En attendant Bojangles – La tempête d’un amour maladif

Le 06 février dernier, je me suis rendue au cinéma pour aller voir le film « En attendant Bojangles » de Régis Roinsard. 

Pour poursuivre la lecture de cet article, je vous propose d’écouter en même temps cette playlist du film, elle vous plongera dans un univers aux mille sonorités, de l’orient jusqu’en Argentine : https://open.spotify.com/album/6zaUIV18Hyfm99ivyJDf3V?si=BPbR3CroSOyw0s_dLWXnMA

Ce long-métrage est tiré du livre d’Olivier Bourdeaut publié en 2016. Le récit originel avait déjà été adapté en BD ou en pièce de théâtre. C’est une grande première au cinéma et c’est Régis Roinsard qui a relevé haut la main le défi de cette réalisation. C’était un pari risqué après le succès que le livre avait lui-même connu, dès les premières semaines de sa publication. En effet, il a reçu de nombreux prix littéraires tels que le prix France Télévisions, le Grand prix RTL-Livre et le prix du roman des étudiants France Culture – Télérama. 

Le film nous plonge dans l’intimité d’un couple qui vit et évolue dans un univers à la fois bouleversant et magique. Camille, qui est atteinte de schizophrénie et de bipolarité et Georges, atteint par l’amour inconditionnel qu’il lui porte. Elle, interprétée par une Virginie Efira solaire mais tristement lunaire, lui, par un Romain Duris aussi charmant que bouleversant. Ces deux acteurs sont accompagnés par le jeune Solàn Machado-Graner, qui incarne leur fils. Ce trio parvient à trouver l’équilibre parfait pour nous livrer avec intensité cette histoire surréaliste qui prend place dans de magnifiques décors, hauts en couleurs, à l’instar de ce duo d’amoureux fous, formé par Camille et Georges. 

De la folie à la maladie 

Dès le début du film, nous comprenons que le couple n’a rien d’un couple ordinaire. Ils n’ouvrent jamais leur courrier, ils se vouvoient et sont accompagnés d’une grue demoiselle en guise d’animal de compagnie.Et pour cause, le couple évolue dans un monde imaginaire en incarnant toutes sortes de personnages fictifs, un jour couple danseurs de tango, un autre marquis et marquise, selon les désidératas de Camille. Il s’agit certes à première vue d’un jeu épuisant. Pourtant, nous comprenons rapidement que cette fantaisie est la condition même de leur bonheur, leur unique échappatoire face à l’oppressante réalité qui se cache derrière la maladie mentale de Camille. 

Au fil de ses métamorphoses, Camille nous plonge dans la dureté et la réalité de la maladie et cela atteint son paroxysme au moment où elle incarne un général de guerre. Un général en guerre contre la maladie, sa propre maladie, qui affecte de plus en plus ses proches. 

C’est d’ailleurs à travers les yeux et les larmes de son fils que nous prenons conscience des impacts d’une maladie certes connue mais encore incomprise. Du haut de ses 10 ans, son fils l’accompagne dans ses folies tant qu’elle rigole et qu’elle sourit, mais dès qu’elle est rattrapée par ses épisodes, la magie se rompt et ses larmes coulent inévitablement sur le visage de cet enfant, et du spectateur.

En effet, nous pouvons la voir alterner entre phases de bonheur intense, d’extrême tristesse ou d’extrême paranoïa. Qu’elle soit heureuse ou malheureuse, une seule chose reste stable tout au long du film, la chanson qu’elle écoute en boucle : ‘Mr Bojangles’ de Marlon Williams. Cette chanson semble la mettre en joie, l’apaiser, la détendre et lui donner envie de danser. 

 « La musique est la langue des émotions » (Kant)

La bande originale du film a été composée par Clare et Olivier Manchon, du groupe Clare and the Reasons. La musique rythme le film et donne un sens très juste aux images. Le film s’ouvre sur leur rencontre lors d’une réception autour d’un tango. Cette folle danse est d’ailleurs accompagnée par le titre Tango. Nous comprenons dès lors que cette danse est bien plus qu’une danse pour les deux amoureux, elle est ce qui les lient tout au long du film.  

Ils vont d’ailleurs reproduire cette performance lors d’une fête organisée dans leur château en Espagne, sur le titre Vamosaux sonorités espagnoles. Ainsi, dès le départ, la bande originale du film joue un rôle primordial. Au-delà des dialogues, c’est l’atmosphère sonore qui nous plonge véritablement dans la folie émotionnelle qui lie Camille et Georges. 

Un morceau en particulier constitue la colonne vertébrale du film. Le scénario avance au rythme de la célèbre chanson Mr Bojangles de Marlon Williams, reprise de la chanson originale de Jeffy Jeff Walkers chantée aussi par Nina Simone. Ce morceau est l’unique élément stable dans cet univers instable. Dans le roman comme dans le film, l’héroïne nourrit une fascination pour ce titre qui parfois apaise sa folie, ou la déclenche. 

Finalement, la bande originale de ce film traduit l’intraduisible, la frontière entre l’amour fou et la folie amoureuse. A la sortie de la séance de cinéma, la musique reste plus que les mots, en la fredonnant on se rappelle le film et on tente de mettre des mots sur les émotions que l’on a pu ressentir face à tout cet amour. 

L’amour avec un grand A

L’amour fou, l’amour irrationnel, le mal amour, l’amour tragique, l’amour passionnel sont autant de sujets évoqués dans ce film. Dès les premières scènes du film, nous assistons à un mariage peu conventionnel dans une chapelle abandonnée. Cette scène est l’occasion pour elle de lui promettre que «toutes celles qu’elle est vont l’aimer éternellement« . Lui, promet « d’aimer toutes celles qu’elle sera« .  Ces vœux prononcés dans un moment de folie sont le point de départ de cette ode à la joie. Une histoire d’amour, pleine de vie, de fêtes, d’amis et de fantaisie. 

Ce film nous montre également les concessions qui peuvent être faites dans un couple, d’autant plus lorsqu’un des deux est atteint de telles maladies mentales que sont la bipolarité et la schizophrénie. Georges est contraint de s’adapter à ses émotions. C’est une contrainte qu’il adore, face à laquelle il ne baissera jamais les bras même si cela implique de se mettre en danger. Camille ne peut vivre qu’avec la maladie, tout comme Georges ne peut vivre qu’avec elle. Leur amour vit grâce à son courage et à la confiance qu’il a en elle. 

Claire Iamarene

Sources:

https://www.vogue.fr/culture/article/en-attendant-bojangles-film-virginie-efira-romain-duris

https://www.cinezik.org/critiques/affcritique.php?titre=en-attendant-bojangles2021112415