Hommage à Luis Sepúlveda, auteur chilien du bien connu « Le Vieux qui lisait des romans d’amour »

Histoire d’une mouette et du chat qui lui apprit à voler, Histoire d’un chien mapuche, Histoire d’un escargot qui découvrit l’importance de la lenteur… L’écrivain chilien, Luis Sepúlveda, aura passé sa vie à raconter des histoires. Des nouvelles aux romans, de la poésie aux polars, des livres pour enfants aux récits de voyages, en passant par les essais et les récits écologistes, Luis Sepúlveda a exploré les confins du monde littéraire. Cette semaine, nous allons vous raconter l’« Histoire » de Luis Sepúlveda, conteur et militant, qui durant toute sa vie aura appliqué la devise de l’écrivain brésilien Joao Guimaraes Rosa « Raconter, c’est résister ».[1]

L’« Histoire » de Luis Sepúlveda  

Luis Sepúlveda est né en 1949 à Ovalle, dans le nord du Chili. Il rejoint à 12 ans les jeunesses communistes où il rencontre Ángel Parra, musicien chilien célèbre pour ses chansons Canción de amor et Cuando amanece el día, dont l’amitié durera plus de cinquante ans. Une fois étudiant, il rejoint la garde de Salvador Allende dont il soutient les idées socialistes et pacifiques. Suite au coup d’Etat orchestré par le général Pinochet le 11 septembre 1973, Luis Sepúlveda est emprisonné pendant plus de deux ans et sera libéré en 1977 grâce au concours d’Amnesty International. 

Dès lors, une vie de voyages et de luttes commence… Il sillonne le continent latinoaméricain, de l’Equateur à la Colombie, du Pérou jusqu’au Nicaragua où il s’engage aux côtés des sandinistes dans la brigade Simon-Bolivar. Pendant un temps, il s’installe en Amazonie aux côtés des Indiens Shuars. Il sort enrichi de cette expérience amazonienne qui lui inspirera son premier roman, Le Vieux qui lisait des romans d’amour. Traduit dans plus de 40 langues, ce roman est un ouvrage poétique et coloré aux sources enchantées, où indiens, fauves et chercheurs d’or se côtoient. Dans les années 1980, Luis Sepúlveda s’engage auprès de Greenpeace et s’installe en Europe où il devient journaliste. Il réalise de nombreux reportages en Angola et au Mozambique et écrit de nombreuses tribunes dans lesquelles il plaide la cause écologique.  

Cependant, malgré son parcours, de prisonnier sous la dictature de Pinochet à combattant écologiste, il refuse le terme d’écrivain engagé et préfère celui de « citoyen » participant à la construction d’une société plus juste. Pour lui, « l’écrivain est le porte-parole émotionnel de son époque »[2]. Lors d’un voyage en Allemagne, l’auteur se rend dans le camp de concentration de Bergen-Belsen où durant la guerre une main anonyme grava sur une pierre : « J’étais ici et personne ne racontera mon histoire ». Dès lors, l’écrivain chilien prêtera sa voix aux oubliés et sera le gardien de la mémoire :

La littérature, parfois, devient l’ombre de la mémoire. Seulement ce qui existe a une ombre et donc en ce sens, la littérature est l’ombre de ce qui se passe réellement. La littérature a un rôle de rappel de ce qui s’est passé et on ne va pas admettre une solution facile comme les amnisties par exemple ou le fait d’oublier et d’aller de l’avant, et bien non.

Luis Sepùlveda[1]

Luis Sepúlveda s’est éteint en avril à l’âge de 70 ans suite au covid-19. Il laisse derrière lui de nombreuses histoires, riches d’humanité et de poésie, dans lesquelles il rend hommage aux oubliés, à l’Homme et à la nature.

Histoire d’une baleine blanche, un conte du fond des océans 

Qui n’est pas fasciné par la beauté d’une baleine blanche ? À la fois la plus grande parmi les dauphins et la plus petite parmi les baleines, la baleine blanche se fait également appeler le dauphin blanc. Son éclatante couleur blanche et son large front souple font d’elle l’un des mammifères les plus beaux de l’océan. Bien qu’il s’agisse d’une espèce protégée, la baleine blanche est encore chassée et souffre du bruit du trafic maritime. 

Dans ce récit paru en 2019, Luis Sepúlveda donne la parole à la baleine blanche qui nous raconte son mode de vie dans un monde marin où les hommes sont omniprésents et où leurs activités nuisent à la pérennité des espèces aquatiques. Au large de la Patagonie, une baleine blanche, née de l’imagination d’Herman Melville dans Moby Dick, est la gardienne de nombreux secrets et mystères : elle est chargée de protéger les morts mapuches et de guider leurs âmes au-delà de l’horizon. Pour protéger le monde sous-marin, la baleine blanche devra affronter des prédateurs sans merci, les baleiniers, en particulier le baleinier Essex commandé par le capitaine Achab.

