Le festival polonais

La musique, un élément indissociable de la vie de chacun. Que serait la vie sans la musique qui nous divertit, apaise nos nerfs et nous guérit ? Je m’appelle Filip et je viens de Pologne. En tant qu’amateur de musique de différents genres je voudrais partager ma passion avec vous ! 

La nécessité et la volonté d’écouter de la musique a suscité la création de plusieurs festivals musicaux dans le monde entier. Certains d’entre eux sont très connus à l’échelle internationale comme par exemple Coachella ou Sziget Festival, d’autres plutôt locaux sont seulement connus dans le pays où ils ont lieu.  

D’après une enquête d’Universal Music Poland, neuf Polonais sur dix, âgés de 18 à 24 ans, écoutent de la musique quotidiennement. Il en est de même pour 85 % des 25-34 ans, 80 % des 45-54 ans et 71 % des plus de 54 ans. C’est pourquoi, je veux vous faire découvrir la culture musicale de mon pays grâce aux plus grands et célèbres festivals de musique polonais. Tous les Polonais connaissent ces festivals et y participent avec plaisir. Pour vous renseigner sur ce sujet je vous propose une courte histoire sur deux festivals, auxquels j’ai déjà participé quelques fois et auxquels je participerai sans doute encore ! 

Open’er Festival 

Logo officiel du festival Open’er 

L’histoire de ce festival commence en 2002. A l’époque, il s’appelle Open Air Festival et il se déroule à Varsovie, la capitale de la Pologne. L’année suivante, il est déplacé sur la côte vers la ville de Gdynia où il se tient encore aujourd’hui – actuellement à l’aéroport Gdynia-Kosakowo. Au début, Open’er Festival est un festival d’une journée avec seulement deux scènes. C’est sur La Grande scène que le groupe électronique The Chemical Brothers s’est présenté pour la première fois en Pologne.  

L’affiche de la première édition, le 2 juillet 2002 à Varsovie 

Un festival toujours plus grand !

Au cours des années, la popularité de cet évènement a augmenté et le festival d’un jour devient en 2004 le festival de deux jours et puis de trois jours en 2006. Pendant ces quatre ans de fonctionnement, Open’er a rassemblé environ 120 000 personnes, 25 artistes polonais mais également de nombreux artistes internationaux comme Pink, Snoop Dog, Muse, Björk, Pharell Williams ou encore Kanye West. Le nombre de stars invitées continue à se développer année après année. De plus, le nombre de passionnés qui souhaitent participer aux concerts ne fait qu’augmenter. Par conséquent, pas moins de sept scènes ont été créées : Main Stage, Tent Stage, World Stage, Young Talent Stage, Alter Space et deux espaces électroniques.  

Un an après, le festival s’étend à 4 jours et devient un centre culturel. En plus de la musique, il est possible de contempler l’exposition du Musée de l’art contemporain et d’assister à des pièces de théâtre. Il est possible de monter sur une grande roue et de danser dans l’espace Silent Disco – un endroit où les participants peuvent danser tous ensemble, tout en écoutant la musique que chacun souhaite grâce à des casques. Au fur et à mesure, le festival attire de plus en plus de gens. Malheureusement, en raison de la pandémie de coronavirus en 2020, le festival n’a pas eu lieu et la prochaine édition est prévue du 30 juin au 3 juillet 2021. 

Openerfestival 2014 ©Martyna Rojewska pour DW Fixel – na fest

Réception du festival parmi les artistes 

Grâce à plusieurs commentaires d’artistes qui sont venus en Pologne à l’occasion d’Open’eron peut résumer en disant qu’on ne regrette pas d’y aller !  

Les nombreux artistes qui ont participé à Open’er ont créé l’atmosphère merveilleuse et conviviale de ce festival. Certains artistes comme Josh Homme, leader de Queens Of The Stone Age, quitte son service de sécurité après « le meilleur concert de la tournée » et s’amuse avec ses fans en 2013 – c’est un exemple parfait de la communion entre artistes et public qui se produit souvent à Open’er. Un autre exemple marquant de cette atmosphère particulière est lorsque Kings of Leon a joué pour 60 000 fans, dont Rihanna, qui a passé tout le concert à danser devant la scène. L’année 2013 est ainsi appelée l’année de « Kings and Queens ».  

On en déduit que les artistes ne cachent pas leurs émotions et n’hésitent pas à partager des moments uniques avec la communauté festivalière de Open’er. En effet, les moments privilégiés ne manquent pas – en 2011 des milliers de fans ont assisté à un concert de Prince lors duquel un feu d’artifice a été tiré pour son anniversaire et durant lequel les festivaliers lui ont transmis tous leurs vœux de bonheur. Open’er garantit à son public et aux artistes un moment inoubliable ! 

Rihanna donnant un concert à Open’er 2013 sur la scène de Gdynia
©photo : Adam Warżawa/PAP

Partenariat 

Depuis quelques années Open’er Festival appartient à l’association Yourope qui a pour objectif de promouvoir la culture, la musique et le design. Chaque année l’association cherche à toucher des millions de personnes par le biais de la culture, de la musique et du design. C’est pourquoi, certains concerts sont même retransmis sur Internet pour que le festival soit plus accessible aux personnes qui ne peuvent pas y assister en personne. Par contre, ce qui est le plus important pour eux, c’est une ambiance et le public qui crée une communauté exceptionnelle. Ces gens fondent leurs valeurs sur une passion pour la musique, la culture et l’amour des festivals. Open’er participe aussi au programme international ETEP, qui soutient la promotion de nouveaux talents musicaux dans les festivals européens. Grâce à ETEP, Octavian, Sigrid, ALMA, Superorganism, Nothing But Thieves et Soom T, entre autres, se sont produits à Open’er jusqu’au présent. 

