Les expositions de mode posent la question suivante : la mode est-elle un art ? Cette question, ancienne, semble avoir trouvé une réponse favorable au cours de ces dix dernières années : la mode est un art mais un art de l’éphémère. La mode, ou plutôt les modes, sont est à la fois un héritage du passé et quelque chose appartenant au quotidien.
Depuis quand considère-t-on la mode comme faisant partie à part entière de l’histoire de l’art ?
Le XIXe siècle développe un intérêt pour la mode en tant que médium à exposer, mais l’intérêt des conservateurs est dirigé sur des pièces anciennes, archéologiques ou antérieures au XVIIIe siècle. La mode contemporaine souffre de préjugés, on la juge frivole, peu importante, c’est une affaire de femmes dans un milieu muséal masculin.
Le lendemain de la Seconde Guerre mondiale marque un tournant dans l’histoire de la mode :rationnement oblige, les maisons de couture doivent se réinventer et retrouver leur clientèle. La chambre syndicale de la Haute Couture parisienne crée alors le Théâtre de la Mode, une exposition de mode où les mannequins sont remplacés par des poupées en fils de fer et les collections des couturiers sont miniaturisées. Cette innovation, née de la pénurie de tissus, connait un immense succès, l’exposition commence à Paris, puis à Londres, Barcelone, Stockholm, Vienne.
Ce qui au départ avait un but commercial, celui de relancer l’économie de la Haute Couture, est devenu un évènement culturel international de grande ampleur. Cette exposition met en avant le travail des créateurs, la technicité des couturiers mais aussi l’imagination des artistes créant les décors et les poupées.
On assiste après la Seconde Guerre mondiale, et plus précisément dans les années 80-90, à une démocratisation du monde de la mode alors que jusque dans les années 70, il était interdit de photographier ou dessiner les modèles durant les défilés. A partir de cette époque tout le monde peut enfin avoir accès aux photos et plus tard aux vidéos de ces évènements.
Mais aujourd’hui le monde de la culture, de l’art et de la mode subissent de plein fouet la crise sanitaire. Les musées sont fermés, les défilés distancés et les artistes confinés.
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Comment les maisons de mode se réinventent au sein de la crise ?
Le Mythe Dior
Les maisons de mode ont, par leur créativité, relancé l’industrie de la mode au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale. C’est cette même créativité que Dior a démontré lors de la présentation de la collection Automne-hiver 2020-2021. La maison a réutilisé la solution vieille de plus de 70 ans en la réadaptant à la période : les mannequins de chair et les mannequins de fils de fer se mêlent. Il faut néanmoins préciser que si la vidéo est un hommage à l’industrie d’après-guerre parisienne, la maison Dior créée en 1947, n’existait pas au moment de la réalisation du Théâtre de la Mode. Le court métrage réalisé par Matteo Garrone intitulé Le mythe Dior, monte un monde inspiré de la mythologie grecque. Dans des bois enchantés, une sirène nage dans des eaux lipides, des nymphes jouent sur la rive, Narcisse admire son reflet. Deux jeunes grooms transportent une malle contenant les mannequins miniatures au sein de ce monde merveilleux, s’arrêtant auprès des déesses qui choisissent leur parure. Ce court métrage créé un parallèle entre l’industrie de la mode en difficulté après-guerre et la situation actuelle.
Dior illustre le pouvoir de la Haute-Couture, ses créations nous emmènent hors de notre quotidien dans un univers hors du temps où on court dans les forêts et on nage en étant couvert des plus précieuses étoffes.
Les marionnettes de Moschino
Dior a utilisé la carte de la référence historique, mais elle n’est pas la seule maison à s’être inspiré du Théâtre de la mode. Moschino a utilisé la même référence, preuve de l’impact durable de cette exposition ancienne et de l’attrait de cette proposition malgré les évolutions technologiques. La collection Printemps-Eté 2021 met en scène des marionnettes qui déflient en imitant les mannequins classiques. Contrairement à Dior, qui utilise les mannequins comme support pour montrer des modèles à leurs clientes, chez Moschino les marionnettes sont des mannequins miniatures. Gigi Hadid, ou du moins son double miniature, ouvre le défilé sous les yeux de Vanessa Friedman, Anna Wintour, Hamish Bowles, Anna dello Russo et Edward Enninful miniaturisés. Le défilé mélange le monde enfantin des marionnettes au monde du cirque, comme la scène d’ouverture le montre pour nous laisser nous évader dans un monde libre des contraintes sanitaires.
Autres visions originales
Si ces deux propositions et d’autres encore (on peut citer la collection Mirror, Printemps-été de Walter Van Beirenonck), s’inspirent de propositions anciennes remises au goût du jour : la technologie est aussi utilisée pour permettre au monde de la mode de continuer à vivre. On peut citer la collection Miu Miu Printemps-Eté 2021 qui donne à voir un public en visio-conférence, ou encore la collection Printemps-Eté 2021 de Thom Browne qui se situe dans un monde futuriste célébrant les jeux lunaires, sortes de jeux olympiques intergalactiques en 2132.
