En 2020, JuL est sacré meilleur vendeur d’albums de l’année en France avec 770 000 ventes cumulées. Il devient officiellement le plus gros vendeur de disques de l’histoire du rap français avec plus de 4 millions d’albums vendus en sept ans de carrière. Véritable phénomène social, le succès de JuL agace autant qu’il fascine. Il incarne un triomphe du mauvais goût insupportable à tous les mélomanes qui jurent saigner des oreilles dès qu’ils l’entendent.
Pourtant le marseillais de 31 ans, Julien Mari de son vrai nom, mérite son surnom d’ovni dans le paysage musical français. C’est une véritable machine de productivité avec 24 albums en sept ans. De plus, il est attaché à son indépendance et compose lui-même ses instru et textes. Il demeure hermétique aux avances des majors depuis la création de son label D’Or et de Platine en 2015. Comment expliquer le succès colossal d’un rappeur auquel personne ne croyait ?
Une musique écrite pour plaire
«Mon but c’est de faire de la musique dansante avec des mots qui touchent.»
JuL dans Libération
Structure de ses morceaux : comment écrire un hit ?
Quelle est la recette d’un hit de JuL ? A première écoute, on répondrait : une mélodie répétitive et entraînante, un tempo rapide. Mais aussi des paroles simples, tour-à-tour amusantes ou pleines d’émotion, racontant la vie d’un mec de cité à Marseille.
JuL n’a pas tout inventé. Son style s’apparente à la trap, qui est une forme de rap plus mélodieuse, avec un rythme répétitif et des formules courtes, percutantes. Ainsi ce n’est pas un hasard si ses chansons restent dans la tête dès la première écoute, mais bien le résultat d’une construction précise.
Illustrons cela en analysant le tube Ma Jolie. Le morceau de 3’53 contient 524 mots. A titre de comparaison le morceau de IAM Né sous la même étoile en contient 810 pour une durée similaire (3’49). Le débit est lent, les refrains chantés et non rapés. Les mots « Ma jolie » apparaissent 72 fois : répétitif vous dites ? Le refrain revient 4 fois, les pré-refrains 6 fois, et tous reprennent le titre de la chanson. Certes, tous les morceaux ne sont pas aussi caricaturaux que Ma Jolie, cependant beaucoup sont construits de la même manière
Cette structure très répétitive facilite l’appropriation. Elle demande moins d’écriture, ce qui permet à JuL, surnommé à raison « la machine », d’avoir une productivité si impressionnante (3 à 4 albums par an !). Cela explique aussi qu’il soit parfois désigné comme « rap de chicha» car sa trap est teintée de pop, plus festive et légère, propice à une ambiance de bar à chicha.
Des influences surprenantes et assumées
« Moi j’suis comme maman, des fois j’écoute Dalida »
Italia, JuL
Pour trouver des mélodies qui restent en tête, le rappeur a une astuce : remixer des musiques cultes des années 80/90. Ainsi Barbie Girl du groupe Aqua donne My World chez JuL, Nuit de folie de Début de Soirée donne Folie. Il reprend autant des hits vieillis comme Perdono de Tiziano Ferro ou Free From Desire de Gala, que des classiques de la variété française : Paroles… Paroles de Dalida ou Ella, elle l’a de France Gall.
Au-delà de ces reprises, JuL teinte son rap de funk, de reggaeton, et bien sur de variété française à laquelle il aime faire référence, probablement pour son côté populaire et intergénérationnel.
« J’fais danser ton oncle et ta cousine, et même ta voisine
Sous terre, JuL
Et j’fais chanter les mamas comme Roch Voisine »
C’est Marseille bébé
JuL se revendique également héritier de l’âge d’or du rap marseillais avec lequel il a grandi. C’est une fierté pour lui de faire désormais des feats avec IAM, les Psy 4 de la rime ou le Rat Luciano de la Fonky Family. En 2020, JuL pousse plus loin cette filiation en initiant le projet 13 Organisé, un album réunissant 50 rappeurs marseillais de toutes les générations. L’idée est de montrer que Marseille forme une école unie de rap, de mettre en lumière les jeunes pousses tout en rendant hommage aux anciens.
« D’origine Corsica, j’écoute FF, Psy 4 »
Rentrez pas dans ma tête, JuL
Marseille est inséparable de l’œuvre de JUL : il fait référence à des lieux marseillais ou aux différentes cités dans la plupart de ses chansons. Mais surtout, il utilise l’argot des cités et il ne cache pas son accent, contrairement à ce que la plupart des rappeurs marseillais font : SCH, Soprano, Alonzo,… Ainsi énormément d’expressions des cités de Marseille se sont popularisées auprès des jeunes en France grâce à JuL : « merce la zone », « le sang » ou encore « en Y ».