Pol’and’Rock festival (anciennement Station Woodstock) 

Logo du festival 

Le Pol’andRock festival est l’un des plus anciens festivals en Pologne. Il se déroule chaque année depuis 1995 à la mi-juillet ou au début du mois d’août. L’année dernière pendant la pandémie de covid, les organisateurs n’ont pas déçu les passionnés de musique alternative, de rock, et de blues. En effet, ils ont organisé des concerts en ligne pour que chacun puisse se divertir avec sa musique préférée à la maison. Pol’andRock a diffusé des rencontres avec des invités exceptionnels et les concerts de 30 artistes. Les publics en ligne pouvaient regarder les concerts en direct, en choisissant parmi plusieurs plateformes, dont YouTube, Facebook et Twitch, ou en suivant sur les chaînes partenaires. Cette transmission de près de 70 heures est un énorme défi logistique, auquel personne en Pologne ou dans le monde n’a jamais été confronté auparavant – que ce soit à cette échelle et sous cette forme.  

La Grande Scène du Pol’and Rock Festival
©PW_2015_Arek_Drygas2620, site officiel du festival

Un festival unique

Il faut mentionner que le Pol’and’Rock festival est le plus grand événement non commercial d’Europe. Le festival attire chaque année un public de près d’un demi-million de personnes, qui affluent à Kostrzyn nad Odrą, un petit village dans l’ouest de la Pologne. De plus, pour la plupart des Polonais c’est un lieu où chacun peut faire l’expérience d’une musique et d’une liberté incomparables. Ce festival est aussi considéré comme l’événement de masse le plus sûr en Pologne. Chaque année, la police confirme qu’il y a peu de signalements d’agressions aux vues de l’importance de l’audience. Une multitude de personnes différentes se rencontrent, vivent au même endroit dans un camping et s’amusent ensemble à Pol’and’Rock.

Depuis quatre ans, les artistes se produisent sur cinq scènes : Grande scène, Petite scène, Scène Lech, Scène Viva Culture et Scène de nuit ASP. Chaque édition du festival présente des dizaines de groupes polonais et étrangers. Depuis plusieurs années, le festival organise des auditions de groupes désireux de se produire devant un large public.  

Ce qui est spécial dans ce festival c’est le thème et le message du concert qui change à chaque fois, on peut citer des thèmes comme : l’amour, l’amitié, la musique ou encore mettre fin à la violence. 

A bientôt en Pologne !

Je voulais vous rapprocher de la culture musicale polonaise qui n’est pas si différente de la culture musicale française. Bien sûr je n’ai cité que deux festivals parmi les dizaines de festivals qui existent. Open’er et Pol’and’Rock n’ont pas la même taille ni la même notoriété mais je tenais à présenter d’un côté un grand festival international et de l’autre un festival unique et plus local. J’espère que j’ai réussi à vous encourager à visiter la Pologne qui a encore beaucoup à vous offrir !   

Filip Kolecki 

Principales récompenses de Pol’and’Rock et Open’er

2020 – Le Pol’and’Rock festival a été nommé Top Brand dans la catégorie Festivals – selon Press et Press Service. 

2017 – Le festival Station Woodstock onbtient la troisième place du classement Music Festival Wizard dans la catégorie des festivals européens et à la première place parmi les festivals organisés en Europe centrale.

2015 – Le festival Station Woodstock est récompensé par Los Angeles MUSEXPO 2015 International Music Industry Award.  

Sources : 

https://opener.pl/en/history-10

https://en.polandrockfestival.pl

10 ans de Nostalgia Ultra

A l’occasion des 10 ans de la mixtape « Nostalgia Ultra », un retour s’impose sur le parcours impressionnant d’un des plus grands artistes contemporains, Frank Ocean. 

Né en 1987 en Californie sous le nom de Christopher Breaux, il part vivre à la Nouvelle Orléans à l’âge de 5 ans avec sa mère. Sa famille étant peu aisée, sa mère lui fait comprendre que l’argent qu’elle gagne est consacré à ses études et non à la musique. Christopher enchaîne les petits boulots à côté de la fac pour se payer du matériel et enregistrer sa musique, mais l’ouragan Katrina de 2005 en décide autrement. Son studio d’enregistrement ravagé, il décide de partir à Los Angeles. Un tournant s’opère.

Les débuts sous le nom de « Lonny Breaux »

Arrivé à LA, il rencontre des producteurs et notamment « Midi Mafia » qui a produit entre autres « 21 questions » de 50 cents. Il expose ses premières mixtapes avec la « Lonny Breaux Collection », un projet très RnB et dans les codes de ce qu’il fait avec « Bricks and Steel », « Can’t be the last time » ou encore « One Look » avec Midi Mafia à la production.

Il est d’abord remarqué pour son écriture et les producteurs vendent ses chansons à des étoiles montantes de la musique RnB, notamment Brandy.  A cette période, il regarde le film « Ocean Eleven » avec Frank Sinatra et décide de changer « Lonny Breaux » en « Frank Ocean ». 

