiale, près de 14 000 ouvrages ont été attribués à une quarantaine de bibliothèques publiques, sans qu’aucune indication sur leur provenance n’ait été conservée.  

Clara Vergé

Liens utiles :

https://www.pop.culture.gouv.fr/notice/mnr/MNR00890?base=%5B%22Récupération%20artistique%20%28MNR%20Rose-Valland%29%22%5D&image=%5B%22oui%22%5D&mainSearch=%22Jean-Antoine%20Watteau%22&last_view=%22mosaic%22&idQuery=%228a0566-a50-6537-26a-ee80445428d2%22

https://www.inha.fr/fr/agenda/parcourir-par-annee/en-2016/fevrier-2016/autour-de-rose-valland.html

https://www.pop.culture.gouv.fr/search/mosaic?base=%5B%22R%C3%A9cup%C3%A9ration%20artistique%20%28MNR%20Rose-Valland%29%22%5D&image=%5B%22oui%22%5D

https://collections.louvre.fr/

Sources :

https://www.culture.gouv.fr/Espace-documentation/Bases-de-donnees/Fiches-bases-de-donnees/MNR-Musee-Nationaux-Recuperation

https://www.culture.gouv.fr/Presse/Communiques-de-presse/Creation-au-ministere-de-la-Culture-de-la-Mission-de-recherche-et-de-restitution-des-biens-culturels-spolies-entre-1933-et-1945

https://www.connaissancedesarts.com/musees/musee-louvre/spoliation-nazie-7-oeuvres-dart-volees-a-paris-sous-loccupation-restituees-aux-ayants-droit-11149655/

http://musees.angers.fr/collections/musees-nationaux-recuperation/qu-est-ce-qu-un-mnr/index.html

Le rôle de la musique dans les films

©blog laziqacaz

La musique dans les films a su s’imposer dès le début du cinéma. Aux prémices des films muets, la musique était là pour couvrir le bruit du projecteur. Un musicien improvisait généralement au piano au fur et à mesure du film ; on appelait ça « l’illustration de film ». Cette improvisation faisait correspondre l’intensité de la musique avec celle de l’image, mais il est vrai que cette méthode pouvait donner lieu à des associations étranges, voire désagréables. Plus tard, cette improvisation laissa place aux airs « préfabriqués », des mélodies propres à tout type de situation de film. 

C’est là que certains musiciens allaient chercher des mélodies préfabriquées propres à toutes les situations cinématographiques. Ces titres portaient ainsi des noms suggestifs comme « suspens », « calme », « action », « tension ». Ainsi naquit la musique de film ! Même si ce type de musique existe toujours au cinéma, son rôle a néanmoins évolué. En effet, son rôle fonctionnel a laissé place à un rôle complémentaire à l’image où l’émotion provoquée par la musique joue un rôle prépondérant. 

Un peu d’histoire de la musique de film…

La première musique originale de film fut composée en 1908 par Camille Saint-Saëns pour le film L’Assassinat du duc de Guise (Charles Le Bargy). En 1927, le premier film sonore Le Chanteur de Jazz permit d’élever la musique de film à un cran supérieur avec notamment la composition de « bandes originales », une compilation de musiques destinées au même film. 

Affiche du film « L’Assassinat du duc de Guise » ©Wikipédia

Par ailleurs, les bandes originales de films devenant de véritables œuvres musicales, leur succès ne cessait de grandir. Ce n’est qu’une quinzaine d’années après les premières cérémonies des oscars que la musique de film commença à être considérée avec l’oscar de la meilleure chanson originale. À partir des années 70, l’oscar de la meilleure musique de film récompensa l’ensemble de la bande originale d’un film.

De nos jours, un film ne se crée pas sans musique, car cette dernière est devenue un élément essentiel de la narration. De Ennio Morricone à Hans Zimmer en passant par John Williams, la musique de film est devenue un genre à part entière. Beaucoup d’artistes ont ainsi apporté une touche unique à des scènes iconiques de nos films préférés, permettant ainsi de garder longtemps un souvenir de film, parfois plus que l’image en elle-même. 

La musique imitative de l’image

La musique dans les films est avant tout là pour accompagner l’image et mettre en valeur les sentiments représentés à l’écran, quitte parfois à caricaturer (ex. Fantasia). On dit d’ailleurs que la première note est créée pour le film et non pour le compositeur. Souvent inaperçue, elle accompagne la transition entre deux actions, permet de mieux discerner une émotion, de donner sens à un regard, de comprendre plus facilement le film. Une même scène sans la musique n’aura probablement plus le même sens. S’il ne faut pas spécialement constater sa présence, il faut surtout regretter son absence.

Affiche du film « 2001 : l’Odyssée de l’espace »©blog le 7e cafe

La musique dans les films aide également à consolider les émotions que le réalisateur veut transmettre à travers l’image. Stanley Kubrick, dans 2001, l’Odyssée de l’espace s’est ainsi servi de la musique afin de traduire le comportement étrange de l’ordinateur Hal. 

La musique dans les films, créatrice d’émotions

Emmanuel Kant a dit : « La musique est la langue des émotions », et ce n’est pas faux. Pour le spectateur, la musique est susceptible de générer toute une palette d’émotions : la tristesse, la joie, la peur ou encore la colère. Parfois, ce que le réalisateur peine à transmettre par l’image en termes d’émotions, il l’amplifie par la musique. Pour les musiques joyeuses provoquant le sourire ou le fait le plisser les yeux, les compositeurs vont utiliser un tempo animé et des voix chantées entrainantes (ex. Happy de Pharell Williams). Pour des musiques tristes, on privilégiera un piano au rythme lent et aux mélodies graves, une voix souffrante, etc. 

Affiche du film « les dents de la mer » ©Allociné

Là où la musique fait le plus d’effet, c’est lorsqu’on parle de la peur. Les réactions psychologiques peuvent être variées : une augmentation du stress, une accélération du rythme cardiaque, etc. Ainsi, dans ces musiques, le rythme est crescendo, le volume grandit puis disparait soudainement pour provoquer le frisson chez le spectateur, l’ambiance est pesante, les accords sont dissonants, le climat est étrange et angoissant. C’est dans des films horrifiques ou angoissants que la magie de la musique opère. Soyons francs, sans le thème de John Williams, nous n’aurions pas aussi peur des requins, c’est d’ailleurs plus le thème qui provoque la peur et non le requin en lui-même. La scène de la douche dans Psychose n’aurait pas été si mémorable sans sa musique si terrifiante.

