Le cinéma coréen : avènement d’un genre singulier

Provocant, sombre, malsain, lyrique, remarquable. Bien des mots peuvent définir le style si puissant qui anime depuis une vingtaine d’années les long-métrages de l’industrie du cinéma coréen. Le sacre du Parasite de Bong Joon-ho à la cérémonie des Oscars 2020 en atteste : le cinéma coréen est en pleine expansion et brille par l’originalité de ses films. En effet, longtemps tus par la censure qui réprimait la créativité en Corée du Sud, les cinéastes coréens se sont depuis imposés comme des maîtres du Septième Art notamment pendant la période de la Nouvelle Vague Coréenne qui débuta au début des années 2000. Photographie soignée, plans millimétrés et étude des relations humaines : les films coréens dépeignent avec noirceur et justesse le monde contemporain, non sans critiquer les failles de nos sociétés. Lumière sur l’avènement d’un genre singulier qui n’a pas fini de nous étonner… 

Un cadre sombre et violent. 

Les fictions coréennes dépeignent en effet des espaces où se côtoient violence et misère sociale. Ayant pour la plupart lieu en Corée, que ce soit dans des grandes agglomérations comme Séoul ou dans des espaces ruraux plus reculés, le constat est le même : les cinéastes coréens ont à cœur de créer une ambiance sombre et parfois malsaine. Que ce soit dans un commissariat de Gyunggi où les suspects sont molestés par une police corrompue et inactive dans l’excellent Memories of Murder de Bong Joon-Ho ou au cœur du réseau proxénète d’un ex-policier où le danger rôde dans les rues les plus banales dans The Chaser de Na Hong-jin, le décor est sale et obscur, l’atmosphère haletante et inquiétante. 

Old Boy, de Park Chan-wook – 2003, produit par Lim Seung-yong et Kim Dong-joo

            Ces plans sombres plongent tout de suite le spectateur au cœur de thrillers puissants qui vont mettre en scène des personnages amenés à devenir violents pour subsister dans un monde injuste et froid. La virtuosité artistique et la maîtrise technique des plus grands noms coréens esthétisent la violence à tel point que lorsque la cause semble juste, un tel déchaînement de violence semble justifié.

Le déchaînement de violence dans Old Boy

Que dire de cette scène mythique du Old Boy de Park Chan-wook où Oh Dae-su affronte à lui seul une vingtaine d’hommes gardant la prison clandestine dans laquelle il a été emprisonné, uniquement armé d’un marteau ? Cherchant à savoir pourquoi il a été enfermé, le spectateur n’est intuitivement pas choqué par la violence déployée par Oh Dae-su qui a subi en premier lieu une injustice que l’on ne comprend pas. Certains films vont plus loin en exacerbant la violence pour souligner ce que les sentiments humains ont de plus profond et de plus noir : le thème du cannibalisme dans J’ai rencontré le diable de Kim Jee-woon ou encore l’ultime meurtre notablement odieux commis par l’assassin de Memories of Murder choquent particulièrement. Le monde vu par le prisme du genre coréen est profondément mauvais, violent et poussent les protagonistes à faire des actes inconsidérés, le plus souvent en quête de justice : c’est ce qui rend ce style cinématographique éminemment humain. 

J’ai rencontré le diable, de Kim Jee-woon – 2010, co-produit par Showbox/Mediaplex ; Softbank Ventures, Peppermint & Company et Siz Entertainment 

Des personnages ambivalents. 

Le héros coréen fait figure d’anti-héros. Arrogant, corrompu ou violent, il n’hésite pas à transgresser certaines barrières morales pour arriver à ses fins. En concordance avec le cadre dans lequel il évolue, il a une part indéniable d’obscurité qui se retourne bien souvent contre lui. Le service de police amoral et paresseux de Memories of Murder, les personnages de Mademoiselle de Park Chan-wook qui cherchent à se duper les uns les autres, le désir maladif de Soo-hyun de torturer l’assassin de sa fiancée qui finit par lui échapper dans J’ai rencontré le diable … autant de situations qui illustrent l’irrationalité latente de l’être humain. Cependant, les cinéastes coréens arrivent avec brio à rendre leurs personnages humains par cette ambivalence qui les caractérise. 

La police de Memories of Murder (réalisé par Bong Joon-ho), forçant un handicapé mental à avouer un meurtre pour donner un coupable à sa hiérarchie – 2003, produit par CJ Entertainment et Sidus Pictures

Oh Dae-su, violemment humain

C’est effectivement dans les moments les plus durs et les plus sombres que se dévoile véritablement l’humanité des personnages principaux. C’est un des thèmes phare du genre coréen : l’analyse en profondeur de ce qui nous rend vraiment humains. Mentionnons cette scène déchirante qui clôt Old Boy :  lorsque Oh Dae-su se rend compte de la relation incestueuse qu’il entretient avec sa fille, orchestrée par l’homme qui l’a séquestré pendant quinze ans, la folie le gagne et plus rien ne lui permettra de passer outre cette terrible vérité. Il prétend littéralement être un chien et se met aux pieds de son bourreau : il ne peut pas concevoir ce qu’il a fait inconsciemment et préfère devenir fou que vivre avec cette réalité. C’est à ce moment-là du film qu’Oh Dae-su, personnage violent, peu courtois et en quête de justice apparaît le plus humain.