Frank Ocean Øyafestivalen 2012. ©Ole Hagen, NRK P3, flickr

Odd Future et le projet Nostalgia Ultra

En 2010, il rejoint un collectif d’artistes appelé « Odd Future » et rencontre Taylor The Creator. Le collectif est très apprécié dans le milieu du RnB mais n’a pas encore connu de gros succès majeur puisque l’album « Bastard » de Taylor n’a pas été apprécié à sa juste valeur. Le label « Def Jam » entend parler de Frank Ocean et le signe à contrecœur, sous la pression de Tricky Stewart qui insiste sur le talent du jeune artiste. Mais la signature du contrat n’avance pas beaucoup Frank Ocean qui ne reçoit aucun acompte pour ses projets et ne bénéficie pas d’un réel suivi. Il passe donc beaucoup de temps avec Odd Future et incorpore de plus en plus de sonorités hip-hop tout en gardant son identité soul et RnB. Il attire l’attention de la presse indépendante puisqu’il propose une alternative entre le hip-hop classique et la soul/funk. Inspiré par l’indépendance du mouvement Odd Future, il sort gratuitement sa mixtape Nostalgia Ultra et la critique annonce déjà un succès majeur de la deuxième décennie du XXIème siècle, nous sommes alors en 2011. 

Frank Ocean – Nostalgia,ULTRA cover

Def Jam et Channel Orange

Le label Def Jam daigne tardivement s’intéresser à l’artiste en même temps que de nombreux grands noms de l’industrie de la musique le découvrent. Il collabore avec Jay-Z et Kanye West en écrivant « No church in the wild » sur leur album commun, avec Beyoncé en composant « I miss you » et Jay-Z lui achète le titre « Thinking about you » pour sa protégée Bridget Kelly. En 2012, il rachète ses droits avant de sortir sa version, pour préparer la sortie de son premier album. La même année il annonce sa bisexualité sur son seul réseau social Tumblr. Il marque alors les esprits puisqu’il est le premier dans le monde du RnB à l’annoncer officiellement et suscite l’engouement des médias indépendants. Une semaine plus tard, sort son premier album « Channel Orange » : il construit un personnage iconoclaste et non-radiophonique. Il nous offre alors des chefs d’œuvres sortis des codes : « Sierra Leone », « Super rick kids » en feat avec Earl Sweatshirt, « Pyramids » aux sonorités plus électro, « Pink Matter » avec André 3000 ou encore « Bad Religion » où il évoque ses premières attirances pour un homme. C’est un album aux inspirations multiples comme Prince ou Steve Wonder qui propose une néo-soul indépendante de la pop contemporaine de l’époque. Il reçoit le prix du meilleur album urbain contemporain au Grammy de l’année.

Pochette de l’album Channel orange – Frank Ocean

De la discrétion à l’indépendance

Après cette nomination, Frank Ocean n’est que très peu aperçu dans les médias, il ne donne aucune interview et on ne peut l’apercevoir que sur quelques collaborations triées sur le volet, avec Kanye West sur « Life of Pablo » ou avec Les Carters par exemple. Sa discrétion ne l’empêche pas d’être très reconnu dans le milieu, mais toujours pas de deuxième album à l’horizon. 

En 2016, le label s’impatiente et fait une mauvaise publicité à l’artiste en disant qu’il se comporte en « diva » et que son caractère est de plus en plus difficile à gérer. Sorti de nulle part, Frank Ocean publie sur Youtube son deuxième album « Endless », qui le libère de ses obligations contractuelles avec le label. Vingt-quatre heures plus tard, il sort en indépendant sur son label Boysdon’tcry un album indétrônable : « Blonde ». Avec des collaborations comme Beyoncé sur « Pink + White » ou André 3000 sur l’interlude, l’artiste propose une tracklist aussi inventive que subversive. Le clip aux références multiples de « Nikes » produit par Tyrone Lebon sera visionné plus de 1,4M de fois, sur Vimeo. Avec des prodiges comme « Ivy », « Nights », « White Ferrari » ou encore « Godspeed », l’album a un caractère éclectique et atmosphérique, avec des guitares à la dérive et des mélodies sans beat qui accompagnent un lyrisme dense et puissant. Dans le Guardian, le critique d’album Tim Jonze a qualifié Blonde de « l’un des disques les plus intrigants et contraires jamais réalisés »[1]. Il est considéré comme l’un des plus grands albums R&B/pop de tous les temps. Outre sa performance artistique, l’album s’inscrit comme iconique puisqu’il contourne les codes de l’industrie musicale.

Pochette de l’album Blonde – Frank Ocean

 Clip de Nikes – Frank Ocean :https://vimeo.com/179791907

Depuis, l’artiste a notamment sorti en solo « Chanel », un titre qui s’écoute en boucle sans jamais s’en lasser. Il a aussi participé au projet de Tyler The Creator sur « 911 » qui a donné naissance à des lives emblématiques[2]. Frank Ocean s’inscrit comme un artiste humble, peu conventionnel et qui sait prendre des risques. On attend le prochain projet avec impatience !

Marie Iversenc

Sources

[1] https://www.theguardian.com/music/2016/aug/25/frank-ocean-blonde-review-a-baffling-and-brilliant-five-star-triumph

[2] https://www.youtube.com/watch?v=4m-2jTp5Wk8

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Alice Guy : La pionnière oubliée du cinéma

Alice Guy. ce nom évoque peu de choses pour la plupart d’entre nous, pourtant, il fut celui d’une véritable pionnière du cinéma.

Première réalisatrice et première patronne d’un studio au monde, son héritage de plusieurs centaines de films, reflet d’une passion profonde pour le cinéma, est aujourd’hui encore très méconnu.

