Dans le cadre de notre majeure, nous avons eu l’immense plaisir de recevoir Armel Hostiou, réalisateur de cinéma et de vidéo clips. L’un de ses longs-métrages, Rives, a notamment été présenté à Cannes en 2011 dans la sélection de l’Acid.
Nous en avons profité pour l’interroger sur son parcours ainsi que son impression sur le paysage du cinéma à l’ère numérique aujourd’hui.
Qu’est-ce qui vous a inspiré à vous lancer dans une carrière dans le cinéma et l’audiovisuel ?
Jeune, je n’étais pas vraiment connecté à ce milieu. J’ai grandi à Nantes, je faisais des études de droit, et j’ai découvert le cinéma en tant que spectateur. J’étais cinéphile et je me nourrissais de cinéma de façon très autodidacte. J’allais souvent au Cinématographe, où il y avait déjà à l’époque une super programmation. J’avais monté à Nantes avec une amie une petite émission de radio sur Alternantes, qui s’appelait Halluciné. On allait voir des films, on en débattait ensemble, bref : c’était surtout un prétexte pour aller au cinéma, pour réfléchir au cinéma, pour parler cinéma.
Mais paradoxalement, c’était quelque chose qui me paraissait assez inaccessible. C’est un milieu qui, quand on ne le connaît pas du tout, peut paraître un peu lointain et cloisonné. Mais en parallèle de mes études de droit, j’ai entendu parler de la Fémis. Je me suis alors inscrit au concours, sans trop y croire, en me disant que je n’avais pas non plus grand chose à perdre. J’ai été le premier surpris d’y avoir été pris.
Cela m’a permis de mettre le pied à l’étrier puisque pendant 4 ans, j’étais dans une formation très pratique. J’y suis entré en image, à savoir tout ce qui concerne les métiers de la prise de vue.
Parlez-nous de vos premiers projets.
Après la Fémis, j’ai très vite commencé à faire mes propres projets. Au début, c’était sous forme de court-métrages, puis très vite, de vidéo-clips. Je trouvais amusant et intéressant d’utiliser les vidéo-clips comme laboratoire. J’ai pu essayer des choses, expérimenter des techniques, inventer avec des dispositifs qui n’étaient pas forcément très onéreux. Comme la pixilation ou l’animation. Puis, de fil en aiguille, avec quelques amis, nous avons monté notre structure de production BOCALUPO FILMS, avec laquelle je me suis ensuite lancé pour monter mes deux premiers long-métrages.
Rives était un film que l’on a réalisé avec peu de moyens en amont. Mais il a été sélectionné au festival de Cannes dans la Sélection Acid, la sélection off du festival. Cela lui a donné une visibilité certaine et lui a permis de sortir en salle. Dans la foulée, j’ai rencontré Vincent Macaigne, à qui j’ai proposé un rôle dans Une histoire américaine. On est parti faire ce film avec peu de moyens mais avec beaucoup d’envie et on a compensé le manque de financement par du désir et de l’énergie.
Peu de temps après, je me suis lancé dans un film documentaire que je viens de terminer, La pyramide invisible. Il m’a pris beaucoup plus de temps que les autres parce que je n’avais pas bien anticipé la question du montage documentaire, qui est très différente du montage de fiction. Dans le montage de fiction, on assemble des choses qui ont été a priori écrites en amont.
Et pour le documentaire ?
Dans le montage documentaire, il y a presque une dimension d’écriture tout le temps du montage. Donc j’ai mis un petit bout de temps à trouver le film au montage. Il est maintenant terminé et il a été sélectionné au festival Cinéma du réel à Paris. Je suis un peu soulagé parce que présenter un film officiellement c’est aussi une façon de s’en détacher et de se dire : ça c’est fait, on peut passer à autre chose.
En ce moment, je prépare un long métrage que j’essaye cette fois d’inscrire davantage dans les codes traditionnels du financement audiovisuel… mais est-ce que ça va marcher ?
Passerez-vous par votre propre studio de production pour ce nouveau long-métrage ?
Jusqu’à présent, j’avais toujours tout produit avec cette structure ; mais il y a un aspect crucial dans la question de fabrication d’un film : la question de la distribution. Quand on est une petite boite de production, ça n’est pas évident d’avoir accès à des distributeurs conséquents. On réfléchit donc à faire une coproduction avec une société plus conséquente, notamment pour qu’elle nous ouvre l’accès à d’autres distributeurs, qui permettraient au film d’avoir une meilleure visibilité. Ça, c’est le projet, après entre la théorie et la pratique, on verra…
Est-ce que vous trouvez qu’aujourd’hui, il plus compliqué de monter un projet de film qu’au début de votre carrière ?
Je pense qu’il y a plusieurs réponses à cette question. D’un point de vue technologique, je crois que c’est beaucoup plus facile aujourd’hui qu’il y a 15 ans parce que le numérique a beaucoup facilité la question de la fabrication audiovisuelle, dans la mesure où il y a maintenant des films qui se montent avec un téléphone portable et ça peut faire des choses intéressantes. On peut monter un film avec un ordinateur portable. En terme de fabrication, il n’y a pas d’hésitation à avoir, c’est donc plus facile.