Le leitmotiv, ou la création d’un personnage

La musique dans les films accompagne l’image et crée des émotions, mais son rôle prend son sens lorsque lorsqu’elle participe à l’identification des personnages voire leur création, c’est le Leitmotif.

Le leitmotiv a été inventé par Wagner pour sa Tétralogie de l’Anneau de Nibelung. Le principe consiste d’associer un thème ou une mélodie à un personnage ou une situation. Cette mélodie participe ainsi à l’identification des personnages. Dans une scène du 3e épisode de Star Wars où Anakin Skywalker se transforme peu à peu en Dark Vader, Jonh Williams s’amuse à mélanger les thèmes de façon subtile, passant ainsi du thème d’Anakin au thème de Dark Vador en fin d’épisode. Le désordre psychologique du personnage est extrêmement ben représenté à travers la musique dans le film. Un autre exemple pourrait être dans Pirates des caraïbes : le secret du coffre maudit lorsqu’on entend battre le cœur de l’antagoniste dans le thème Davy Jones de Hans Zimmer, ce cœur à la fois source de son immortalité, mais aussi son plus grand point faible. Cette dualité entre danger et faiblesse est très bien représentée dans la musique.

Voir la vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=L0JbaZtoKAs

Un film sans musique ? 

Affiche du film « Scarface »
©Allociné

Jusqu’ici on a parlé principalement des productions hollywoodiennes où la musique classique est surreprésentée, mais il faut savoir que tous les réalisateurs n’aiment pas la musique. En effet, des réalisateurs comme Robert Bresson ou Renoir préfèrent le son à l’image. C’est alors la bande-son, lorsqu’elle est utilisée dans toute sa profondeur, qui joue ce rôle de continuité narrative. Le son, ou du moins l’absence de musique peut dégager une certaine froideur et un réalisme saisissant. C’est notamment l’intention dans le film Pickpocket de Bresson. Si on fait un parallèle avec les émotions dégagées par la musique, son absence dans une scène peut être parfois très pertinente. Par exemple dans Scarface de Howard Hawks (SPOILER), le premier meurtre du Gros Louis est accompagné d’un simple sifflotement de Tony Montana. La disparition de la musique dans cette scène soulève l’absence d’émotions du gangster. L’effet n’en est que plus impactant. 

Les bandes originales font désormais partie intégrante du paysage de la musique contemporaine. Imitatrice de l’image et créatrice d’émotions, son rôle est primordial dans un film. Ce n’est pas un remplissage du silence, car si le film a besoin de calme, il faut le garder. Elle fait cependant vivre le scénario d’un film, humanise nos personnages et sublime des scènes devenues mémorables.

Julien Saul

Sources :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Musique_de_film

https://www.ledevoir.com/bis/551033/musique-cinema-frissons

https://leplus.nouvelobs.com/contribution/802926-musique-et-cinema-comment-composer-la-musique-d-un-film-et-traduire-des-emotions.html

https://www.erudit.org/fr/revues/sequences/1958-n14-sequences1159036/52218ac.pdf

http://maaav.free.fr/documents/MusiqueImagePWP.pdf

Le tatouage : dixième art ?

« Roosevelt, Churchill et Staline étaient tatoués, mais aussi des rois, des reines. Être tatoué veut dire plein de choses, la plus subtile, la plus secrète ou la plus provocatrice »

Tin-Tin, le roi français des tatoueurs.

Aux origines des tatouages

Tout d’abord, rappelons les origines du tatouage qui remontent à des milliers d’années. Cette pratique serait née au Néolitique (- 6000 et – 3000 av. JC) avec Ötzi, un corps momifié retrouvé dans les années 1990 près des Alpes italo-autrichiennes. Il serait pour l’instant le premier Homme tatoué de cette époque avec ses multiples lignes et croix tatouées sur ses articulations.

Au cours de l’Antiquité, de nombreux peuples portaient des tatouages pour effrayer l’ennemi. Ces tatouages étaient ainsi souvent réservés aux guerriers. Mais ces marques pouvaient également être porteuses d’un tout autre symbole comme sous l’Egypte antique où les femmes se faisaient tatouer sur le ventre des signes évoquant la fertilité.

Cependant, à cette époque, le tatouage était également utilisé à des fins punitives. Il était employé pour marquer les esclaves chez les Grecs, permettant ainsi de les reconnaître en tout lieu. Plus tard, les Romains ont repris cette technique en tatouant la première lettre de leur nom de famille sur leurs esclaves. Ainsi, la pratique du tatouage était réservée aux couches de la population les plus basses.

La pratique de ce dessin corporel n’était pas exclusivement réservée à l’Europe, elle se pratiquait partout dans le monde. Diverses ethnies arboraient des tatouages dont les techniques et motivations différaient entre elles.

La période du Moyen-Âge marque une pause dans l’évolution du tatouage par les interdits religieux.
Le pape Adrien signe en 787 la fin de cette pratique à l’exception des tatouages chrétiens. Mais sa disparition ne fût pas entière puisque certains artisans arboraient fièrement ces dessins pour illustrer leurs compétences comme par exemple les architectes avec des compas.

Il faut attendre le début des croisades pour que le tatouage devienne à nouveau populaire. En effet, pour encourager les volontaires à partir vers des contrées lointaines, on leur promettait des rites funéraires chrétiens s’ils se faisaient tatouer une croix sur leur bras.

James Cook remit le tatouage au goût du jour en 1771 lorsqu’il revint de Polynésie. Il importa d’ailleurs le nom « Tatau » en référence à la technique utilisée là-bas qui consistait à « taper » la peau. Au fil du temps, les marins utilisèrent les tatouages comme un souvenir de leurs voyages et la tradition naquit ! Leur peau commença à se recouvrir de leurs histoires, emblèmes et batailles … pour que petit à petit cette pratique se démocratise auprès de toutes les populations.

Cette démocratisation du tatouage fut facilitée par l’apparition de la machine à tatouer électrique par Samuel O’Reilly en 1891. Des professionnels et salons du tatouage s’installent alors partout dans le monde. Ces salons se multiplient surtout dans les années 1970 avec l’apparition des « mauvais garçons », rockers, punks… des populations, marginales à l’époque, qui utilisent le tatouage comme signe de rébellion. Il faut attendre les années 1990 pour que ce dessin corporel devienne un véritable phénomène de mode.

Flea, bassiste du groupe Red Hot Chili Peppers- photographe inconnu.

Symbole ou simple acte esthétique ?