L’histoire d’une pionnière

Quand on pense aux débuts du cinéma, on pense souvent aux frères Lumière, à Griffith ou Méliès. Pourtant, il en est une qui a tout autant apporté au 7ème art. 

Alice Guy, née le 1er juillet 1873 à Saint-Mandé est la fille d’un propriétaire d’une chaîne de librairies chiliennes. Elle grandit entre la France, le Chili et la Suisse, où vivaient ses grands-parents.

À 17 ans, conseillée par un ami de la famille, la jeune Alice décide d’étudier la sténodactylo. En 1895, elle est recrutée pour être la secrétaire d’un certain Léon Gaumont. Cette même année, elle est invitée avec son employeur à une projection privée d’Auguste et Louis Lumière, célèbres inventeurs du cinématographe. Léon Gaumont envisage alors de suivre l’exemple de Louis Lumière et de se consacrer à la vente d’appareils de projection.

De son côté, Alice est impressionnée par ce qui a été présenté. Néanmoins, elle a le sentiment que l’on peut faire bien mieux que simplement documenter la vie quotidienne, comme le font les frères Lumières. L’idée émerge alors dans son esprit : Pourquoi n’utiliserions-nous pas les films pour raconter des histoires ? 

Elle demande alors à son patron l’autorisation d’écrire des saynètes et de les faire jouer par des amis. Gaumont accepte à la condition que son « courrier n’en souffre pas ».

Peu à peu, Alice Guy se met à l’écriture et la réalisation de courtes « histoires fabriquées comme ça”.

À 23 ans, elle tourne son premier film intitulé « La fée aux choux », une histoire de moins d’une minute, donnant vie à la légende française selon laquelle les bébés garçons naissent dans les choux. 

La fée aux choux d’Alice Guy © Gaumont

Ce film sera le premier d’une longue liste, certains historiens estimant l’œuvre d’Alice Guy à plus de 1000 courts métrages.

À cette époque, étant donné que le métier de réalisateur n’existait pas encore, c’est tout un monde de possibles qui s’offre à Alice Guy. Au fil du temps, elle gagne la confiance de ses supérieurs et s’installe à la tête de la production cinématographique de Gaumont. Grace à son apport, la maison Gaumont se transforme rapidement en une véritable entreprise tournée vers le cinéma, rivalisant avec son principal concurrent : Pathé.

Sous sa direction, le développement de fictions  passe de 15% des activités de Gaumont en 1900 à 80% six ans plus tard.

En 1907, avant la naissance d’Hollywood, Alice est envoyée avec son époux aux Etats-Unis ou elle décide de fonder sa société nommée : la « Solax Film Co ». Ses films connaissent un franc succès et les médias américains s’intéressent alors à celle qu’ils appellent « La charmante petite dame française ». Elle devient rapidement la femme la mieux payée des Etats-Unis avec un salaire mensuel de 25 000 dollars. Très engagée dans son art, elle conseille de nombreux acteurs qui deviendront par la suite de véritables vedettes. Son style ? Le « Be Natural », poussant les acteurs à interpréter leurs rôles le plus naturellement possible.

Source : Cinémathèque québécoise

Alice Guy se distingue par sa créativité et ses innovations. Elle devient l’une des premières à utiliser des techniques novatrices tel que les gros plans, la colorisation à la main ou la technique du son synchronisé. Cette technique permet, plusieurs décennies en avance, de passer outre les limitations techniques du cinéma muet.

Un des premiers gros plans de l’histoire

MADAME A DES ENVIES – Gaumont Pathé Archives

Elle réalise aussi le premier making-off de l’histoire : « ALICE GUY TOURNE UNE PHONOSCÈNE », en 1905, ainsi que le premier péplum de l’histoire avec « La vie du Christ ». Véritable prouesse pour l’époque, le film comporte vingt-cinq scènes dans lesquelles ont joué plus de 300 figurants.

La Naissance, la vie et la mort du Christ © DR Coll. Christophe L

Au-delà de la technique, Alice Guy a aussi marqué son temps en abordant des sujets parfois révolutionnaires pour son époque. Ainsi, en 1906, elle s’amuse du sexisme et des normes genrées dans des films tels que « Les résultats du féminisme ». Dans celui-ci, elle inverse les rôles genrés attribués aux femmes et aux hommes à cette époque. On peut voir les hommes s’occuper des tâches ménagères, s’adonner à la couture et se coiffer avec des fleurs dans les cheveux. Pendant ce temps, les femmes sont au bar, buvant et séduisant d’autres hommes. Cette situation tourne court suite à la rébellion menée par les hommes à la fin du film. Précurseur, ce film remet clairement en cause les inégalités criantes de la société, et ce, au tout début du 20ème siècle.

Les résultats du féminisme d’Alice Guy © Gaumont

Alice est aussi la première réalisatrice à faire exclusivement appel à des acteurs afro-américains dans « A fool and his money » tourné en 1912. Pendant sa vie, elle se risquera même à aborder de nombreux sujets polémiques comme l’immigration, l’avortement ou le planning familial.

Le temps de l’oubli

 « Alice Guy était une réalisatrice exceptionnelle, d’une sensibilité rare, au regard incroyablement poétique et à l’instinct formidable. Elle a écrit, dirigé et produit plus de mille films. Et pourtant, elle a été oubliée par l’industrie qu’elle a contribué à créer. »

Martin Scorsese

Martin Scorsese résume plutôt bien la situation. Mais comment une telle pionnière a-t-elle pu être oubliée ? Seraient-ce les effets du patriarcat ? Un simple coup du destin ? 

