Le 5 novembre 2014, Christopher Nolan sort son tout dernier blockbuster : Interstellar. Le thriller de science-fiction rencontre un franc succès. En France, le film totalise plus de 2,6 millions d’entrées au box-office, et la critique l’accueille favorablement avec une note de 73 % sur Rotten Tomatoes. Si l’on retrouve des qualités narratives indéniables, Interstellar est aussi grandement récompensé pour ses effets spéciaux numériques, réalisés en collaboration avec le physicien Kip Stephen Thorne, pour lesquels le film reçoit cinq prix « meilleurs effets visuels ».
Les effets spéciaux numériques ne sont en revanche qu’une partie d’un domaine plus large, celui de la Computer Generated Imagery, ou CGI. La CGI désigne l’application des technologies d’imagerie numériques, comme la modélisation 3D, dans des domaines variés, comme le domaine artistique. C’est un champ de création vaste et complexe qui regroupe plusieurs disciplines comme l’animation 3D, le modeling art et le texture art. Ensemble ces disciplines permettent de produire des contenus allant de l’artwork au film d’animation.
Aujourd’hui, la CGI est omniprésente dans notre vie quotidienne, notamment dans nos pratiques culturelles. On la retrouve non seulement dans le cinéma, mais aussi dans les arts visuels ou dans les jeux-vidéos. Pour autant, doit-on considérer la CGI comme un simple outil cinématographique et visuel, ou peut-on la considérer comme une pratique artistique à part entière ?
Une brève histoire de la CGI
Apparition et développement
La CGI fait sa première apparition en 1958, lors de la sortie du film d’Alfred Hitchcock Sueurs froides, où l’on voit apparaître des spirales tournoyantes générées par ordinateur pendant le générique du film. C’est cependant une entré en matière bien modeste car il faut attendre 1972 pour voir apparaître le premier court métrage entièrement généré par ordinateur, A Computer Animated Hand par Edwin Catmull et Fred Parkk, deux grands noms de la programmation.
Jusqu’à la fin du XXe siècle, la technologie progresse à un rythme soutenu et son lien avec le cinéma se renforce. Les films d’action et de science-fiction incluent des modèles 3D et des effets de plus en plus élaborés, que l’on retrouve dans des grands classiques. On peut citer le très célèbre Jurassic Park de Steven Spielberg qui marque un échelon dans l’usage de la CGI au cinéma avec l’utilisation de modèles d’une complexité encore jamais vue.
Depuis le XXIe siècle, la CGI connaît un essor exponentiel. L’augmentation de la performance des ordinateurs a permis de repousser des limites toujours plus grandes. On le constate dans la production cinématographique avec par exemple en 2003, le troisième volet de la célèbre trilogie du Seigneur des Anneaux de Peter Jackson. Ce film totalise plus de 1,14 milliards de dollars au box-office, et démontre la puissance du logiciel dans la gestion d’une foule virtuelle. En 2009 sort Avatar de James Cameron, repoussé depuis les années 1990 faute de capacités techniques. Le film s’illustre par une nouvelle technologie de capture de mouvements, ainsi que des personnages et des environnements de synthèse photoréalistes.
Limites et remise en cause
L’histoire de la CGI semble la dépeindre comme l’adaptation des technologies de l’informatique au service de la production cinématographique. La CGI peut repousser les limites du réel en ajoutant des effets visuels très développés qui stimulent l’imagination du spectateur. Pour autant, son efficacité dépend de la qualité de son utilisation. Si son exécution est mauvaise, elle peut générer un sentiment désagréable chez le spectateur en donnant l’impression d’une réalité imparfaite ou incohérente qui tente, vainement, de donner l’illusion du réel. En effet, l’existence d’échecs commerciaux qui avaient pourtant misé gros sur la CGI, comme Final Fantasy : Les Créatures de l’esprit ou encore Gods of Egypt, montre que celle-ci ne garantit pas à elle seule le succès d’un film.