Les Ta moko, tatouages polynésiens, sont essentiels dans la culture maorie : ils constituent un rituel représentant le passage à l’âge adulte. Leurs tatouages se composent de nombreuses symboliques qui vont de l’emplacement du tatouage au motif qui est représenté. Par exemple, un tatouage au centre du front va indiquer le rang de la personne au sein de la tribu. Ce sont ainsi de véritables marqueurs sociaux pour ces peuples qui cherchent en permanence à unir les Hommes entre eux mais également à la Terre.

De nombreuses traditions berbères associent également aux tatouages des fonctions thérapeutiques. Au Sahel, par exemple, il était courant de penser que ces dessins corporels pouvaient guérir les inflammations, les maux de tête ou même l’infécondité. A ces fonctions thérapeutiques s’ajoutent des vertus magiques. En effet, ces peuples pensaient se protéger des esprits malfaisants en se tatouant par exemple Le Khamsa (main de Fatima) pour contrer le mauvais œil.

Au VIIème siècle, alors que le Japon est fortement influencé par la culture chinoise, le tatouage est considéré comme tabou et réservé aux criminels. Apparaissent alors les tatouages punitifs pour exclure les condamnés de la société. Cette pratique de l’irezumi (tatouage japonais) se développe avant d’être totalement interdit en 1872 car le gouvernement craint de donner une image d’un peuple primitif au reste du monde. Il est à nouveau autorisé par l’occupation américaine en 1948. Aujourd’hui, on associe souvent les tatouages aux yakuzas (mafia japonaise) qui utilisent ces dessins pour témoigner de leur fidélité à leur clan. Ils sont ainsi mal perçus par la société nippone actuelle.

Avec la multiplication de la pratique du tatouage dans le monde entier, ce dernier s’est démocratisé et ses techniques se sont largement améliorées. Le perfectionnement du graphisme et des styles artistiques ont permis aux tatouages de se transformer en véritables œuvres d’art. Oldschool, tribal, minimaliste… il y en a pour tous les goûts. Ils sont devenus de plus en plus tendance, et aujourd’hui se faire tatouer dans une démarche artistique est aussi répandu que sa pratique symbolique.

Le tatouage, une nouvelle forme d’art

L’art contemporain a permis à l’art de s’exprimer sur divers supports, notamment le corps. Yves Klein a ouvert la voie avec l’action-painting en utilisant les empreintes du corps dans le processus créatif. Le body art a ensuite fait son entrée en scène aux Etats-Unis dans les années 1970. L’artiste considère alors son corps comme une œuvre à part entière qu’il peut modifier à son goût. Orlan, par exemple, utilise son corps dans ses performances artistiques pour en tester ses limites. Aujourd’hui, on y consacre des expositions comme au Musée du Quai Branly qui a réuni plus de 700 000 visiteurs avec « Tatoueurs, tatoués » en 2014.

Selon un sondage de l’IFOP, 55% des Français considèrent le tatouage comme une œuvre d’art. En effet, il en respecte la définition : il se définit par son absence d’utilité et par la subjectivité de sa conception et de l’appréciation qu’elle suscite. Les salons du tatouage se multiplient dans les grandes villes, les pseudonymes des tatoueurs sont reconnus mondialement comme ceux des peintres par leur style et talent particulier. Cependant, ces tatoueurs ne sont pas considérés comme des artistes mais comme prestataires de service dans la loi française car on leur reproche de créer sur la peau.  Leur activité ne bénéficie donc pas de la même fiscalité qu’un photographe, peintre ou sculpteur (taux de TVA réduit).

Wim Delvoye, artiste contemporain belge, a cherché à bouleverser cette hiérarchie des valeurs dans l’art. En 2006, il tatoue le dos de Tim Steiner dans sa galerie d’art. Ce tatouage, que l’artiste considère comme une œuvre d’art, a été acheté par le collectionneur allemand Rik Reinking pour 150 000 euros en échange de deux conditions. Ces dernières sont que le propriétaire peut disposer de l’œuvre trois fois par an pour l’exposer et il pourra également récupérer la peau tatouée une fois Tim Steiner décédé (pratique illégale dans la plupart des pays européens). Cette démarche avait ainsi pour but ultime de questionner la place du tatouage dans l’art.

Tim Steiner admirant la vue à Mona en 2012, photo et tatouage de Wim Delvoye.https://www.bbc.com/news/magazine-38601603

Le tatouage est une pratique millénaire qui a séduit les différentes sociétés qui ont peuplé notre Histoire. Si sa pratique a servi divers symboles, il est irréfutable que le tatouage s’est imposé comme un art à part entière. Cependant, le statut actuel de ces auteurs ne permet pas encore de faire classer le tatouage comme dixième art…

Isabelle Ruiz

Pour aller plus loin…

Tim Steiner, enchères et en os – Libération (liberation.fr)

Sources

Les origines du tatouage et ses usages – Anomaly paris

Le tatouage, un art primitif devenu populaire (lemonde.fr)

Tatouages berbères et leur signification (latatoueuse.com)

Profession | Syndicat National des Artistes Tatoueurs (assoconnect.com)

Tatouage, le «dixième art» | Arts | Le Soleil – Québec

Une peau à 150 000 euros, l’histoire vraie d’un pacte faustien entre un artiste et son cobaye (lemonde.fr)

Le tatouage est-il un art ? | Magazine Artsper

Wajdi Mouawad, la renaissance du théâtre épique

Si nous n’avons plus la possibilité d’aller au théâtre depuis près de 8 mois, nous pouvons toujours en parler et nous souvenir des œuvres qui nous ont marquées. Les pièces de Wajdi Mouawad constituent un corpus qui bouleversent aujourd’hui le théâtre contemporain. Par son esthétisme, son écriture et sa mise en scène, l’auteur déploie sur scène un univers entier dans lequel il plonge ses spectateurs comme une urgence vitale. On ne ressort jamais intact d’une pièce de Wajdi Mouawad.

 Wadji Mouwad, un metteur en scène contemporain 

Écrivain, auteur, metteur en scène et acteur, Wajdi Mouawad est né en 1968 au Liban où il reste jusqu’à l’âge de ses 8 ans. La guerre oblige sa famille à émigrer en France un premier temps avant de rejoindre le Québec où il créera ses premiers spectacles. Il prend la direction du théâtre des Quat’Sous à Montréal dans les années 2000, célèbre théâtre d’avant-garde, où il commence à questionner la tragédie grecques et antique. Mais c’est avec le cycle du Sang des promesses, que Mouawad s’impose sur la scène contemporaine.  Il est en effet l’artiste associé à la 63ème édition du Festival d’Avignon en 2009 avec la représentation de Littoral, Incendie, Forêt, Ciels qui a duré onze heure d’affilée. Il est nommé directeur artistique du théâtre français du Centre national des Arts d’Otawa de 2007 à 2012 et devient parallèlement artiste associé au Grant T à Nantes. A partit avril 2016 il est nommé directeur du théâtre national de la Colline à Paris, un des six théâtres Nationaux français (la Comédie-Française, l’Odéon, Chaillot, le TNS, l’Opéra-Comique).