En regardant son histoire, on se rend compte que celle à qui tout réussissait va connaître un vrai revers de fortune en 1919. Suite à un divorce compliqué et accablée de dettes, Alice retourne en France après avoir essayé en vain de se refaire une place dans le cinéma.

À presque 50 ans, elle commence à écrire des contes pour enfants qu’elle vend à des revues. Malheureusement, sa contribution au cinéma est oubliée et de nombreux films sont perdus ou attribués à d’autres. Elle se battra le restant de ses jours pour retrouver ses bobines et mourra dans l’indifférence totale, en 1968. Aujourd’hui encore, de nombreux films sont manquants : certaines bobines ont été fondues pour être réutilisées dans la production industrielle de guerre, d’autres n’ont pas été préservées.

Alice reprendra la célèbre citation de Roosevelt pour conclure ses mémoires : « Il est dur d’échouer, il est pire de n’avoir jamais essayé. »

Serions-nous donc ingrats avec nos pionniers féminins ? L’historienne Margaret Rossiter parle de « l’effet Matilda » pour désigner le déni ou la minimisation récurrente des contributions féminines à la recherche.

La première victime de cet effet est Trotula de Salerne, une femme médecin et chirurgienne du 11ème siècle. Au cours de sa vie elle écrivit plusieurs ouvrages de référence, notamment en matière de gynécologie, mais qui furent longtemps attribués à des hommes.

Trotula de Salerne, selon un manuscrit de la fin du XIIe siècle Source : Contraception and Abortion from the Ancient World to the Renaissance by John M.

Dans l’histoire récente, on pourrait citer, Henrietta Swan Leavitt, une astronome américaine qui a fait de grandes découvertes sur la luminosité variable de certaines étoiles, ce qui a permis de mesurer la distance entre la Terre et d’autres galaxies. Ses découvertes ont notamment été indispensables aux travaux d’Hubble sur l’expansion de l’Univers.

On peut alors se demander si le monde des arts et du cinéma est lui aussi soumis à cet « effet Matilda » ?

Les oubliées se comptent par centaines et dans le cas d’Alice, force est de constater qu’une certaine amnésie l’entoure. C’est d’autant plus vrai en France où les pouvoirs publics ne sont jamais réellement mobilisés sur le sujet. Très peu ont essayé de la réhabiliter même si de nos jours certains, comme la réalisatrice Pamela B.Green qui lui a dédié le documentaire « Be Natural : l’histoire cachée d’Alice Guy-Blaché », ou le musée MoMA, tentent de faire connaître la cinéaste. 

La mémoire des hommes est parfois impitoyable, et pour que ces femmes ne disparaissent pas à jamais dans les méandres de l’histoire, il faut à tout prix raconter leurs histoires et comment elles ont contribué à créer le monde qui est le nôtre.

Valentin Himblot

Sources :

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L’influence de Tik Tok sur l’industrie musicale

Aujourd’hui, les applications de divertissement, qui font d’ailleurs office d’outil de communication, sont devenus le « must have » des plus jeunes. Il est donc important pour les artistes de suivre la tendance et d’être au plus proche de leur public, en passant par exemple par Tik Tok, application la plus téléchargée devant Youtube ou encore Instagram. 

Avec le succès monstre de “old town road” de Lil N’as X grâce à Tik Tok, il est clair que l’application peut être considérée comme surpuissante pour promouvoir les chansons. En très peu de temps, des centaines de milliers de personnes se sont filmées sur le titre en suivant le Yee Yee Juice Challenge.

De là, s’en est suivi une multitude de challenges sur l’application, que ce soient des challenges de danse, de sketch, de cuisine… Et dans cette sphère de challenges on remarque que certains artistes arrivent à créer un réel engouement et se démarquent ainsi des autres en rendant leur morceau viral. 

Mais en réalité, qu’est-ce que Tik Tok ? 

Cette application se base sur un fonctionnement assez simple : l’utilisateur enregistre une courte vidéo sur laquelle une bande sonore ou musicale peut être intégré. On y retrouve des personnes qui chantent en playback, des chorégraphies, des sketchs et d’autres scènes amusantes. Une fois la vidéo publiée, elle est visible par le reste de la communauté. Et la communauté est vaste : on compte près de 650 millions d’utilisateurs actifs dans le monde, dont 4,5 millions en France. 

De nombreux artistes déjà connus se servent de la plateforme pour promouvoir leur musique (comme Miley Cyrus qui s’en est servi pour annoncer son prochain album) et on remarque également un essor d’artistes émergents qui ajoutent leur musique sur Tik Tok via des applications telles que BeeCut, YouCut ou encore Via Video. Le titre et l’artiste sont toujours crédités, ce qui [ rend le morceau facilement identifiable. 

Fun Fact : Il y a deux ans de ça, Gary Vaynerchuk voyait en Tik Tok le nouveau réseau social capable de concurrencer Instagram. C’est désormais le cas. 

Grâce à cette application, des artistes émergent de tous les continents, certains naissent et d’autres ressuscitent grâce à 15 secondes de vidéos devenues virales. 

