La place de la musique live dans le paysage musical a radicalement changé lors de ces vingt dernières années, que ce soit dans le rôle qu’elle joue ou simplement en termes de chiffres : aux États-Unis par exemple, les ventes de billets pour des concerts musicaux généraient environ 1 milliard de dollars de recette en 1990 contre près de 8 fois plus en 2017. Si la crise du Covid a temporairement mis sur pause ce phénomène, il n’a pas manqué de reprendre sa course dès l’été 2022 avec la réouverture des salles de concert et la reprise des festivals.
Il n’a donc jamais été aussi facile de découvrir de nouveaux artistes sur scène qu’aujourd’hui : il suffit d’aller regarder les programmations des salles de concerts de sa ville pour s’en rendre compte, on trouve toujours de quoi se satisfaire ! Prenons l’exemple du Zénith de Nantes : une programmation allant de Stromae à Ibrahim Maalouf en passant par Michel Sardou ou une interprétation orchestrale des musiques du Seigneur des Anneaux, il y en a pour tous les goûts.
Mais alors si la musique live semble si bien se porter, pourquoi donc parler d’une mort de celle-ci ?
Des évènements dangereux
Le premier facteur à prendre en compte est le caractère insécuritaire des événements de musique live. Récemment, une très forte augmentation de piqûres lors d’événements musicaux a été remarquée. Si la menace de se faire droguer à son insu n’est pas un phénomène nouveau, et en particulier dans le monde de la nuit chez des publics plutôt féminins, jamais il n’avait été aussi commun de se faire piquer par une seringue lors d’un concert. On peut alors aisément comprendre l’appréhension de certains de se jeter dans les foules d’une salle ou d’un festival ! D’autant plus qu’il est très difficile de lutter contre ces pratiques : malgré le renforcement de la sécurité dans ces événements ces dernières années, il reste extrêmement difficile d’empêcher ce phénomène de piqûres sauvages.
De plus, les concerts deviennent de plus en plus violents. En témoignent la ré-émergence des pogos, une danse associée au punk rock des années 70 qui consiste à sauter de manière désordonnée en se bousculant violemment, ou encore des murs de la mort – séparation de la foule en deux parties qui se jettent l’une contre l’autre. Malheureusement, les accidents sont assez fréquents, comme en témoigne le concert de Travis Scott et Drake en 2021 où huit personnes ont trouvé la mort et plus de trois cents ont été blessées lors d’un mouvement de foule.
La menace des showcases
Pour comprendre le déclin des concerts, il me semble également nécessaire de parler des showcases, une représentation en live d’un artiste, généralement dans une discothèque. Ce phénomène est devenu central dans l’économie de l’industrie musicale : du côté des boîtes de nuit c’est un moyen de faire venir beaucoup de monde et ainsi capitaliser sur les ventes de boissons durant la soirée. Pour les artistes, c’est une rentrée d’argent facile permettant de financer leurs projets artistiques et leurs équipes.
Si les showcases semblent bénéfiques à tout le monde, que ce soient les discothèques, les artistes et aussi leur public qui jouissent d’une représentation de leur artiste préféré, c’est en fait plus compliqué. Dans les faits, lorsque les artistes se produisent en showcase, les représentations sont souvent très courtes, peu préparées voire parfois bâclées, en particulier pour les rappeurs qui mettent leur musique à fond sur les enceintes, et réalisent leur performance entièrement en playback.
De telles performances sont déjà préjudiciables, mais le vrai problème réside dans la « showcasification » des concerts eux-mêmes. Les artistes se confortent bien souvent dans ces pratiques, et le concert n’est alors plus qu’une diffusion des pistes studios sur une scène : il n’y a que très peu d’artistes qui font l’effort de repenser leur musique pour l’adapter à une interprétation scénique. Booba, un des rappeurs français avec le plus d’influence, confirmait dans une interview que « animer un Stade de France pendant 3 heures est moins fatiguant que faire un footing », preuve que le concert n’est alors plus une véritable performance, et n’est rendue possible que par une ambiance électrique instaurée directement par un public surexcité à la vue de leur idole.
Un public trop peu exigeant ?
Cela donna alors naissance à une problématique essentielle : les publics sont-ils devenus trop peu exigeants ? Si le concert perd son aspect de performance unique et authentique, pourquoi alors se rendre dans les concerts, et donner de la crédibilité à des artistes qui ne respectent plus leurs auditeurs ? Cela pose une vraie question, celle du fanatisme d’une partie de l’audience : les artistes sont placés sur un piédestal et tout leur est pardonné. Les artistes n’ont donc plus aucune raison de consacrer de gros budgets à la réalisation de mises en scènes innovantes, ni de prendre des risques sur scène puisque peu importe leur performance, les salles seront pleines et le public en transe s’occupera d’animer l’événement.
Une lueur d’espoir pour la musique live ?
Le constat est donc un peu paradoxal : c’est en partie à cause du public que les performances live sont de moins en moins travaillées, et c’est ce même public qui en fait les frais. Cependant, le tableau n’est pas si sombre : certains artistes continuent de penser leur musique et la mise en scène pour des représentations uniques et travaillées au détriment des bénéfices financiers, en particulier lorsqu’il s’agit d’artistes underground ou émergent qui mettent souvent un point d’honneur à délivrer des propositions musicales et scéniques originales. Certaines superstars continuent également de montrer l’exemple à toute une génération d’artistes timides – l’exemple le plus probant étant la splendide performance de Rihanna lors de la mi-temps du SuperBowl 2023, qui a marqué les esprits.
Basile Plm Guerri