« On dit d’un mets qu’il est excellent, d’une odeur qu’elle est délicieuse, mais non d’un mets qu’il est beau, et d’une odeur qu’elle est belle. » Kant.
L’idée avancée par l’auteur est que le champ culinaire ne peut être associé au champ artistique dans la mesure où, le cuisinier n’est pas artiste et ses réalisations ne peuvent être considérées comme des oeuvres d’art. Pourtant, l’acte de création intrinsèque à l’art est tout aussi présent dans le processus de réalisation d’une recette.
La cuisine peut-elle être érigée au rang d’oeuvre d’art? i.e Le domaine culinaire peut-il être source de plaisir esthétique et donc être dissocié dans certains cas de son utilité fondamentale?
Ainsi, il est opportun de comparer les caractéristiques d’une oeuvre d’art et celle d’un plat pour définir s’il est cohérent d’associer la cuisine à une forme d’art. Aussi, peut-on associer le champ culinaire à un champ à part entière de la culture si celui-ci procure des bienfaits similaires à ceux qu’engendrent la peinture, le cinéma ou encore le théâtre?
« L’art de la cuisine », une expression désuète
Historiquement, l’association des termes « art » et « cuisine » n’est pas propre à l’époque contemporaine. En effet, cette association qui parait presque révolutionnaire de par l’expression idiomatique « l’art de la cuisine » est en réalité héritée du XIXe siècle. Les auteurs André Viard et Antonin Careme sont à l’origine d’ouvrages portant dans leur titre cette association : Cuisinier impérial ou l’art de faire la cuisine et la pâtisserie (1806) et Art de la cuisine française au XIXe siècle (1833). Ces appellations sont sans doute inspirées par l’esthétique culinaire développée par le théoricien de l’art Carl Friedrich von Rumohr, qui publie en 1822 son Geist der Kochkunst (L’Esprit de l’art culinaire).
Ainsi, la cuisine est, depuis le XIXe siècle, associée à une forme d’art à part entière, mais cela est-il uniquement métaphorique ou témoigne d’une réelle correspondance?
Une oeuvre d’art se trouve dans votre cuisine
Proposons une méthode pour se prononcer en faveur ou en défaveur de la cuisine comme un art. La comparaison des caractéristiques d’une oeuvre d’art, considéré par tous comme tel, à celle d’un mets peut nous aider à trancher. Les caractéristiques de l’oeuvre d’art que nous retiendrons sont qu’une œuvre d’art est le produit rare voire d’exception d’un humain qu’on appelle un artiste, qu’elle s’adresse à un public sur lequel elle a certains effets, comme des émotions, des engouements, un plaisir souvent liés à la beauté des oeuvres et enfin qu’elle semble dire quelque chose du monde à un moment précis, dans le sens où est destinée à la postérité.
La première caractéristique abordée se retrouve largement dans l’art de la pâtisserie. En effet, les pâtissiers, dans un processus de création perpétuelle, n’ont de cesse d’être créatifs et peuvent tout à fait être considérés comme des artistes. À la différence de l’artisan, l’artiste pâtissier crée, innove et travaille autour de la notion du « beau ». La pâtisserie est un art tant dans la forme que dans le fond lorsque la prouesse technique se marie à l’élégance du visuel. Cédric Grolet, pâtissier français contemporain, reprend le leitmotiv surréaliste de René Magritte « Ceci n’est pas une pomme » dans son oeuvre qui consiste à réaliser des gâteaux qui reproduisent les fruits à la perfection. Ce travail d’orfèvre l’a indéniablement érigé au rang d’artiste par ses pairs.
La seconde caractéristique aborde les ressentis des spectateurs autour d’une oeuvre d’art. L’art culinaire, pour sa part, attise un sens non sollicité par les autres oeuvres d’art : le goût. Les papilles gustatives sont en effet des réceptacles précieux d’émotions. L’art de la pâtisserie, par exemple, est autant un art qui sollicite le visuel, l’olfactif que le goût.
Ne peut-on pas dire que la cuisine, dans ce cadre, rempli totalement le rôle d’oeuvre d’art en tant qu’activatrice d’émotions?
Enfin, l’oeuvre d’art se doit d’être le témoin du monde présent pour le monde futur. C’est ainsi qu’une oeuvre comme le Impression, soleil levant de Claude Monnet nous parle de l’époque impressionniste et d’une nouvelle réalité du sentiment sous un trait en relief. La cuisine et la pâtisserie, elles aussi nous parlent d’une réalité culinaire liée à un moment donné. L’exemple le plus contemporain est surement notre nouveau rapport à la viande. Dans un monde où la défense animale devient une priorité dans les pays occidentaux, le mouvement culinaire du veganisme semble épouser cette nouvelle réalité. Les recettes et les techniques s’inscrivent d’autant plus dans le respect de la nature et par conséquent dans la réalité présente.
La cuisine, une oeuvre patrimoniale
Toutefois, le propre d’une oeuvre d’art est aussi d’être transmise à la postérité. Dans ce cas, il semble impossible de léguer une réalisation culinaire à la postérité dans toute sa matérialité. Le spectacle vivant est un exemple parlant d’art qui ne peut être reproduit à l’identique. En effet, une pièce de théâtre est vécue hic et nunc i.e. ici et maintenant, c’est donc les supports qui sont relayés à la postérité comme les livres ou les films d’une pièce de théâtre. De la même manière, ce qui rend transmissible l’art culinaire, ce sont évidemment les livres de cuisine qui regroupent de précieuses recettes et techniques mais aussi la photographie culinaire qui permet de conserver la réalisation dans son contexte. La photographie culinaire, très en vogue sur Instagram notamment, matérialise les idées d’association de goûts mais aussi les idées de dressage.
La cuisine et la pâtisserie sont des associations délicieuses de créativité, d’émotions et de plaisir. Que les réalisations culinaires soient admises ou non dans le cercle restreint des oeuvres d’art, elles restent les représentantes attitrées de l’art du partage.
« Pour bien cuisiner il faut des bons ingrédients, un palais, du coeur et des amis. » Pierre Perret
Inès Megrad
Bibliographie :
- Article Cairn : La cuisine et ses états d’art
- Encyclopédie Larousse – Qu’est ce qu’une oeuvre d’art
- Marmiton.org