De plus, comme en témoigne des films à succès utilisant des formes plus traditionnelles d’animation, comme La Princesse et la Grenouille de Disney, on peut en déduire que la CGI n’est pas à appréhender comme une technologie révolutionnaire et indispensable, mais davantage comme une technique de création artistique à base d’outils numériques. C’est en tout cas de cette façon qu’elle tend à se développer auprès du grand public.
Démocratisation et nouvelles tendances
Le développement d’une nouvelle communauté
A première vue, la CGI peut faire rêver plus d’un amateur. Nul besoin d’avoir le pinceau de David ou l’habileté de Michel-Ange pour produire du contenu époustouflant et extraordinaire, seul suffit le sens artistique couplé à une maîtrise du logiciel. Malheureusement, la réalité est plus complexe. Pour des raisons économiques et ergonomiques, le domaine de la CGI a longtemps été considéré comme difficile d’accès pour les débutants. En effet, les logiciels employés par les professionnels, comme Maya ou Zbrush, sont souvent très coûteux, et nécessitent la plupart du temps une prise en main assistée par un adepte, faute d’une interface pas toujours facile à appréhender.
Cependant, ces limites tendent aujourd’hui à disparaître. D’une part, des logiciels open-source gratuits ont émergé, permettant de s’initier à cette discipline sans débourser un centime. D’autre part, des bibliothèques en ligne mettent gratuitement au service des artistes toute sorte de contenu (textures, modèles 3D, programmes, algorithme…) afin qu’ils puissent les utiliser dans leurs projets. Enfin, des tutoriels et des formations, gratuits ou payants, sont à la disposition de tous, aussi bien sur des plateformes grand public comme YouTube que sur des sites dédiés.
Cette démocratisation a entraîné un essor considérable du nombre de productions réalisées par ces logiciels, et par extension du nombre d’artistes numériques. Pour tirer profit de cette augmentation et donner de la visibilité à ces nouveaux artistes, des plateformes de références en art 3D, comme Artstation ont émergé. Non seulement elles permettent aux artistes d’afficher et de vendre leurs créations ou de diffuser leur savoir sous la forme de cours en ligne, mais elles mettent également des artistes en contact avec des entreprises, ou des particuliers, qui souhaitent solliciter leurs services pour des projets ou des emplois.
Marché de l’art et musées : vers de nouveaux horizons
Dans le domaine du marché de l’art, la prolifération des contenus d’art numérique a entraîné l’émergence d’une nouvelle tendance, le crypto-art. Cela consiste à allier à une œuvre numérique un « jeton non fongible », une sorte de garantie numérique de l’authenticité et la traçabilité de l’œuvre. Ce procédé, utilisant la technologie du « blockchain » déjà employé par le Bitcoin, résout le problème du plagiat et de la copie d’œuvres numériques, qui rendait impossible leur adaptation sur le marché de l’art. Face à cette innovation, les maisons de vente traditionnelles ont décidé de sauter le pas. Le 25 février dernier, la première œuvre numérique soutenue par la blockchain est vendue chez Christie’s.
Si l’on assiste bel et bien à une démocratisation de la création 3D, on peut spéculer quant à sa propagation vers des terrains où le numérique n’a qu’une influence mineure, comme le domaine muséal. D’une part, du point de vue de la médiation culturelle puisque les musées développent de plus en plus leurs outils numériques – en partie du fait de la crise sanitaire – mais ils sont encore limités par leur manque de moyens financiers et de formation quant à l’usage de ces technologies. On peut supposer que la démocratisation de l’usage des logiciels de CGI facilitera la conception de nouvelles formes de médiations numériques plus innovantes. D’autre part, du point de vue de la collection du musée, si l’art 3D commence à se faire une place sur le marché de l’art, on peut imaginer qu’il s’en fasse également une, d’ici quelques années, dans les vitrines de nos musées.
Thomas Perrier
Sources :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Final_Fantasy_:_Les_Cr%C3%A9atures_de_l%27esprit