Qu’est-ce que le prototypage rapide et l’impression 3D ? En quoi le rapid manufacturing peut s’inscrire dans une démarche artistique disruptive ? Les premières rencontres entre l’Art et le Prototypage, un pas vers l’accessibilité. L’utilisation révolutionnaire de la fabrication additive dans le design. Les limites artistiques de la fabrication additive ou la difficile différenciation entre technicien et artiste.
Qu’est-ce que le prototypage rapide et l’impression 3D ?
Le « Rapid manufacturing », ou prototypage rapide en français, est une méthode qui permet de fabriquer des formes et objets à l’aide de commande de machines préalablement codées. Dans cet ensemble de méthodes on retrouve tout particulièrement la fabrication additive de matière ou l’impression 3D qui ont révolutionné le monde du prototypage et de l’industrie manufacturière. En effet, elles ont permis aux industries d’expérimenter des produits en phase de prototypage en un temps record et à moindre coût.
Il semble donc plutôt naturel et cohérent que le prototypage rapide et l’art moderne se rencontrent grâce à leur qualité disruptive. Mais comme toute discipline qui se veut originale et sans précédent, elle n’est pas sans critique et doit constamment prouver sa place artistique et le travail de réflexion derrière, ce qui limite le côté rapide de cette méthode.
Ainsi, en quoi le rapid manufacturing peut s’inscrire dans une démarche artistique disruptive ? Permet-il la différenciation entre l’artiste et le technicien ?
Les premières rencontres entre l’Art et le Prototypage, un pas vers l’accessibilité.
Les premiers essais artistiques utilisant des modèles d’impression 3D étaient des copies de sculptures réelles afin d’étudier les détails de celles-ci afin de comprendre la technique utilisée par certains artistes. Par exemple, l’un des premiers modèles utilisés était le monument commémoratif d’un militaire sibérien, Petar Bojovic. Il a d’abord été étudié sur place puis scanné et retranscrit en langage informatique.
Cet essai a permis à n’importe quel artiste disposant des outils informatiques ou de la machinerie nécessaire d’étudier les différents angles de cette sculpture sans devoir s’y rendre et donc de mieux comprendre les détails de cette sculpture tout en les reproduisant directement dans leurs ateliers. C’est une réelle révolution technologique car, elle permet de rendre l’art beaucoup plus accessible et de retranscrire un message n’importe où dans le monde. Cependant, ce processus de création est lent car, il doit passer par de nombreuses étapes de retranscription de données avant d’être lancé en impression.
Ce protocole s’inscrit dans la même dynamique que la volonté virtuelle de recréer l’expérience d’une œuvre d’art via des outils technologiques, comme la visite virtuelle du musée du Louvre en réalité augmentée. Cette nouvelle pratique bénéficie donc à la fois au spectateur qui peut faire l’expérience d’une œuvre d’art à portée de main, mais également à l’artiste dans ses recherches artistiques afin de comprendre la complexité de certains procédés artistiques. Cependant, on remarque qu’ici, nous sommes dans un cas où le rendu final n’est pas considéré comme une œuvre en elle-même, il n’y a pas de confusion entre l’art et la méthode technique présentée, pour autant le travail technique associé n’est pas spécialement mis en valeur malgré sa complexité et son originalité. Une dernière question éthique se pose cependant, sur le domaine légal de cette méthode qui ne prend pas en compte la volonté de l’artiste d’être imité grâce à la technologie.
L’utilisation révolutionnaire de la fabrication additive dans le design.
Le domaine du design a toujours été très proche des nouvelles technologies et va de pair avec l’ère moderne du digital. C’est donc sans grande surprise que le monde du design s’est emparé de la fabrication additive pour proposer des produits plus fous et surréels à présenter. Tout d’abord à but promotionnel, l’AM a été proposé dans les années 2000 par de nombreuses maisons de mode novatrice. On reconnaît par exemple le travail très hors du temps du Studio XO qui a créé de nombreux vêtements via des imprimantes 3D tels que la robe en sculpture paramétrique, qui ont ensuite été proposés à de nombreuses stars sur les tapis rouges afin de faire la une des journaux. Même si l’objectif de l’époque était de créer le buzz, cela a permis de démocratiser l’idée que la mode va de pair avec la technologie et que l’artisanat autrefois promu par de nombreuses marques de luxe devait également laisser de la place aux méthodes de RM.