Ce qui est paradoxal en France, c’est que le CNC (Centre National du Cinéma et l’Image Animée, organe d’aide et de régulation du cinéma) barricade l’accès de certaines aides aux films produits dans une petite économie et favorise plutôt les films financés de façon plus traditionnelle.
Donc il est à la fois plus facile de produire techniquement des films et plus compliqué de les diffuser via le circuit traditionnel. Pour que son film soit diffusé en salle, il faut obtenir l’agrément du CNC, conditionné par des règles de production, de salaires etc. Par exemple, pour le film Une Histoire Américaine, il y a un générique parlé. La raison principale est qu’il fallait une majorité de Français dans l’équipe. Or, nous avions 52% d’Anglais et 48% de Français. En ajoutant le narrateur, nous avons pu obtenir cette majorité, mais ce n’était pas gagné.
Et pourtant vous êtes sortis en salle !
Finalement, c’est un peu par miracle que les deux films aient bénéficié d’une sortie salle. Le premier grâce à Cannes, le deuxième grâce à cette voix off. Pour le prochain film, nous sommes encore incertains d’obtenir l’agrément. Je suis parti avec une petite équipe et le film se tourne en Bosnie.
Néanmoins, il y a de plus en plus de festivals ou d’entités associatives qui existent pour faire vivre les films. Et il y a d’autres moyens de diffusion comme Internet. Mais la question de la diffusion en salle, c’est un vrai enjeu compliqué.
Vous parliez des nouveaux modes de diffusion qui se développent comme Internet.
Pensez-vous qu’en France, les plateformes de streaming, comme Netflix, vont prendre une plus part plus importante dans le financement du cinéma ?
C’est au cœur des problématiques en France actuellement. L’enjeu de la chronologie des médias, qui fixait un ordre avec un temps donné entre le passage salle, TV et Internet, et beaucoup d’autres règles du CNC ont été conçues pour protéger les films. C’est louable car c’est pour cela qu’il reste de nombreuses salles de cinéma, contrairement à d’autres pays. Mais quand la loi et la technologie sont en contradiction, cela oblige à ce que les choses bougent. Il ne faut pas protéger un système qui va désormais à l’encontre de l’évolution technologique.
Mais cette remise en question est importante. Au dernier festival de Cannes, les films produits par Netflix avaient été mis hors-compétition. Alors que si on ne s’intéresse qu’à la dimension artistique, il y avait des films intéressants à commencer par le film de Cuarón (Roma).
On peut également penser que Netflix et autres plateformes digitales permettent aussi le financement, notamment pour Cuarón, de projets que personne n’aurait voulu financer autrement et qui n’auraient pas existé…
Oui ! Amazon aussi, a produit le dernier film de Jarmusch par exemple que j’aime beaucoup personnellement. Donc c’est toujours là où l’artistique et l’économique se court-circuitent. Si Amazon permet à Jarmusch de faire un film qu’il n’aurait pas pu faire autrement, on se rend compte que les questions sont plus complexes qu’elles ne peuvent en avoir l’air quoi.
Netflix est boudé par Cannes. Paradoxalement, que penser du fait que les Tuche 3 ait reçu un César ?
Je n’ai pas vu ni les Tuche 1, ni les Tuche 2, ni les Tuche 3, donc je n’ai pas d’avis en la matière. Ce que je sais, c’est qu’ils ont eu le César du prix du public. Je pense que ce prix du public a été inventé par les César pour intégrer dans une remise de prix remis par des professionnels un prix correspondant aux entrées des salles de cinéma et donc pour remettre un prix à un film grand public. Mais je n’ai pas trop à me prononcer parce que je ne l’ai pas vu et je ne sais pas si c’est aussi catastrophique que ce qu’on dit…
Est-ce que vous auriez un conseil à donner à des étudiants qui aimeraient justement se lancer dans ce secteur d’apparence très fermé ?
D’y aller avec désir, avec énergie, avec motivation, avec envie. Comme dans beaucoup de métiers, quand on a un désir qui est une motivation, une envie qui est forte, il n’y a rien qui soit inaccessible.
Je pense surtout, à travers mon expérience aussi, qu’il ne faut pas avoir peur de faire des choses et que si on a envie de faire des films. Il faut en faire. C’était un peu ma logique jusqu’à présent, de faire les choses coûte que coûte, envers et contre tout. Je ne sais pas si c’est une règle quantique ou cosmique mais j’ai l’impression que l’énergie investie dans des projets n’est jamais perdue et qu’elle finit par se recycler.
J’ai tendance à dire qu’il faut prendre ses désirs pour une réalité et comme disait Goethe « Méfiez-vous des rêves de jeunesse, ils finissent toujours par se réaliser. »
Propos recueillis par Hortense Regnault, Kamélys Say, Cyprien Tollet et Raphaëlle Delbèque.
Merci beaucoup à Armel Hostiou pour son temps et ses réponses.
Pour l’autre article de la semaine, c’est ici !