10 ans de Nostalgia Ultra

A l’occasion des 10 ans de la mixtape « Nostalgia Ultra », un retour s’impose sur le parcours impressionnant d’un des plus grands artistes contemporains, Frank Ocean. 

Né en 1987 en Californie sous le nom de Christopher Breaux, il part vivre à la Nouvelle Orléans à l’âge de 5 ans avec sa mère. Sa famille étant peu aisée, sa mère lui fait comprendre que l’argent qu’elle gagne est consacré à ses études et non à la musique. Christopher enchaîne les petits boulots à côté de la fac pour se payer du matériel et enregistrer sa musique, mais l’ouragan Katrina de 2005 en décide autrement. Son studio d’enregistrement ravagé, il décide de partir à Los Angeles. Un tournant s’opère.

Les débuts sous le nom de « Lonny Breaux »

Arrivé à LA, il rencontre des producteurs et notamment « Midi Mafia » qui a produit entre autres « 21 questions » de 50 cents. Il expose ses premières mixtapes avec la « Lonny Breaux Collection », un projet très RnB et dans les codes de ce qu’il fait avec « Bricks and Steel », « Can’t be the last time » ou encore « One Look » avec Midi Mafia à la production.

Il est d’abord remarqué pour son écriture et les producteurs vendent ses chansons à des étoiles montantes de la musique RnB, notamment Brandy.  A cette période, il regarde le film « Ocean Eleven » avec Frank Sinatra et décide de changer « Lonny Breaux » en « Frank Ocean ». 

Frank Ocean Øyafestivalen 2012. ©Ole Hagen, NRK P3, flickr

Odd Future et le projet Nostalgia Ultra

En 2010, il rejoint un collectif d’artistes appelé « Odd Future » et rencontre Taylor The Creator. Le collectif est très apprécié dans le milieu du RnB mais n’a pas encore connu de gros succès majeur puisque l’album « Bastard » de Taylor n’a pas été apprécié à sa juste valeur. Le label « Def Jam » entend parler de Frank Ocean et le signe à contrecœur, sous la pression de Tricky Stewart qui insiste sur le talent du jeune artiste. Mais la signature du contrat n’avance pas beaucoup Frank Ocean qui ne reçoit aucun acompte pour ses projets et ne bénéficie pas d’un réel suivi. Il passe donc beaucoup de temps avec Odd Future et incorpore de plus en plus de sonorités hip-hop tout en gardant son identité soul et RnB. Il attire l’attention de la presse indépendante puisqu’il propose une alternative entre le hip-hop classique et la soul/funk. Inspiré par l’indépendance du mouvement Odd Future, il sort gratuitement sa mixtape Nostalgia Ultra et la critique annonce déjà un succès majeur de la deuxième décennie du XXIème siècle, nous sommes alors en 2011. 

Frank Ocean – Nostalgia,ULTRA cover

Def Jam et Channel Orange

Le label Def Jam daigne tardivement s’intéresser à l’artiste en même temps que de nombreux grands noms de l’industrie de la musique le découvrent. Il collabore avec Jay-Z et Kanye West en écrivant « No church in the wild » sur leur album commun, avec Beyoncé en composant « I miss you » et Jay-Z lui achète le titre « Thinking about you » pour sa protégée Bridget Kelly. En 2012, il rachète ses droits avant de sortir sa version, pour préparer la sortie de son premier album. La même année il annonce sa bisexualité sur son seul réseau social Tumblr. Il marque alors les esprits puisqu’il est le premier dans le monde du RnB à l’annoncer officiellement et suscite l’engouement des médias indépendants. Une semaine plus tard, sort son premier album « Channel Orange » : il construit un personnage iconoclaste et non-radiophonique. Il nous offre alors des chefs d’œuvres sortis des codes : « Sierra Leone », « Super rick kids » en feat avec Earl Sweatshirt, « Pyramids » aux sonorités plus électro, « Pink Matter » avec André 3000 ou encore « Bad Religion » où il évoque ses premières attirances pour un homme. C’est un album aux inspirations multiples comme Prince ou Steve Wonder qui propose une néo-soul indépendante de la pop contemporaine de l’époque. Il reçoit le prix du meilleur album urbain contemporain au Grammy de l’année.

Pochette de l’album Channel orange – Frank Ocean

De la discrétion à l’indépendance

Après cette nomination, Frank Ocean n’est que très peu aperçu dans les médias, il ne donne aucune interview et on ne peut l’apercevoir que sur quelques collaborations triées sur le volet, avec Kanye West sur « Life of Pablo » ou avec Les Carters par exemple. Sa discrétion ne l’empêche pas d’être très reconnu dans le milieu, mais toujours pas de deuxième album à l’horizon. 

En 2016, le label s’impatiente et fait une mauvaise publicité à l’artiste en disant qu’il se comporte en « diva » et que son caractère est de plus en plus difficile à gérer. Sorti de nulle part, Frank Ocean publie sur Youtube son deuxième album « Endless », qui le libère de ses obligations contractuelles avec le label. Vingt-quatre heures plus tard, il sort en indépendant sur son label Boysdon’tcry un album indétrônable : « Blonde ». Avec des collaborations comme Beyoncé sur « Pink + White » ou André 3000 sur l’interlude, l’artiste propose une tracklist aussi inventive que subversive. Le clip aux références multiples de « Nikes » produit par Tyrone Lebon sera visionné plus de 1,4M de fois, sur Vimeo. Avec des prodiges comme « Ivy », « Nights », « White Ferrari » ou encore « Godspeed », l’album a un caractère éclectique et atmosphérique, avec des guitares à la dérive et des mélodies sans beat qui accompagnent un lyrisme dense et puissant. Dans le Guardian, le critique d’album Tim Jonze a qualifié Blonde de « l’un des disques les plus intrigants et contraires jamais réalisés »[1]. Il est considéré comme l’un des plus grands albums R&B/pop de tous les temps. Outre sa performance artistique, l’album s’inscrit comme iconique puisqu’il contourne les codes de l’industrie musicale.

Pochette de l’album Blonde – Frank Ocean

 Clip de Nikes – Frank Ocean :https://vimeo.com/179791907

Depuis, l’artiste a notamment sorti en solo « Chanel », un titre qui s’écoute en boucle sans jamais s’en lasser. Il a aussi participé au projet de Tyler The Creator sur « 911 » qui a donné naissance à des lives emblématiques[2]. Frank Ocean s’inscrit comme un artiste humble, peu conventionnel et qui sait prendre des risques. On attend le prochain projet avec impatience !

Marie Iversenc

Sources

[1] https://www.theguardian.com/music/2016/aug/25/frank-ocean-blonde-review-a-baffling-and-brilliant-five-star-triumph

[2] https://www.youtube.com/watch?v=4m-2jTp5Wk8

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