Des artistes qui naissent 

Après avoir parlé du cas de Lil N’as X et de son “old town road”  ayant fait le tour du monde, on ne peut pas se pencher sur Tik Tok sans aborder le cas de Savage Gasp. Cet artiste était inconnu au bataillon avant de voir ses sons exploser sur l’application : “Tunnel of love”a comptabilisé plus de 700 000 vidéos sur l’application. Si on multiplie le nombre de vidéos réalisées avec ce titre et le nombre de vues sur ces vidéos, on atteint des millions  d’écoutes générées directement par ce nouveau réseau social. 

Compte Instagram de Savage Gasp

Mais alors, comment cela se traduit-il sur les ventes de l’artiste ? 

Tik Tok n’est pas considéré comme une plateforme de streaming mais véritablement comme un réseau social. Ainsi, Tik Tok ne permet pas de rémunérer les artistes, même si des centaines de milliers de vidéos ont été générées avec un loop de 15 à 30 secondes d’un morceau. 

La question qui se pose alors est :  les utilisateurs de Tik Tok vont-ils écouter les morceaux seulement sur l’application ou une conversion va-t-elle s’effectuer vers les plateformes de streaming ? La réponse est la seconde option. Heureusement, les gens stream !

Si on prend l’exemple de “Tunnel of love”, il comptabilise aujourd’hui plus de 30 millions d’écoutes sur Spotify sachant que le titre s’est fait connaître via l’arme massive de promotion qu’est Tik Tok. Avant de commencer à se faire connaître, le chemin était long pour un artiste. Sur internet, il fallait notamment être repéré sur Youtube avec des clips de qualité. Désormais Tik Tok offre des millions d’écoutes en un temps record !

D’autres exemples d’artistes français inconnus avant Tik Tok sont à noter, tel que le rappeur de niche 1pliké qui a connu un gros boom dès que les utilisateurs Tik Tok ont commencé à faire des vidéos sur ses titres. Son “Freestyle hors-série” est passé de 500 000 vues à 10 millions de vues sur Youtube en l’espace d’un mois. 

Bien évidemment, l’exemple parfait reste celui de Wejdene. C’est la chanteuse par excellence qui a décollé avec cette application. Il lui a fallu un son, un challenge Tik Tok et le tour était joué. “Anissa” a très vite été certifié platine, soit 30 millions d’équivalents streams. Depuis, elle a sorti son premier album “16” qui est disque d’or.

Fun Fact : Se sentant pousser des ailes, Wejdene a tout de même imposé une avance de 500k minimum à tous les labels qui souhaitaient la signer. Résultat, seul Universal Music a su répondre à sa demande. 

Compte Instagram de Wejdene

La génération des 13-18 ans passe désormais par Tik Tok pour découvrir de nouveaux artistes, de nouveaux tubes. Ce boom de Tik Tok permet ainsi aux artistes de signer plus rapidement au sein d’une maison de disque avec une offre bien plus conséquente qu’un artiste que l’on aurait pu considérer comme « en développement ». Autre exemple : grâce à cette outil de promotion qu’a su utiliser Sueco the child, Atlantic Records, label détenu par Warner Music, a décidé de signer le jeune artiste sur le champ. 

On notera que plus de 70 musiciens qui ont connu une révélation via Tik Tok ont ensuite dégoté un contrat avec une maison de disque.

Au sein des labels de musique, Tik Tok n’est plus une option mais un must have. Beaucoup de chefs de projet proposent directement aux artistes de trouver un challenge sur un nouveau son ou de créer un profil tiktok et de partager le son via une courte vidéo. Il y a ensuite ceux qui se prêtent au jeu et ceux qui sont plus craintifs quant à cette application.

Des artistes qui reviennent au goût du jour 

Aux côtés d’artistes qui ont émergé via Tik Tok, on trouve également des « ressuscités ». K camp en est l’exemple même, car depuis 2015 sa notoriété a baissé au niveau mainstream. C’est avec son titre “lottery”, titre le plus écouté et ayant généré le plus de vidéos sur Tik Tok, que K Camp a retrouvé son succès d’antan voire bien plus encore. Grâce à l’application, il a même pu renégocier son contrat avec Interscope, son label, notamment au niveau de la promotion et des passages en radio qu’il a jugé moindres face à son succès retentissant sur le réseau social. 

K Camp – Lottery

Lorsque ce ne sont pas des artistes qui ressurgissent, ce sont des sons qui ressuscitent comme par exemple “la boulette” de Diams, ou “something new” de Wiz Khalifa. Les sons arrivent sur l’application et poussent ensuite les utilisateurs à streamer la musique sur YouTube et les plateformes de streaming.

Compte Instagram de Wiz Khalifa

Tik Tok ou l’application qui veut venir en aide aux artistes en développement… mais sans jouer le jeu des droits d’auteur ?

La naissance de “Tik Tok spotlight” a été annoncée en 2019 en Chine. Ce programme a pour but de promouvoir et manager les artistes indépendants non signés. A l’aide d’une nouvelle chaîne de l’application, ces artistes soumettent leurs vidéos, challenges et autres qui seront ensuite classés (en fonction des vues) parmi les 100 vidéos les plus populaires de l’application. Les finalistes auront ensuite la possibilité d’aller à la rencontre de labels et maisons de disques partenaires à l’application. 

Cependant, une question reste en suspens. Si certains artistes voient leurs morceaux écoutés en boucle sur des plateformes de streaming rémunératrices ou réussissent à signer des contrats, cela compense-t-il l’utilisation non rémunérée de leur œuvre musicale sur des milliers d’œuvres vidéo au sein desquelles la musique est souvent au premier plan ? Pire encore, les artistes qui ne deviennent pas viraux mais tournent tout de même beaucoup n’ont aucune rémunération, et la célébrité apportée est négligeable. Comme les autres réseaux, Tik Tok offre beaucoup à une minorité et bafoue les droits de la majorité.