Dans cette rencontre en mer, le comportement des hommes me parut très étrange. La minuscule sardine n’attaque pas une autre sardine, la lente tortue n’attaque pas une autre tortue, le requin vorace n’attaque pas un autre requin. Il semble que les hommes sont la seule espèce qui attaque ses semblables, et je n’ai pas aimé ce que j’ai appris d’eux.[3]

Pourquoi lire cet ouvrage ? Cette nouvelle, empreinte de sagesse et de fantaisie, aborde avec beaucoup d’originalité et de délicatesse le thème de la nature menacée par les activités des hommes. À travers ce conte mythologique, Luis Sepúlveda nous fait part de son attachement à la Terre et au respect de l’environnement.

La fin de l’histoire, son dernier acte militant et romanesque

La fin de l’histoire, paru en 2016, est le dernier roman de Luis Sepúlveda. Dans cet ouvrage, Luis Sepúlveda retrouve son vieil ami, Juan Belmonte, le personnage principal d’un de ses précédents romans Un nom d’un torero. Juan Belmonte a les traits de son créateur : son passé et ses actes font échos à ceux de Luis Sepúlveda lors du coup d’Etat du général Pinochet et de la révolution sandiniste. Juan Belmonte est le symbole de la persévérance : guérillero avec un nom de torero, il a participé à toutes les révolutions perdues du continent latinoaméricain. Luis  Sepúlveda souhaitait revoir son personnage des années plus tard afin de savoir comment celui-ci vit avec son passé et pense le présent. D’après l’auteur, l’écrivain a de l’influence sur son personnage mais le personnage a également de l’influence sur l’écrivain.

Au début du roman, on retrouve Juan Belmonte en Patagonie au bord de la mer où il vit paisiblement avec son épouse Verónica. Tout comme la compagne de Luis Sepúlveda, la poétesse Carmen Yañez, Verónica a été torturée sous la dictature de Pinochet. Cependant, le passé de Juan Belmonte le rattrape…  Les services secrets russes, connaissant son passé de guérillero, l’obligent à leur prêter main forte pour une mission secrète. Des cosaques nostalgiques et puissants sont déterminés à libérer le tristement célèbre Miguel Krassnoff, emprisonné à Santiago pour crimes contre l’humanité. Ce dernier est le descendant d’une famille de cosaques responsables de nombreuses abominations au sein des régiments SS lors de la Seconde Guerre mondiale. Miguel Krassnoff, quant à lui, fut général de l’armée de Pinochet et a participé à de nombreux actes de torture et de répression durant la dictature. Comment Juan Belmonte va-t-il s’en sortir ? Il a des raisons personnelles de haïr Miguel Krassnoff car il fut le tortionnaire de Verónica…. Va-t-il privilégier sa vie et celle de son épouse ou ses valeurs morales et sa soif de justice ? 

Pourquoi lire ce roman ? La fin de l’histoire fait voyager d’un continent à l’autre et à travers les époques, de la Russie de Trotski à l’Allemagne d’Hitler, du Chili de Pinochet à la Patagonie d’aujourd’hui. Le roman est dédié aux victimes de la maison Grimaldi, un camp de torture et d’extermination fantôme sous la dictature de Pinochet, et à la prisonnière numéro 824, Carmen Yañez. Luis Sepúlveda, qui compare la naissance d’un roman à une porte qui s’ouvre, a écrit cet ouvrage suite aux demandes de libération du criminel, Miguel Krassnoff, en 2005 par un groupe de cosaques. Partisan de la doctrine « Pas d’oubli, pas de pardon », l’écrivain nous fait découvrir plusieurs parts d’ombre de l’histoire et rend aux hommages aux oubliés de la guerre.

Grâce à sa plume, Luis Sepúlveda nous enseigne que la littérature est un remède à la mémoire : « La littérature raconte ce que l’histoire officielle dissimule. »[4]

Par Lucille Sentenac


[1]https://www.lepoint.fr/culture/luis-sepulveda-l-ecrivain-qui-aimait-les-romans-d-amour-23-04-2020-2372610_3.php

[2]https://www.franceculture.fr/emissions/le-temps-des-ecrivains/emission-speciale-luis-sepulveda

[3]https://booknode.com/histoire_d_une_baleine_blanche_03033263/extraits

[4]Luis Sepúlveda  https://www.babelio.com/livres/Sepulveda-La-fin-de-lhistoire/929990

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