Oh Dae-su, bercé par les mensonges d’une hypnotiseuse pour échapper à son insoutenable réalité à la fin d’Old Boy (de Park Chan-wook – 2003, produit par Lim Seung-yong et Kim Dong-joo)

Puissance esthétique et éventail d’émotions. 

Les cinéastes coréens, et tout particulièrement les artisans de la Nouvelle Vague coréenne, démontrent de film en film une virtuosité technique impressionnante. Symétrie parfaite des plans, profondeur de champ, décors impeccables, qualité de l’image : certains films coréens sont des véritables œuvres d’art par leur aboutissement cinématographique. L’esthétisme est une clé du cinéma coréen qui s’est affirmé comme une référence en la matière. 

Mademoiselle, de Park Chan-wook – 2016, co-produit par Moho Film et Yong Film

Mêlant horreur, drame, thriller ou comédie, les films coréens offrent un éventail d’émotions impressionnant. Le spectateur passe par tous les états et la brutalité des changements d’émotions le frappe d’autant plus.

Memories of Murder, ascenseur émotionnel

La scène de Memories of Murder où l’équipe de police se rend au bar pour se divertir un peu avant d’apprendre un nouveau décès nous fait subitement passer du comique au tragique. Un exemple en la matière est probablement le chef d’œuvre de Na Hong-jin The Chaser. Nous suivons parallèlement l’enquête et la situation extrême dans laquelle se trouve la jeune femme victime d’une tentative de meurtre, qui finit par s’échapper du lieu où elle est séquestrée. Elle parvient à se réfugier dans une épicerie du quartier, où par le hasard des choses, l’assassin vient acheter un paquet de cigarettes. Informé par la vendeuse de la possible présence d’un meurtrier dans le quartier, ce-dernier comprend d’où provient l’information et assassine la vendeuse, ainsi que sa première victime dans un déchaînement de violence assourdissant. Le passage de l’espoir au désespoir s’effectue extrêmement rapidement et le spectateur est d’autant plus touché par l’extrême violence employée. 

Mi-jin, réfugiée à l’arrière d’une épicerie dans un état critique, avant d’être retrouvée par l’assassin de The Chaser – 2008, réalisé par Na Hong-jin et produit par Bidangil Pictures

Une notoriété grandissante. 

Désormais incontournable, le genre coréen s’est imposé dans l’univers du cinéma par sa patte si singulière. Le sacre de Parasite aux Oscars n’est pas l’aboutissement d’un film particulièrement réussi : c’est la consécration de vingt ans de réflexions et de films introspectifs puissants et esthétiques qui ont démontré l’existence d’une industrie cinématographique créative et qui casse les codes. Rappelons qu’Old Boy a séduit au point de remporter le Grand Prix du Festival de Cannes en 2003 et que Mademoiselle a obtenu le prix de Meilleur film en langue étrangère aux BAFTA en 2016.

Bong Joon-ho avec les six statuettes attribuées à Parasite – 2020, ©VALERIE MACON / AFP

            Après la consécration suprême du film de Bong Joon-ho, l’avenir du cinéma coréen promet d’être explosif. La constante réinvention des codes du cinéma à chaque sortie de film fait maintenant office d’évènement. Placé sur le devant de la scène, il reste à savoir comment le genre coréen va évoluer dans les prochaines années, et quels codes il va être amené à réinventer … 

Parasite, de Bong Joon-ho – 2019, co-produit par Barunson E&A et CJ Entertainment

Tom Ziakovic

Bibliographie

https://leblogduherisson.com/le-cinema-coreen-une-vague-dun-genre-nouveau/

https://www.gqmagazine.fr/pop-culture/article/parasite-est-la-preuve-que-le-cinema-coreen-a-10-ans-davance

https://www.frenchtouch2.fr/2016/11/entretien-avec-park-chan-wook.html

https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2019/05/21/seoul-capitale-d-un-cinema-en-pleine-forme_5465222_4500055.html

https://www.estrepublicain.fr/actualite/2019/05/26/bong-joon-ho-j-aime-casser-les-codes-du-cinema-de-genre

https://www.premiere.fr/Cinema/News-Cinema/Rencontre-avec-Bong-Joon-ho-le-realisateur-de-Parasite-qui-a-remporte-quatre-Oscars

https://culture.audencia.com/bong-joon-ho-a-parasite-les-oscars-2020/