Le réseau social mondial pose un réel problème de droits d’auteur. Les lois n’ont pas eu le temps de s’adapter et Tik Tok profite aujourd’hui d’un vide juridique autour des droits d’auteur. Car Youtube le premier, mais aussi le réseau social Facebook a pris en compte les problématiques de droits d’auteurs et applique une réglementation stricte sur l’utilisation de morceaux musicaux. Pour des artistes moins connus, la soumission à la réglementation de Tik Tok est nécessaire, oui, car en effet elle offre une petite chance de devenir célèbre. Mais nécessaire ne signifie pas correct. Il faut, comme sur Youtube (qui déjà n’offre pas une rémunération suffisante), que les artistes soient rémunérés pour les vues réalisées grâce à leurs morceaux. Le problème est complexe (quelle est la place du morceau dans l’oeuvre vidéo ?), mais il est nécessaire, pour le bien des droits d’auteur que nous avons eu tant de mal à faire valoir ailleurs et qu’internet met à mal.

Notoriété, opportunité, fame & visibilité sont ainsi les maîtres mots de Tik Tok, le réseau social qui a provoqué un réel bouleversement au sein de l’industrie musicale. 

Eugénie Herbert

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L’érotisation du corps masculin par les femmes dans l’art

Le 7 janvier 2021, le collectif Lusted Men exposait sa collection de photographies érotiques d’homme pour les dix ans du festival PhotoSaintGermain à Paris. À travers cette exposition, le collectif dénonce le manque d’accès aux photographies érotisant les hommes. Lusted Men a donc lancé un appel à contributions de photographies érotiques d’hommes (s’identifiant comme tels) ouvert aux amateur.trices et ou professionnel.les afin d’enrichir les représentations masculines.

Une histoire brève de l’érotisation du corps de l’Homme

Pourtant les images érotiques d’hommes ne manquent pas dans l’histoire. Dans l’Antiquité grecque, le corps masculin était érigé comme un idéal, se rapprochant du demi-dieu. On peut penser à l’Académie d’homme, dit Patrocle peint vers 1778 par Jacques Louis David qui s’inspire de Galate Mourant, une copie romaine d’une statue grecque. À la Renaissance, le nu masculin primait encore sur le nu féminin. Il était érigé comme norme du genre humain. Les artistes dépeignaient un « moi idéal », un corps musclé et héroïque.

« Depuis le XVIIe siècle, nous avons tendance à considérer que le nu féminin est un sujet artistique plus naturel et plus séduisant que le nu masculin. ». Kenneth Clark

C’est l’esthétique réaliste de l’art occidental au XIXème siècle qui marque un point de rupture avec une représentation du corps masculin loin de l’idéalisation qui avait pu être faite. À l’inverse, la sensualité et l’érotisation sont attribuées à la femme qui devient l’objet de désir par excellence.

Jacques Louis David, Académie d’homme, dit Patrole
https://www.musee-orsay.fr/fr/evenements/expositions/archives/presentation-detaillee.html?zoom=1&tx_damzoom_pi1%5BshowUid%5D=130055&cHash=855c0ead84

Une sous-représentation des femmes dans l’art

L’érotisation du corps de l’homme dans l’art ne disparaît pas non plus au XXème siècle. De nombreux artistes comme les photographes Robert Mapplethorpe, Herbert List ou Ren Hang affirment leur homosexualité avec des photographies homo-érotiques du corps masculin qui choquent. Pourtant, les femmes artistes sont encore écartées de la scène. En 1989, les activistes féministes connues sous le nom des Guerillas Girls placardaient dans les rues de New York des affiches dénonçant la sous-représentation des femmes artistes dans le monde de l’art contemporain : « Faut-il que les femmes soient nues pour entrer au Metropolitan Museum ? Moins de 5% des artistes de la section art moderne sont des femmes, mais 85% des nus sont féminins. ». Les œuvres exposées écartent l’idée que le spectateur peut être une femme.

Dans le cadre de l’exposition Masculin / Masculin au Musée d’Orsay en 2014, L’Origine de la guerre d’ORLAN est présenté en réponse à L’Origine du monde de Courbet. Au lieu de représenter une vulve, l’artiste a effectué un photo montage représentant un homme aux jambes écartées avec le pénis en érection. Si le corps de la femme est considéré comme beau et non obscène, le corps de l’homme devrait l’être aussi.

L’érotisation du corps de la femme, une vision du genre inégalitaire

Dans la religion judéo-chrétienne, Ève naît de la côte du corps d’Adam. Elle est considérée comme l’Autre, celle qui vient après et qui sera responsable du péché de l’humanité. Dans Le Deuxième Sexe, Simone de Beauvoir souligne qu’on « dit parfois « le sexe » pour désigner la femme : c’est elle qui est la chair, ses délices et ses dangers : que pour la femme ce soit l’homme qui est sexué et charnel est une vérité qui n’a jamais été proclamée parce qu’il n’y a personne pour la proclamer. ». Or la chroniqueuse Maïa Mazaurette dans Le sexe selon Maïa : Au-délà des idées reçues nous rappelle bien que « L’homme est un objet érotique comme les autres. ». L’homme ne se douterait pas que son corps ait un certain pouvoir érotique et se ferait une idée du désir de la femme comme il souhaiterait se le représenter.