Les couvertures des 4 livres composant le cycle du Sang des promesses de Wajdi Mouawad, Éditions Babel

La renaissance de la tragédie antique

Les œuvres de Mouawad trouvent leurs sources à travers les épisodes de la vie de l’auteur, mais également à travers l’influence importante de la tragédie grecque. En effet son écriture est souvent qualifiée de théâtre du récit et populaire. Mouawad est véritablement marqué par la narration, par l’envie de raconter des histoires, de retrouver un sens et une identité. Il souligne dans une émission pour France Culture, que son histoire personnelle est déconstruite, morcelée sans aucun début ou de fin précise, marquée par la guerre et par l’exil. Le théâtre lui offre ainsi la possibilité de réparer les plaies de l’histoire, de retrouver une identité. Il relie ainsi la tragédie collective à la quête personnelle. Le dramaturge se consacre par ailleurs depuis 2011 à remettre en scène les 7 tragédies de Sophocle sous 3 opus Des Femmes (Antigone, Electre, Les Trachinienne), Des Héros (Ajax et Œdipe Roi), Des Mourants (Philoctète et Œdipe à Colonne).

En somme l’auteur puise son inspiration dans la tragédie grecque. Celle-ci soulève en effet des questions sur le pouvoir et la démesure à travers un récit enflammé se déroulant comme une « machine infernale » (pièce de Jean Cocteau). A l’image de Sophocle et d’Euripide, Mouawad interroge fiévreusement l’histoire, la société, l’enfance, l’ordre établi tout aspirant à la poétisation du présent. Dans Tous des Oiseaux ou Incendies, on trouve des récits qui se succèdent et se croisent sans jamais perdre le spectateur, et qui s’achèvent dans la démesure la plus cruelle sans donner de réponse. (Guerre Israëlo-palestienne, Guerre du Liban). La structure très narrative qu’il reprend de l’héritage antique contient ainsi une abondance de possibilités dramatiques. Mouawad fait ainsi renaitre la tragédie antique dans ce qu’elle a d’effroyable et d’inéluctable, tout en nous offrant un récit où la parole se libère et où la reconstruction est possible. Le dramaturge apporte ainsi une poésie « personnelle » des mots.

Une nouvelle forme de théâtre

A sa manière Wajdi Mouawad participe à une renaissance du théâtre par son esthétisme et par les différentes formes d’écriture qu’il exploite.

Son travail de mise en scène utilise diverses techniques comme la danse, la musique et surtout les nouvelles technologies dans l’espace scénique. Il a souvent recours à la vidéo, la projection de photos, des effets sonores, la voix off, ou le téléphone pour enrichir le parcours de ses personnages. Par exemple dans Incendies, le spectateur assiste à un moment à une projection de photos sur tous les murs du théâtre de tous les protagonistes de la pièce, ce qui pourrait s’apparenter à une convocation. L’espace théâtrale qui était auparavant fermé sur une scène classique, est alors ouvert et éclaté, permettant d’offrir un cadre spatio-temporelle plus large au déroulement du récit. Le comédien n’est plus alors le seul acteur de l’action, puisque le processus scénique peut parfois prendre plus d’importance que le jeu.

Mais c’est surtout dans la forme de son écriture que Mouawad tend vers une nouvelle forme de théâtre. En effet le spectateur est accueilli à prendre part à l’expérience qui se déroule sur scène. Dans son interview à France Culture, le dramaturge explique qu’il « cherche à donner des histoires porteuses d’émotion, l’émotion est écriture, les larmes sont écriture. Arriver jusqu’aux larmes n’est pas un acte de séduction, c’est une expérience qui est amenée à vivre ensemble, il y a quelques choses qui se lie entre le regard du jeune spectateur et en ce qui se passe sur scène. Dans Incendies, il y a cette phrase : « Maintenant que nous sommes ensemble, ça va mieux. » Être ensemble, c’est ce que le théâtre rend possible et ce qui m’importe. »  Mouawad souhaite donc que le spectateur soit inclus dans ce théâtre ouvert, qu’il puisse avoir accès à un « témoignage authentique de l’existence humaine tant par les mots que par les images ».

Incendies de Wajdi Mouawad, mise en scène de Marie-Josée Bastien, crédit photo : Stéphane Bourgeois

 Vers un théâtre politique et épique ?

Cependant, si la volonté de Mouawad tend vivre une expérience émotionnelle unique, on peut remarquer que les thèmes de ses pièces sont souvent ancrés dans le présent inspiré de l’actualité, de l’histoire ou de la politique. Ainsi l’émotion est teintée de violence, de colère, de guerre de quête et de lutte. Si l’on peut penser que le théâtre de Mouawad est politique car il parle de faits, à mon sens il cherche à montrer la tragédie épique selon laquelle notre monde se déroule. Selon lui, le théâtre permet d’être le prisme de révélation de cette tragédie, « Avec la guerre et l’exil, la nécessité de prendre la parole était devenue tellement urgente : je voulais exprimer un cri, (…) je voulais déposer des bombes dans la tête des gens ; cette bombe, c’étaient la narration et l’émotion qu’elle transmettait ; je voulais que les spectateurs sortent bouleversés, fracassés après le spectacle. Pour moi, le théâtre est une forme d’attentat ; car le spectateur est innocent, il vient, il s’assoit, il ne sait pas ce qu’il va voir et puis… Boum ! Il sort bouleversé par ce qu’il a vu et entendu. » Le théâtre est ainsi pour Mouawad une loupe qui permet au spectateur d’être témoin de la violence du monde.

Ainsi on pourrait définir le théâtre du directeur de la Colline comme épique par les dilemmes qui se présentent aux personnages. Si l’on n’est pas restreint à un dilemme raison/cœur racinien, c’est tout de même des héros épiques qui structurent les pièces de Mouawad. Il cherche en effet à recréer des protagonistes qui cherchent à résoudre l’équation de leur vie, leur identité, et derrière cela parvenir à la beauté. Le spectateur n’assiste pas un drame racinien, mais bien à une révélation : la peur, la violence, les doutes vont se transformer en poésie, en source de beauté.

