Il est loin le temps des bardes, des troubadours et des crieurs publiques… Aujourd’hui, même la radio est vieillissante – comme en témoigne l’actualité peu avantageuse de Radio France. Pourtant, la tradition orale continue à exister à travers de nouveaux supports. Malgré la prépondérance de l’image dans notre société, des dynamiques culturelles se développent à contre-courant et parviennent à trouver une audience réceptive.
Le podcast : espace de liberté et d’expression
D’aucuns considèrent aujourd’hui le podcast comme l’avenir de la radio. On notera d’ailleurs que les radios elles-mêmes ont l’air de cet avis : France Inter crée maintenant des contenus exclusifs de podcasts à écouter en ligne et non diffusés via les ondes traditionnelles…
Le podcast, qu’est-ce que c’est ?
Le terme de podcastvient de la contraction d’Ipod (baladeur Apple) et broadcast (la diffusion). Cette “balado-diffusion” a vocation à être réalisée par tous, pour tous et surtout doit être accessible à tout moment et n’importe où. On peut considérer le podcast comme l’héritier direct des radios libres des années 70, qui portaient bien leur nom et cherchaient à promouvoir la liberté de parole et l’accessibilité de l’information.
Ça raconte quoi ?
Le podcast est un réel terrain d’innovation et les créateurs de contenus en repoussent les limites. On trouve des podcasts sur tous les sujets : gastronomie, documentaire, conversations, histoire médiévale… Ce qui semble le plus disruptif en matière de thématiques, ce sont les nombreux podcasts abordant des sujets jugés tabous et rarement traités par les autres médias. Par exemple, Vibrant.e.s, avec des podcasts sur la sexualité, notamment la sexualité féminine.
D’un point de vue artistique, les créateurs de podcasts deviennent des maîtres du montage et proposent des contenus aux rythmes et aux ambiances formidables. Par exemple,La librairie du Yokai plonge l’auditeur dans une atmosphère fantastique assez étonnante.
Là où le podcast surprend le plus, c’est aujourd’hui dans la création de fictions audio, en one-shot ou en série. Ces podcasts étonnants plaisent de plus en plus et font même l’objet d’appels d’offre de la part de studios ou d’entreprises. Par exemple, Audible réalise actuellement un appel à projet audio sur la science-fiction sur le thème “Et si demain, la nature”.
Et la culture dans tout ça ?
Le podcast constitue également un véritable miroir de l’activité culturelle. De nombreuses émissions sont consacrées à la critique de films, de livres, d’expositions, de spectacles ou même…. de podcasts. Des podcasts sur des podcasts font leur apparition et cette mise en abyme montre bien à quel point le support intéresse et fait parler. Ces podcasts offrent une belle ouverture vers le monde de la culture et vers son actualité. Parmi eux, le podcast Puzzle propose chaque jour une courte émission portant successivement sur le cinéma, le livre, les spectacles et les podcasts. Il explore-lui aussi des formes de narration créatives.
Qu’est-ce que ça vaut ?
Évidemment, si le podcast se popularise, s’il intéresse, c’est sans doute qu’il peut rapporter. Depuis 2016, des plateformes ont commencé à s’intéresser au podcast d’un point de vue économique et ont surtout cherché à lui créer son propre modèle. Il y a eu des tentatives de plateformes d’abonnements qui n’ont pas forcément abouties mais qui continuent à se perfectionner comme Majelan. Et surtout, il y a eu des investissements. Spotify, leader incontesté du streaming en musique, est également l’un des plus grands distributeurs de podcasts et se montre très intéressé par ces émissions. En 2019, l’entreprise a fait l’acquisition de plusieurs grands studios producteurs de podcasts (notamment Gimlet Media et Anchor) et a commencé à produire ses propres séries de fictions audio – ce qui n’est pas sans rappeler la stratégie de Netflix.
Concrètement, Spotify veut que ses abonnés consomment plus de podcasts et surtout moins de musique, parce que si les chansons coûtent cher en royalties et limitent les marges, les podcasts, une fois produits, ne coûtent presque plus rien…
Le livre audio : objet littéraire non identifié
« C’est un livre à la vérité, mais c’est un livre miraculeux qui n’a ni feuillets ni caractères ; enfin c’est un livre où, pour apprendre, les yeux sont inutiles ; on n’a besoin que d’oreilles. »
Cyrano de Bergerac – Edmond de Rostand
On se souvient tous des histoires du soir de notre enfance, voire même peut-être des premières cassettes audio de Pierre et le loup. Mais la lecture avec les oreilles n’est pas le seul privilège des enfants et le marché des livres audio est en expansion.
C’est un truc pour les vieux, non ?
De nombreux préjugés perdurent sur le livre audio. On l’imagine réservé aux malvoyants, aux personnes âgées ou même à ceux qui n’aiment pas lire. Et pourtant, force est de constater qu’il séduit et charme le public avec ses nombreux atouts. C’est vrai, il plaît aussi aux personnes âgées ou à ceux en situations de handicap. Mais il va aussi plaire aux jeunes qui peuvent l’écouter dans les transports, ou encore à ceux qui désirent faire leur jogging, leur vaisselle ou la cuisine en compagnie de Julien Sorel ou de Harry Potter.
De prime abord, le livre audio séduit parce qu’il est pratique au quotidien, et c’est pour ses qualités intrinsèques qu’il est définitivement adopté par les lecteurs. Car l’expérience du livre audio offre une relation nouvelle au livre, une sorte d’intimité avec le texte et les personnages. Grâce à l’interprétation des lecteurs, les tensions et émotions d’un roman transparaissent avec d’autant plus de force et l’auditeur se trouve happé par l’histoire d’une façon tout à fait singulière.
Mais moi j’aime l’odeur du papier !
Il faut garder à l’esprit que, justement, le livre audio offre un nouveau genre d’expérience aux lecteurs et ne cherche pas à se substituer aux livres papiers traditionnels. D’ailleurs, ceux qui aujourd’hui consomment le plus de livres audio sont déjà des lecteurs aguerris et n’ont pas cessé leurs lectures papiers. Au contraire, ils en ont profité pour lire encore plus, en démultipliant leur temps et leur style de lectures.
Le livre audio a commencé sa route comme un objet littéraire non identifié : difficile pour les libraires de savoir où le ranger, difficile pour les lecteurs de savoir s’il est fait pour eux… Néanmoins, ce format se fait sa place dans le marché du livre et pèse aujourd’hui 3,5 milliards de dollars dans le monde. Le livre audio suscite un intérêt tout particulier de la part de géants économiques comme Amazon, qui a racheté Audible en 2008 et a depuis considérablement investi dans la plateforme, notamment via d’importantes campagnes publicitaires.
Finalement, ce qu’on peut retenir de cette culture pour les oreilles est que le podcast comme le livre audio sont des médias de l’imaginaire. De vrais rebelles dans un monde gouverné par les images et c’est ce qui fait leur force ! Bien réalisés, ils permettent de développer l’univers de l’auditeur comme aucun autre support, et ont l’avantage de l’éloigner du pouvoir parfois aliénant des écrans.
Par Estelle Da Eira-Rousseau
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