Le rachat de la 21st Century Fox en 2019 a posé beaucoup de questions quant au dangereux monopole que Disney est en train de se créer, car ce rachat lui permet d’acquérir des chaînes telles que National Geographic ou le réseau Sky, mais aussi côté cinéma de franchises telles que X-men et les droits de distribution de Titanic, Alien ou Avatar entre autres. Ce rachat vient marquer la concrétisation d’une volonté devenue réalité de concurrencer Netflix sur le marché des plateformes de streaming. Ajoutons à cela tous ses parcs d’attractions dans le monde et se dresse alors le bilan de presque 100 ans d’expansion, non sans embûche pour parvenir à créer un empire du divertissement. Un empire qui pose des questions et qui fait parfois peur.
Walt Disney, un patron visionnaire, en quête de modernité
Aux prémices de Disney se trouve une recherche de modernité. Walt Disney, qui au début des années 1920 avait quelques courts-métrages d’animation à son actif décide en 1923 de créer avec son frère son propre studio, le Disney Brothers Studio, rebaptisée Walt Disney Studio en 1926. Walt voit dans l’animation le futur du divertissement sur grand écran.
Les débuts sont compliqués pour le nouveau studio qui ne parvient pas à vendre aux distributeurs la nouvelle création de Walt, une certaine souris nommée Mickey. Walt Disney s’intéresse donc à l’utilisation du son dans l’animation. Si certains dessins animés sonores comportaient déjà du son, Walt, plein d’ambition, investit tout son argent dans son court-métrage d’animation Mickey Mouse Steamboat Willie. Le son n’est alors pas qu’un simple accompagnateur de l’image, mais partie intégrante du court-métrage, accompagnant les gags, ce qui marquera le premier succès du studio.
Plusieurs courts-métrages usant de nouvelles technologies ainsi qu’un budget très conséquent lui permettent de mêler cette expérience pour produire en 1937 ce qui marquera un tournant dans l’histoire du studio : Blanche-Neige et les Sept Nains. Le film est évidemment un énorme succès et le plus gros succès du cinéma jusqu’à Gone with the Wind deux ans plus tard. Il révolutionne le genre de l’animation et propulse Disney sur l’avant-scène. L’équipe de plus de 1200 animateurs déménage alors dans de nouveaux locaux à Burbank, Los Angeles.
En 1940, Disney définit son projet d’ouvrir un parc d’attractions qui ouvre en 1955 à Anaheim (Californie). L’expansion Disney a commencé. Puis en 1971, c’est Disney World à Orlando (Floride) qui ouvre ses portes avec 11 000 hectares contre 37 pour celui de Californie. Walt Disney ne verra jamais le parc puisqu’il s’éteint en 1966. Cependant, son héritage continue et des parcs ouvrent un peu partout dans le monde à Paris, Tokyo, Hong-Kong et Shanghai.
Avec cette diversification, le modèle de l’entreprise fait peur à certain et on parle déjà de Disneyisation pour désigner l’uniformité culturelle que l’entreprise est en train de créer.
Un empire qui ne finit pas d’asseoir son monopole au XXIème siècle
Au début des années 2000, Disney est sans aucun doute un mastodonte du divertissement, avec plus de 70 productions à succès. Mais l’empire ne s’arrête pas là. Le studio souhaite s’étendre de plus en plus sur le cinéma hollywoodien et en un peu plus de 10 ans, par le biais d’acquisitions, se hisse au rang du plus gros studio américain. En 2006, Disney rachète ainsi Pixar pour 7,4 milliards de dollars. En 2009, c’est au tour de Marvel d’être racheté pour 4 milliards. La franchise sera la plus lucrative pour Disney avec notamment Avengers : Endgame qui récoltera 2,8 milliards de dollars de recettes. En 2012, Disney rachète Lucasfilm pour 4 milliards et détient donc désormais la franchise Star Wars.
Enfin, en 2019, le rachat de 21st Century Fox pour 71,3 milliards donne un coup de marteau au cinéma hollywoodien. Avec ce rachat, Disney acquiert l’ensemble du catalogue de la Fox, soit pas moins de 3 600 films, et met fin aux « Big Six », les six principaux studios qui se partageaient alors les recettes du marché hollywoodien.
De surcroît, Disney écrase la concurrence en 2019 avec de multiples succès tels qu’Avengers : Endgame, Le Roi Lion (1,6 milliard de dollars de recettes) et réalise 4,3 milliards avec Aladin, Toy Story 4, Captain Marvel et Spider-Man : Far From Home. À l’heure actuelle, Disney compte 8 films dans le top 10 des films ayant réalisés les plus grosses recettes de l’histoire.
Pour couronner le tout, Disney+, la nouvelle plateforme venue concurrencer Netflix, regroupe 90 millions d’abonnés à travers le monde.
En somme, Disney a profité du laxisme des autorités antitrust (contre la prise de monopole) à son égard pour réaliser une série d’achats lui permettant de plus que doubler son chiffre d’affaires, de 32 milliards de dollars en 2005 à 69 milliards en 2019.
Un monopole qui fait peur
La raison pour laquelle Disney parvient à hisser ses films en haut des ventes est avant tout sa compréhension du marché. Avec l’arrivée des plateformes de streaming, les consommateurs de films préfèrent attendre que les films sortent sur les plateformes et ne se déplacent que pour les films à gros budget leur offrant un spectacle visuel et une expérience propice au grand écran. Dès lors, les grosses productions Disney font un carton et les films indépendants parviennent de moins en moins à trouver un public dans les salles. Résultat : les recettes de Disney augmentent et l’entreprise peut racheter d’autres acteurs du secteur, au risque de marginaliser les réalisateurs indépendants. À terme, l’entreprise pourrait asseoir un peu plus son rôle de symbole du capitalisme culturel.
Cependant cela pose problème car de plus en plus de films viennent de Disney ou sont liés au studio. Disney possède par exemple depuis le rachat de Lucasfilm la plus grande société d’effets spéciaux du cinéma américain, Industrial Light & Magic (ILM). En possédant cette société, Disney possède en quelque sorte le monopole des effets visuels d’Hollywood.
Il est en fait rare qu’un film ne dépende pas du géant, ce qui pose le risque de standardisation des productions. D’autant que depuis l’échec de John Carter, Disney ne souhaite plus que développer des franchises déjà existantes ou actualiser des vieux succès. Avec ce phénomène de Disneyisation, les spectateurs tendent à délaisser les autres genres et à consommer une majorité de films à la sauce Disney. Le cinéma engagé laisserait donc place à un cinéma de genre où la bienveillance et la superficialité prédominent et où la pluralité des opinions se ferait de plus en plus absente.
Avec ce danger vient également le problème des coûts dans le secteur. Si Disney gagne toujours plus de parts de marché, la firme pourrait alors exercer un contrôle des coûts à son avantage. Disney réclame ainsi déjà 65% des recettes à certaines salles qui ne peuvent plus se passer des productions du géant. L’empire Disney serait alors inarrêtable, à moins d’un changement de comportement des consommateurs. Certains, comme Spielberg, pensent qu’un essoufflement de ce type de culture aura lieu : « Il y a un moment où les super-héros emprunteront le même chemin que le western ». Ce qui est sûr, c’est que la Walt Disney Company fera tout pour maintenir son empire et garder un rôle prédominant dans le divertissement. Reste à savoir si l’autorité de la concurrence freinera l’expansion du géant.
William West