Marina Rathle

Bibliographie :
– Le théâtre est une forme d’attentat, entretien avec Wajdi Mouawad par Nathalie Sartou-Lajus
– Wajdi Mouawad : un nouvel espace pour le théâtre, Massimo de Giusti
– Wajdi Mouawad : un théâtre politique ? Celine Lachaud
– France culture, Emission les MasterClass 27/09/2020 Wajdi Mouawad, « Il y a une ligne, une éthique qui se joint au geste de la création et qui devient une véritable vocation »
– Site web de Wajdi Mouawad, https://www.wajdimouawad.fr/wajdi-mouawad/biographie

L’hospitalité, une notion au cœur des enjeux muséaux

« Venez comme vous êtes » et non « pour qui vous êtes »

Savoir accueillir ses publics, est un art que tous les musées cherchent encore à perfectionner. Le fait même de rentrer dans un musée est un acte qui est source de questionnement pour les départements de développement des publics de n’importe quel musée. Les quelques pas qui séparent l’espace public d’un musée font l’objet des premières réflexions sur les dispositifs d’accueil et d’hospitalité

Vous public, soyez les bienvenus 

La question de l’hospitalité est fondamentale pour un directeur des publics. L’hospitalité est une histoire de seuil, celui-ci étant une limitation et une frontière. Architecturalement parlant, le seuil du musée est un lieu important.  C’est le lieu du franchissement, on change de statut, on passe de personne lambda dans la rue à visiteur, usager. Franchir un seuil est également une forme d’agression, je rentre dans un territoire qui n’est plus le mien mais qui est celui d’un autre. Chez les Grecs, la notion de frontière est conçue soit comme une limite idéale, soit comme une zone floue exploitée par exemple par les citées pour s’agrandir à leur avantage. Ce double sens sémantique est toujours d’actualité dans les métiers des publics.

Photo représentant la signalétique de l'entrée du Musée National Adrien Dubouché à Limoges.
Musée National Adrien Dubouché, Limoges – signalétique jardin ©Atelier ter Bekke & Behage

Avant d’être une notion, l’hospitalité est un acte. C’est ce que le philosophe français Jacques Derrida (1930-2004) appelle l’hospitalité inconditionnelle. Il est d’ailleurs inscrit dans les missions officielles d’un musée d’être le plus accueillant possible et que tout à chacun se sente légitime à rentrer dans un musée. C’est justement en réfléchissant en terme d’acte et non seulement de notion, que les musées seront les plus hospitaliers.

Ce n’est pas par hasard que la prise en compte des publics dans les musées a d’abord pris des formes éducatives. En effet le métier d’enseignant est celui qui met au cœur de ses préoccupations les conditions optimales d’apprentissage et de transmission. Les deux projets fondateurs de l’Ecole du Louvre (1882) éclaire ce lien entre éducation et médiation : elle a été conçue comme une école pratique d’archéologie et d’histoire de l’art, mais aussi une école d’administration des musées, cette école devait former les guides-conférenciers des musée. Ce qui importe à ce moment-là, c’est la relation avec les publics, l’idée de transmission.

Ce n’est pas par hasard que la prise en compte des publics dans les musées a d’abord pris des formes éducatives. En effet le métier d’enseignant est celui qui met au cœur de ses préoccupations les conditions optimales d’apprentissage et de transmission. Les deux projets fondateurs de l’Ecole du Louvre (1882) éclairent ce lien entre éducation et médiation : elle a été conçue comme une école pratique d’archéologie et d’histoire de l’art, mais aussi une école d’administration des musées. Ce qui importe à ce moment-là, ce sont les relations avec les publics, l’idée de transmission.

Le care, du thérapeutique au Musée

Le terme de care n’exprime pas l’acte de soin médical mais plutôt les valeurs qui l’accompagnent. On estime que « prendre soin » de l’autre c’est aussi faciliter la vie d’autrui en accomplissant des gestes quotidiens dans le souci de son bien-être et de son respect.

L’hospitalité d’un musée peut donc être mesurée par l’intégration du confort et bien-être du visiteur dans sa stratégie d’accueil des publics. Au musée des Beaux-Arts de Montréal, la notion du care est très importante. Leur segmentation se fait donc sur des personnes qui ont besoin de soins particuliers comme les handicapés, les personnes âgées, les minorités ethniques, les individus de quartiers défavorisés, etc… Le Canada est le premier pays au monde où un médecin traitant peut traitant peut rédiger une ordonnance pour un quota de visites au musée, plutôt qu’un traitement médicamenteux.  C’est ainsi que pour la première fois au monde, un médecin a fait son entrée dans l’équipe d’une institution muséale. Au Musée des Beaux-Arts de Montréal se trouve le Pavillon pour la Paix (photo ci-dessous) où l’art-thérapeute peut recevoir ses patients dans une salle de consultation dédiée.

Photo représentant un salon de bien-être présent au Musée des beaux-arts de Montréal, il s'agit du Pavillon pour la Paix Michal et Renata Hornstein
Le Pavillon pour la Paix Michal et Renata Hornstein, niveau S2 – Espace Arc-en-ciel, avec les murales du collectif MU. Musée des beaux-arts de Montréal. Photo © Marc Cramer

Trop de public, tue le public ?

Lorsqu’on voit l’attroupement devant un tableau on peut se dire que le musée a réussi son pari de diffusion culturelle mais on peut aussi s’interroger sur les conditions de cette diffusion. C’est alors que la politique des publics fait face à une contradiction : elle est engagée vis-à-vis de son établissement à fabriquer la fréquentation la meilleure possible alors que dans le même temps elle doit réguler cette fréquentation pour ne pas être contre-productif.

La foule est un concept aux connotations négatives (fullarer en latin : fouler, presser) qui indique plutôt une notion de quantité et de multitude indifférenciée. Peut-on penser un ordre de la foule sans la réduire à ce qu’il faut absolument éviter : la désorganisation, la panique, la saturation et donc le déplaisir ? Au contraire, peut-on la concevoir à travers ce qu’elle provoque : un ressenti commun, les liens qu’elle crée, le collectif et le « nous » ? Dans tous les cas la fréquentation entraîne des situations paradoxales. Elle est gage de succès, a un pouvoir d’attraction, mais elle nécessite de fortes régulations, elle engendre des compétences particulières à mobiliser rapidement. Du point de vue des visiteurs, elle engendre des changements dans les stratégies de visite (évitement, réduction de temps, plus de passivité, frustration, fatigue, abandon, etc.).