Bien que tous les exemples précédents montrent des idées nouvelles ou anciennes qui sont des réponses originales à la crise actuelle, la plupart des maisons de mode continuent de montrer leur collection en présentiel, ce qui contribue à l’image futile et égoïste du milieu de la mode.
Si le monde de la création de mode semble avoir trouvé diverses formules lui permettant de continuer à créer et à présenter ses créations malgré la crise sanitaire, qu’en est-il des expositions de mode ?
Les expositions de mode sont, par essence, éphémères de par la nature fragile des collections, mais elles permettent de mettre en avant un créateur, une technique ou une époque et rendent visible des joyaux du luxe habituellement cachés aux yeux du public. La mode est un médium artistique par essence complexe, tridimensionnel et fait pour être vu en mouvement. L’exposition de mode doit relever le défi de rendre compte du volume et du dynamisme des formes tout restant immobile.
Comment les expositions de mode s’adaptent-elles à la crise sanitaire à l’aide du numérique ?
L’exposition vêtements modèles du Mucem
Les différentes institutions ont été amenées à développer des réponses différentes, on peut citer le cas du Mucem dont l’exposition Vêtements modèles est visible en ligne . Si l’idée est bonne (on peut se déplacer dans les différentes salles d’exposition en passant de point en point) la visite cumule les défauts de la visite physique avec ceux de la visite virtuelle. Il est impossible de zoomer sur les vêtements ou objets rendant les œuvres très peu lisibles. Les mesures de protection comme les filets anti-UV, qui sont nécessaires pour une exposition physique n’ont pas été retirés empêchant de voir les textiles. Des points positifs existent néanmoins : l’exposition est visible de partout et, en principe, pour toujours. Ce mode de captation d’une exposition permet aussi de garder une trace de la scénographie souvent peu conservée par les musées.
La mode à Versailles
Une autre approche a été envisagée au château de Versailles pour les « expositions » La mode à Versailles : lui et La mode à Versailles : elle. L’utilisation de guillemets reflète le problème, il ne s’agit pas, du moins à mon avis, d’expositions. Il faut noter que ces expositions datent en réalité de 2017, mais ont été mises à nouveau en avant dans la presse durant les confinements et la fermeture des musées. Ici, les expositions n’ont jamais eu lieu autrement que sur le site du Google Arts & Culture, le format est donc très différent des expositions classiques. Si celles-ci sont intitulées “La mode à Versailles”, elles ne présentent aucune pièce textile, probablement parce que toutes les œuvres présentées doivent appartenir aux collections du château de Versailles. On se retrouve alors avec une exposition plus proche du diaporama et du support de cours que d’une véritable exposition. Si le fond est intéressant, la forme est décevante pour les amateurs de mode.
L’exposition Jean de la Cité des Sciences
D’autres moyens mis en place par les institutions et les musées sont les expositions en ligne mais payantes. Au niveau des expositions de mode, on peut citer l’exposition Jean de la Cité des Sciences : le musée propose une visite commentée d’une heure en visioconférence. Cette formule permet de rendre les expositions accessibles à tous, de continuer à faire vivre l’institution, mais aussi probablement d’éviter les problèmes rencontrés dans les autres solutions sus-mentionnées comme le manque de dynamisme. Si la visite est payante, même à prix modeste, il est aussi possible de voir l’inauguration de l’exposition avec des interviews des différents participants et des vues des salles pour avoir un avant-goût de la visite virtuelle ou compléter celle-ci.
Si cette solution combinant médiation virtuelle, offre gratuite et payante semble être la plus adaptée à la période actuelle, il faut néanmoins souligner que tous les publics habituellement bénéficiaires de la gratuité ne peuvent pas accéder gratuitement à l’exposition virtuelle. Ce seul point noir se comprend par la complexité de la vérification et le fait que cette offre puisse être comparée à une visite guidée physique, payante pour tous les publics même en temps normal.
Le monde de la mode cherche à se renouveler et à dépasser les frontières mises en place par la crise sanitaire. Si certains acteurs se renouvellent et proposent de nouvelles manières de voir la mode, dans le milieu des défilés la plupart ne semblent pas vouloir se séparer de l’ancienne formule en présentiel. Le monde muséal quant à lui ne bénéficie pas de financements équivalents à ceux de l’industrie du luxe et peine à montrer efficacement ses collections du fait des nombreuses contraintes inhérentes aux textiles. Il faut donc souligner l’ingéniosité des institutions qui s’y risquent et qui, malgré la crise, continuent à mettre en avant notre patrimoine.
Clémentine Canu
Sources :
La mode au musée : Histoire et enjeux de pratiques au féminin, Damien Delille
https://journals.openedition.org/culturemusees/1209
https://www.cairn.info/revue-societes-et-representations-2011-1-page-125.htm