Un personnage sans filtre et attachant
Authenticité à toute épreuve
« Ils m’ont vu tout gentil parce que mon cœur est grand
Sous Terre, JuL
Parce que j’me montre pas, j’fais pas l’voyou quand j’suis à l’écran »
On ne peut comprendre JuL sans évoquer sa personnalité à laquelle ses fans sont si attachés. C’est un anti-héros touchant, il raconte la vie d’un mec de cité de Marseille, sans jouer au caïd. Il est autant aimé par les gars de sa cité qui se reconnaissent, que par les jeunes bobos parisiens pour qui il incarne un Marseille fantasmé. Il assume sans complexe être un fan de Renaud ou de Dalida, ou encore avoir des sentiments et être timide avec les filles, ce qui s’oppose totalement aux codes habituels du rap, comme dans Ma Jolie : « J’ai des sentiments il me semble, mais j’lui dis pas je suis trop ter-ter […] J’vois que tu m’parles plus, dis-moi qu’est-ce qui s’passe là ? Qu’est-ce qui t’a déplu ? Qu’est-ce qu’il faut que je fasse ? »
Il a un lien fusionnel avec ses fans, sa « team JuL », comme il le dit dans Bravo «Sur ma mère, heureusement qu’il y a la team JuL hein…où j’serais sinon ? ». Il gère lui-même ses réseaux sociaux et interagit énormément avec sa communauté, à grand renfort de fautes d’orthographe qui sont sa marque de fabrique. Pour remercier ses fans de leur soutien, il leur offre régulièrement des albums gratuits. Le dernier en date Album gratuit vol.6 est sorti le 26 février dernier. La team est soudée autour du fameux « signe JuL » (photo ci-dessus) devenu un véritable symbole de la pop culture, qu’il soit fait au 1er degré ou ironiquement. « Wesh le poto, t’es de la team, que tu fais le signe viens on fait la photo» Sousou, JuL.
« Survêt’, claquettes, veste Quechua », un style inimitable
« Survêt’, claquettes, veste Quechua, paire de Oakley dans l’RS3 », ainsi décrit-il lui-même son style dans le morceau au titre si poétique Veste Quechua. JuL refuse le côté bling-bling qui fait habituellement partie des codes du rap, il s’habille comme tous les mecs de son quartier. Il a d’ailleurs lancée une vraie mode du Quechua et du Kalenji dans les cités, où d’habitude les marques de luxe comme Gucci et Balenciaga font rêver les jeunes, quitte à porter des contrefaçons. Aux Victoires de la Musique 2016, alors que toute la salle est en smoking et robe de soirée, il vient chercher sa récompense en jogging noir et orange fluo D’Or et de Platine (la marque de son label), assortie évidemment de son emblématique mèche blonde.
Par son succès populaire et hors-système, JUL a réussi à légitimer une sous-culture malgré la condescendance de la plupart des acteurs du monde de la musique à ses débuts. Il serait tentant mais pourtant erroné de distinguer ses fans au premier degré, les jeunes de cité de Marseille, de ceux qui écoutent « ironiquement » sa musique, les jeunes d’école de commerce par exemple. Car cette deuxième catégorie se prend au jeu beaucoup plus vite qu’elle ne l’aurait cru, et touchée par la personnalité atypique de ce drôle d’ovni, elle finit par faire partie, elle aussi, de la Team JuL.
Mathilde Lefèvre
Sources :
Livre
Julien Valnet, M.a.r.s. Histoires et légendes du hip-hop marseillais, Wildproject, septembre 2013
Documentaires
« D’IAM à JuL, Marseille capitale du rap », documentaire de 58’ réalisé par Gilles Rof et Daarwin, produit par 13 Production avec la participation de France Télévision https://www.france.tv/france-5/passage-des-arts/2071825-d-iam-a-jul-marseille-capitale-du-rap.html
« Comment une veste de Decathlon portée par Jul est devenue le must-have des cités de Marseille » reportage de Azir Said Mohamed Cheik, Soizic Pineau et Benjamin Brechemier, pour France 3 Provence Alpes Côtes d’Azur https://www.youtube.com/watch?v=mq0EmJq0jXk
Articles de presse
Balla Fofana, Stéphanie Harounyan, Gurvan Kristanadjaja, Marie Ottavi, « Jul en cinq actes », Libération, 7 décembre 2017 https://www.liberation.fr/apps/2017/12/jul-en-cinq-actes/
Philippe Amsellem, « Jul : décryptage de « l’Ovni »,un phénomène de société », La Marseillaise, 10 octobre 2020 https://www.lamarseillaise.fr/culture/jul-decryptage-de-l-ovni-un-phenomene-de-societe-HH4900779
« Jul boit la concurrence en 2020 : meilleur vendeur d’albums en France », Mouv’, 13 janvier 2020
https://www.mouv.fr/musique/rap-fr/le-plus-gros-vendeur-de-l-annee-2020-s-appelle-jul-366133
Hong-Kyung Kang, « Comment JUL a révolutionné la pop culture », Konbini, 14 janvier 2021 https://www.konbini.com/fr/musique/jul-pop-culture/
Articles de blog
G. Belhoste, B. Bossavie, M. Bampély, M. Maizi, Y. Sar, Shkyd, J. Valnet, B. Weill, « Six spécialistes analysent le phénomène Jul : « c’est devenu Dark Vador » », Greenroom, 6 juillet 2017 https://www.greenroom.fr/117654-six-specialistes-decortiquent-le-phenomene-jul/
Alban Malherbe, « Phénomène JuL : un OVNI dans le rapjeu », Streams, 1 février 2017 http://streamsescp.com/briller-en-societe/phenomene-jul-ovni-rapjeu/