Photo représentant un attroupement de personnes tentant tant bien que mal de photographier la Joconde au Louvre (photo de Max Fercondini).
« A petit crowd to see the dame » Photo ©Max Fercondini

La médiation culturelle, un art de la relation

La médiation culturelle, si elle est un art de la relation, elle est aussi poreuse à ce qui se joue, non seulement avec les publics qu’elle cible, mais aussi avec la nature des objets qu’elle est supposée accompagner.

Ainsi, selon qu’il s’agisse d’une médiation opérée à l’Opéra, au Théâtre, dans un musée de sciences, de beaux-arts ou encore d’art contemporain ; son approche, ses postures, ses outils pourront évoluer, quand bien même l’on observe de plus en plus une hybridation des formes. On peut alors penser aux manipulations d’objets. On les trouve généralement dans les musées de science où il n’y a pas le support de l’oeuvre d’art. Cela est compensé par des outils souvent inventés pour expliquer un phénomène scientifique qu’ils simulent plus qu’ils ne le montrent. Le conte, le mime, la musique sont aussi des approches qui convoquent le corps, l’écoute, la concentration. On les rencontre à peu près partout et dans tous les types de musées.

Néanmoins il reste important de se poser la question de la légitimité d’une médiation et ne pas orienter sa stratégie qu’en vue d’un rajeunissement de ses publics. Par exemple, est-ce qu’il existe réellement un lien entre le hip-hop et une salle de musée dont les œuvres ne datent pas de la même époque ? Ce type de médiation peut être intéressant, car il permet de rendre le musée vivant, familier, dédramatisé pour certains publics. Mais il faut faire attention à ce que cela ait toujours du sens. Un cours de yoga dans une salle de musée est-il pertinent ? Tout dépend du point de vue, cela peut être le cas.


Il s’agit de ne pas se méprendre sur l’endroit où l’on place le curseur. Selon Serge Chaumier et François Mairesse « Ce qui compte, c’est moins la médiation en elle-même qui devient et demeure un outil, que ce qui est généré pour conduire autre chose. Ainsi peut-on dire que la médiation devient vecteur de quelque chose qui la dépasse ».

La médiation, outil relationnel, reste donc un pilier pour attirer tous les publics et faire en sorte que chacun puisse pousser la porte d’un musée sans se sentir intru ou illégitime.

Muriel Piguet

Sources :

  • Bernard Stiegler, Politiques et industries de la culture dans les sociétés hyperindustrialisées, Éditions de l’Attribut, Culture et Société, un lien à recomposer, 2008
  • Jacques Derrida « l’hospitalité inconditionnelle »
  • « Le public, acteur de la production d’exposition ? Un modèle écartelé entre enthousiasme et réticences », Serge Chaumier
  • Dianne Watteau, « Quand l’art prend soin de vous. Les tropismes du care dans l’art aujourd’hui. », numéro 6 de la revue en ligne Plastik. 18/04/2019
  • Serge Chaumier. « Le Public, acteur de la production d’exposition ? Un modèle écartelé entre enthousiasme et réticences ». Jacqueline Eidelman, Mélanie Roustan, Bernadette Goldstein. La Place des publics. De l’usage des études et recherches par les musées, La Documentation française, pp 241-250, 2008. ffhal-00454046f
  • « Le souci de l’autre, un retour de l’éthique du « care » », Claire Legros dans Le Monde Publié le 01 mai 2020.

Télévision moderne, dérive sensationnaliste

Téhéran. De nos jours. Maryam, accusée d’avoir tué son mari, comparaît sur le plateau d’un célèbre talkshow : pour éviter la condamnation à mort, elle doit obtenir le pardon de la fille du défunt. Le présentateur invite les téléspectateurs à voter, en envoyant 1 par SMS s’ils pensent que Maryam mérite d’être graciée. Surréaliste ? Ce pitch, celui du dernier long-métrage du cinéaste iranien Massoud Bakhshi Yalda, la nuit du pardon, est pourtant inspiré d’une histoire vraie. L’occasion de revenir ensemble sur l’envolée du sensationnalisme sur nos écrans.

Plateau télévisé inclus dans le film Yalda, la nuit du pardon.
Yalda, La Nuit du pardon ©Massoud Bakhshi – France Culture

Origines de la télévision sensationnaliste

La Rome antique avait du pain et des jeux, l’homme moderne a la télévision. Comme le disait Jean d’Ormesson, « [c’est] un spectacle. C’est une tribune, une scène, un journal du monde, un stade, un cirque ». Enfin c’est un tribunal populaire dans Yalda, où semblable à la foule déchaînée face à un combat de gladiateurs, l’auditoire est prié de se prononcer. Le film prend alors pour modèle l’émission Mah-é Asal (diffusée jusqu’en 2018), qui change la justice en spectacle. En effet, une exception légale en Iran autorise – dans le cas d’une mort non intentionnelle – la famille de la victime à gracier le criminel contre une somme d’argent. Le pardon devient le jackpot, dans une télévision sans limites.

Dans les faits, ce sensationnalisme n’est pas nouveau. Nombreux sont les exemples, au cours des siècles, qui attestent d’un intérêt tout particulier pour le voyeurisme. Et d’une purgation des passions dans le même temps, qui n’est pas sans rappeler une certaine forme de catharsis. La télévision sensationnaliste prend, en ce sens, le relais de la tragédie grecque : quiconque la regarde est délivré de ses pensées douteuses car on lui donne à voir ce qui arrive à ceux qui y cèdent.

Mais la téléréalité telle que nous la connaissons aujourd’hui trouve précisément sa source en 1973, quand le quotidien d’une famille et son lot de rebondissements sont documentés sur plusieurs mois. Le divorce houleux des parents régale les producteurs. Il existe assez étrangement un plaisir malsain à observer le comportement d’un groupe de personnes forcées à cohabiter, qui culmine avec la création de Big Brother à la fin des années 90. Isolés et scrutés à chaque minute, les candidats sont totalement coupés du monde extérieur. Peuvent en attester ceux de la version allemande du programme qui découvraient, effarés, l’existence du coronavirus en mars dernier.