Avec la démocratisation de l’utilisation du rapid manufacturing dans le design, de nouveaux artistes designer ont développé des pièces à forme complexe défiant les lois physiques de la mode. C’est à ce moment, que la fabrication additive n’a plus été considérée comme un moyen marketing mais, comme un réel outil artistique de design. Ainsi une nouvelle ère de Designer technicien est née afin de répondre à cette demande artistique. La marque de bijoux Wertel Oberfell a notamment développé un projet avant-garde de bagues entremêlées qui par leur forme sphérique pourraient glisser dans n’importe quelle position les unes sur les autres, sans pour autant se dissocier ou perdre de leur forme. C’est un ensemble de 4 bagues créées en fabrication additive, leur motif et forme spécifiques ont été créés par laser en frittage sélectif, ce qui revient donc à fritter ou à faire fusionner des poudres matérielles afin de former un motif voulu. Ces bagues au-delà d’utiliser des méthodes non conventionnelles, marquent l’histoire en revisitant les lois physiques de la géométrie mathématiques et constituent à elles-mêmes un paradoxe scientifique.
Au-delà du design à porter, d’autres designer plus basé sur la décoration ont tenter d’explorer les possibilités qu’offraient le rapid manufacturing. Dans la même lancé que la chambre anéchoïque, Peter Lang tenta de créer une pièce unique qui absorbe le son qui la traverse. Il s’inspire tout d’abord des nids de frelons et de guêpes afin de commencer à modéliser son œuvre en format papier en ajoutent des feuilles épaisses les unes aux autres pour créer une forme unique, puis il décide d’utiliser la conversion en STL afin de pouvoir décliner son œuvre informatiquement et la perfectionner. Il utilise pour matériau l’Arboblend, un matériau biocompatible qui va lui permettre de le rendre à la fois modifiable et durable. Il décide de l’inscrire dans une vison artistique unique en le peignant à la main pour que le grand public ne critique pas la légitimité de l’œuvre. Cette œuvre est à la fois un exemple de réutilisation de formes naturelles et de modélisations de celles-ci, et cela est possible seulement via le RM, car son prototype à la main n’était pas aussi fonctionnel que celui fabriqué. En effet, le but de cet objet est à la fois décoratif, mais il permet aussi d’améliorer l’acoustique d’une pièce en l’accrochant au plafond comme un lustre.
Les limites artistiques de la fabrication additive ou la difficile différenciation entre technicien et artiste.
De nombreuses questions se posent quant à la légitimité de certaines œuvres d’art créées en fabrication additive. En effet, même si celles-ci sortent de l’imaginaire humain, elles ne challengent pas les capacités du corps de l’artiste. Elles demandent à celui-ci des capacités techniques, loin de celles artistiques originelles, ou dans le pire des cas demandent seulement à l’artiste d’être entouré de techniciens. Ce qui dans l’inconscient ne légitime pas les heures passées sur une œuvre, aussi complexe qu’elle soit.
De plus, ce procédé pose de nouvelles questions telles que celles sur la propriété intellectuelle qui est mise en danger via ce type de pratiques.
En effet, s’il est aussi facile d’imprimer à partir d’un fichier STL, il est également simple de transférer ce fichier et de l’imprimer sur une autre machine. Ainsi, le côté très unique d’une pièce d’art perd de son sens et l’œuvre perd de sa valeur artistique. Finalement, c’est à se demander si le travail de l’artiste peut être vain malgré le raisonnement mené, si celui-ci venait à se faire voler son fichier.
Cependant, comme pour de nombreuses avancées technologiques, la critique est souvent très présente à ses débuts, mais dès que celle-ci fait son temps, on la considère comme légitime. Une législation propre à ce domaine reste cependant à étudier pour limiter tout conflit intellectuel.
Sofiane Abdelaziz