Toujours plus loin, toujours plus fort

Nasubi heureux, voir euphorique, d'avoir des dizaines de bananes à portée de main.
Le comédien Nasubi, ©kickerofelves – tumblr

Y aurait-il une limite à cette quête du sensationnalisme télévisuel ? Quand on regarde de plus près ce qui est en vogue à travers le monde, il nous apparaît clairement que celle-ci a été franchie depuis longtemps. Au Japon, le show Susunu! Denpa Shōnen flirte avec l’irréel : le comédien Nasubi est enfermé pendant quinze mois dans un appartement, sans vêtements. Il ne pourra en sortir que s’il récolte un million de yens de gains (un peu moins de 9 000€) en participant à des concours publicitaires organisés dans des magazines. Ce sont là ses seuls moyens d’améliorer son confort, et même de s’habiller ou de manger. Pendant plusieurs semaines, Nasubi est obligé de se sustenter avec de la pâtée pour chiens. Il sait, certes, qu’il est filmé mais il pense que la diffusion aura lieu après sa sortie ; en vérité, il est retransmis tous les dimanches devant dix-sept millions de téléspectateurs. Quelle n’est pas sa surprise quand les murs de son appartement s’écroulent, le mettant littéralement à nu devant un public hilare. Il demande à l’animateur, choqué, « Est-ce que c’est légal au moins ? ». Depuis, le producteur de Susunu! Denpa Shōnen a présenté ses excuses – sans toutefois regretter ses actes.

Se pose à ce titre la question des conséquences psychologiques de ce type d’émissions. Pendant six mois, Nasubi avait du mal à tenir des conversations. Alors, quid des conséquences de la télévision sensationnaliste sur les enfants qui n’échappent pas à en être les sujets ? Le programme américain Dance Moms, qui suit l’évolution de jeunes danseuses au sein d’une troupe, a plusieurs fois été épinglé pour harcèlement moral. Et, en 2007, la chaîne CBS a tenté (échec cuisant puisque heureusement annulé au bout de la saison) un vrai remake du roman de William Golding Sa majesté des mouches, en lâchant seuls dans une ville désertique quarante enfants de huit à quinze ans pendant quarante jours. Pensé au départ comme une « expérience sociale », Kid Nation s’est révélé assez traumatique pour certains petits candidats – indépendamment de ses règles plutôt controversées à l’image des challenges qui décidaient, à chaque début d’épisode, de la classe sociale de chacun (travailleur, aristocrate…).

À la fin, il n’en restera qu’un ?

Jusqu’où la télévision peut donc nous faire aller ? Jusqu’à remettre en cause nos principes moraux ? C’est une expérience qui a été menée pour le documentaire Le Jeu de la mort, réalisé par Christophe Nick en 2010. Dans ce faux jeu télévisé – auquel pensent prendre part quatre-vingts candidats – a été reproduite, légèrement modifiée tout de même, celle menée en 1963 par le psychologue Stanley Milgram, et qui visait à évaluer le degré d’obéissance à une figure d’autorité. Dans cette nouvelle version, c’est la présentatrice Tania Young qui en fait office. Elle explique les règles : un candidat est le questionneur, un autre doit mémoriser vingt-sept associations de mots à l’écart dans une cabine. À chaque mauvaise réponse de ce dernier, il reçoit une décharge administrée par le questionneur allant de 20 volts pour commencer jusqu’à 460 (il s’agit en réalité d’un acteur qui feint la douleur).

Comédien feignant la douleur infligée par les décharges du questionneur, dans l’émission Le Jeu de la mort.

Les résultats de l’expérimentation sont édifiants : personne, tout d’abord, ne conteste le principe de l’émission. Quand le comédien demande à arrêter à 320 volts, l’animatrice encourage l’autre candidat à poser les questions. Le public applaudit. Arrivé à 380 volts, plus aucune réaction dans la cabine. Et, pourtant, 81% des testés sont allés jusqu’au bout, ils n’étaient « que » 62% en 1963. La télévision a-t-elle de ce fait un pouvoir sans faille, peut-on penser que la mise à mort d’un individu en guise de divertissement est possible dans un futur proche ?

Comédien feignant la douleur infligée par les décharges du questionneur, dans l’émission Le Jeu de la mort
© Yami 2 Productions – film-documentaire.fr


Le sensationnalisme a, en tout cas, de beaux jours devant lui. Dans The Maury Show, le présentateur propose des tests de paternité à des hommes en proie au doute. Ouvrant l’enveloppe des résultats, Maury Povich lâche solennellement « You are / You are not the father! » et offre en pâture des bébés à un parterre médusé. Cela rejoint la catharsis mentionnée précédemment, on se délecte des vices d’autrui, on visualise une souffrance à ne pas reproduire. Et quand bien même on trouve ces formats scandaleux, on ne zappe pas. Orson Welles en faisait amèrement le constat : « Je hais la télévision. Je la hais autant que les cacahuètes. Mais je ne peux m’arrêter de manger des cacahuètes ».

Anna Pujos

Sources :

Pour regarder Le Jeu de la mort : https://www.youtube.com/watch?v=y4vL89T4epI

La Mode à travers le prisme du genre

Récemment, Mark Bryan a beaucoup fait parler de lui par ses tenues hors du commun. Cet Américain a décidé de s’habiller comme il le souhaitait, ce qui signifie allier garde-robe féminine et masculine. On peut donc le voir aller au travail en tailleur jupe et talons. Les femmes peuvent de nos jours porter des pantalons sans faire scandale mais un homme qui porte des jupes parvient à faire la une des journaux. Que dit cette contradiction sur la vision du vêtement dans notre société ?

Harry Styles posant pour le numero de décembre 2020 de Vogue
@Tyler Mitchell

Une histoire de la mode et des vêtements  

Les vêtements peuvent servir à plusieurs fonctions. Originellement, les vêtements ont un rôle protecteur. D’un côté pour se protéger du froid et du mauvais temps, de l’autre pour se protéger des regards extérieurs. Petit à petit, le rôle d’expression s’est ajouté au rôle de protection. Les vêtements sont utilisés par les individus pour exprimer leur style, leur genre, leur métier mais aussi leur classe sociale. Chez les Romains, seuls les citoyens ont le droit de porter la toge afin que la distinction entre eux et les non-citoyens se fasse au premier regard.  

Les phénomènes de mode sont apparus très tôt. D’après Georges Vigarello, historien spécialiste des représentations du corps, la mode en fonction du genre naît au début du XIIIème siècle. A cette époque, la ceinture sépare le corps en deux. Chez les hommes elle est plus courte et dans la partie supérieure du corps. Chez les femmes, elle est plus longue et dans la partie inférieure du corps.  

Les habits : instruments d’oppression comme de libération 

Christine Bard, historienne spécialiste de l’histoire des femmes et du genre, explique que :

« Dans l’histoire de nos sociétés occidentales, le vêtement féminin se devait d’être ouvert, comme l’est la jupe, à la différence des vêtements masculins fermés »

Cette différence confirme la hiérarchisation des sexes établie par notre société. En effet, le vêtement ouvert manque de confort dans beaucoup d’activités et l’ouverture du vêtement représente aussi la disponibilité sexuelle, ce qui a longtemps, et encore aujourd’hui, entretenu la vulnérabilité féminine.  

C’est seulement en 1934 que les premiers jeans Levis féminins voient le jour, alors que le premier ‘blue jean’ naît en 1853. Les mentalités commencent déjà à évoluer comme le montre certaines œuvres. On peut citer l’illustration « La toilette de Venus » de Gerda Wegener en 1925. L’étape du jean féminin marque le début de l’émancipation vestimentaire de la femme. Ainsi, de plus en plus de femmes de l’époque portent des pantalons dans leur quotidien, malgré l’interdiction qui leur est faite de porter des pantalons dans certains endroits jusque dans les années 1970.  

Ces ‘blue jeans’ sont particulièrement appréciés par les adhérents du mouvement hippie car ils font office d’uniformes universels. Par ailleurs, ils permettent de lutter contre les distinctions hommes-femmes et de contester la hiérarchisation des genres dans les sociétés occidentales.  

La situation a depuis bien évoluée et les femmes portent des pantalons selon leurs envies mais, preuve que le monde met du temps a évolué, l’interdiction du port du pantalon pour les femmes en France n’a été officiellement aboli qu’en 2013. 

La Toilette de Vénus, 1925, France, Paris. Les longs cheveux typiquement féminins et des vêtements masculins. Illustration de Gerda Wegener pour l’hebdomadaire humoristique « Le Sourire ».
Crédits : Fototeca StoricaNazionale / Contributeur – Getty

Les habits comme moyens d’expression

Nous avons vu que les vêtements sont utilisés à des fins d’émancipation. Ils sont également de plus en plus utilisés pour exprimer sa sexualité et son appartenance à un genre.  

Au cours des dernières décennies, les femmes se sont appropriées la garde-robe du sexe opposé pour pouvoir s’habiller et s’exprimer librement. Des vestes militaires jusqu’aux costumes cravates, tout est désormais accepté dans la vie quotidienne. Malheureusement, on remarque encore une dichotomie des genres importante sur les tapis rouges. Marlene Dietrich, figure emblématique de son époque, répond à un journaliste qui fait un commentaire sur son costume alors que ses collègues féminines portent des robes par « je suis, dans mon cœur, un gentleman ».  

Cette transgression des normes de genre s’apparente à une transgression des normes sociétales, et c’est ce qui effraie tant. Remettre en question le genre, c’est remettre en question la société dans son ensemble. Dans les années 1960 et 1970, ces deux remises en cause vont de pair avec des figures comme Ziggy Stardust, l’alter ego de David Bowie qui porte essentiellement des robes colorées à motifs psychédéliques et des coupes traditionnellement féminines, ou encore Jimmy Hendrix qui va sur scène en talons et chemise colorée. De nos jours, les stars rejettent de plus en plus la vision binaire du genre et tentent d’exprimer leur identité, parfois floue, grâce à leur façon de s’habiller. On peut citer par exemple Young Thug qui se montre en robe sur la pochette de son album « Jeffery ».   

L’envers de la mixtape « Jeffery » de Young Thug
Photographie de Garfield Lamond

Les fashion shows participent au changement des mentalités

Dans notre ère contemporaine, les mouvements de contestation se sont toujours accompagnés de leur style propre. Les punks avec leurs vestes en cuir, les hippies avec leur style coloré, tous ont choisi des vêtements correspondants au mouvement auquel ils appartenaient.  

Aujourd’hui, c’est la question du genre qui est remise en cause. Yann Weber, directeur de la rédaction du magazine Antidote rappelle que :  

« Les nouvelles générations se questionnent sur leur identité de genre ainsi que sur la binarité structurelle imposée par notre société. Une fois n’est pas coutume, l’industrie de la mode accompagne cette évolution. » 

Déjà en 1926, alors même que les garde-robes masculines et féminines des foyers sont bien distinctes, Coco Chanel fait du blazer, un vêtement traditionnellement masculin, l’élément phare de sa collection. Jean-Paul Gaultier a également surpris l’assemblée quand il a proposé des jupes lors d’un défilé pour hommes.  

Jean-Paul Gaultier a d’ailleurs été le premier à faire porter une robe de mariée de la collection femme au mannequin Andrej Pejic, qui a depuis changé de prénom pour Andreja, en 2011. Cette modèle sera la première a défilé autant pour des collections femme comme chez Jean-Paul Gaultier que pour des collections homme comme chez Marc Jacobs. De plus en plus, les designers cassent les barrières du genre avec par exemple les short-jupes de Yohji Yamamoto ou les kimonos unisexe d’Hiroko Takahashi. 

La refonte des genres dans la Haute Couture

Les créateurs se mettent à l’unisexe et au ‘gender neutral’. La première collection de Haute Couture unisexe est présentée à Paris en 2012 par Rad Hourani et participe au phénomène du ‘gender bending’ que l’on voit de plus en plus apparaître, même dans les rues.   

L’arrivée de l’unisexe et de l’inter genre dans la Haute Couture, comme un pas vers une neutralité des vêtements pour le grand public ? 

Les marques de fast fashion ont d’ailleurs bien vite compris cette tendance pour l’exploiter – par exemple Zara a sorti sa collection ‘Ungendered’ et Asos s’est lancé avec ‘Collusion’. La création de ses collections montre qu’il y a une forte demande du public et donc que les gens se sentent de plus en plus à l’aise dans l’expression de leur identité. 

Il y a bien sûr encore beaucoup de chemin à faire, autant du côté des femmes qui, pour la plupart, ne se sentent pas prêtes à s’habiller complètement comme elles le souhaitent. Mais également du côté des hommes qui, lorsqu’ils mettent des jupes, se trouvent souvent sujets à des agressions homophobes.  

Alice Pernelle

Sources : 

https://www.franceculture.fr/sociologie/mode-lhabit-fait-il-encore-le-genre

https://numero.com/fr/mode/gender-bending-fashion-boston-beaux-arts-unisexe-marlene-dietrich-alessandro-trincone

https://www.lemonde.fr/m-mode/article/2016/03/29/vetements-bon-chic-sans-genre_4891790_4497335.html

http://palimpsestes.fr/IUT/pmo/gmo16/pmo16/documentaire/K.pdf