Néanmoins, nous vivons dans une société de l’image-écran où nous avons tendance à croire ce que l’on voit. Nous sommes tous les jours submergés par des représentations érotiques du corps féminin : dans la publicité, dans le cinéma, la télévision, les magazines, la pornographie, etc … Au XXIème siècle, le corps de la femme est hypersexualisé et utilisé comme un objet marchand. Dans son livre Les couilles sur la table, l’auteure et podcasteuse Victoire Tuaillon estime que si les productions culturelles « faisaient plus souvent l’effort de proposer d’autres représentations du désir, de la séduction, de la sexualité », cela nous permettrait « de mieux les incarner dans nos propres vies. ». L’érotisation du corps de l’homme et sa diffusion serait donc un facteur de libération sexuelle.

Cependant, comment créer du contenu sans être influencé par l’inconscient patriarcal ?

Le female gaze dans l’érotisation du corps de l’homme

En 1975, la critique de cinéma Laure Mulvey instaure le débat sur le male gaze dans son essai Visual Pleasure and Narrative Cinema. Elle définit ce dernier comme un plaisir de regarder basé sur l’objectivisation des femmes: leurs corps sont filmés en gros plans, et un système champs / contrechamps instaure un voyeurisme où la femme est transformée en un être-pour-le-regard. 
Selon Iris Brey dans Le regard féminin – Une révolution à l’écran, il faudrait créer « un régime d’images qui appellent à désirer autrement, à explorer nos corps, à laisser nos expériences nous bouleverser. Des images qu’il faut aujourd’hui nommer et définir. ». À l’opposé du male gaze, le female gaze filmerait les corps comme « sujets de désir ». Par la mise en scène, on ressentirait plus l’expérience féminine à travers l’écran. À titre d’exemple, la réalisatrice Houda Benyamina dans Divines propose une scène où du point de vue du personnage féminin Dounia on regarde discrètement le danseur Djigui se déshabiller alors que ce dernier sait qu’il est regardé et joue dessus. L’érotisation du corps est ici conscientisée, et celle qui regarde sait qu’elle peut être aussi regardée.

À titre d’exemple, la réalisatrice Houda Benyamina dans Divines propose une scène où du point de vue du personnage féminin Dounia on regarde discrètement le danseur Djigui se déshabiller alors que ce dernier sait qu’il est regardé et joue dessus. L’érotisation du corps est ici conscientisée, et celle qui regarde sait qu’elle peut être aussi regardée.

Vers une objectivisation du genre masculin ?

Les mouvements féministes reprochent à la société patriarcale d’avoir enfermé la femme dans un diktat de la féminité. L’objectivisation des corps masculins risquerait-elle de reproduire ce phénomène en imposant des diktats de la virilité ? De nombreuses représentations de corps masculin semblent montrer le contraire. Des artistes comme Louise Bourgeois interrogent les identités de genre. Dans la sculpture Arch of Hysteria en 1993, cette dernière s’empare du corps masculin comme objet de désir et brouille les frontières entre masculin et féminin. D’autres artistes émergeantes sur Instagram publient des images érotiques d’hommes qui mélangent les caractéristiques sociales de « féminin » et « masculin ». On peut citer en illustration Estine Coquerelle, Louise de Crozals ou en photographie le collectif Lusted Men mentionné au début ou Rosie Matheson qui explore la masculinité à travers des portraits d’hommes. La question du corps masculin idéal est aussi explorée par Sally Mann qui exposait au Jeu de Paume en 2018 des photographies de corps masculins marqués par l’âge ou par l’obésité.

Louise Bourgeois, Arch of Hysteria
https://www.google.com/search?q=arch+of+hysteria&source=lnms&tbm=isch&sa=X&ved=2ahUKEwjftrHNlfbuAhXF4uAKHavICBQQ_AUoAXoECA8QAw&biw=1208&bih=717#imgrc=VFMHAH-EioKnVM

La réinvention de notre érotisme se présente ainsi comme une piste de réflexion pour déconstruire l’asymétrie dans les rapports de pouvoir femme / homme et repenser la notion de genre. Paul B. Preciado, homme transgenre, philosophe et écrivain, nous amène de plus à réfléchir sur une future sortie d’une érotisation du corps binaire « femme » / « homme » afin de promouvoir des représentations qui mettent en avant la multiplicité des genres.

Laure Gonay

Bibliographie :

  • Le deuxième sexe de Simone de Beauvoir, 1949
  • Le sexe selon Maïa, Au-délà des idées reçues de Maïa Mazaurette, 2020
  • Les couilles sur la table de Victoire Tuaillon, 2019
  • Visual Pleasure and Narrative Cinema de Laure Mulvey, 1975
  • Le regard féminin, une révolution à l’écran d’Iris Brey, 2020
  • Divines réalisé par Houda Benyamina, 2016
  • Je suis un monstre qui vous parle de Paul B Preciado 2020

Guignol : gone des traboules ou cabotin pour marmots ?

Ma première fois avec Guignol : une rencontre spectaculaire

Juin 2003. Par un beau samedi ensoleillé, ma mère nous emmène au parc de la Tête d’Or. Mon frère et moi, tout gones* que nous sommes, s’extasions devant des bestioles que l’on croise rarement à Lyon par-delà les grilles du parc : des crocodiles, des lions, des fennecs, des ours, et même des cercopithèques de l’Hœst. Mais entre l’enclos des girafes et celui des émeus, un animal un peu particulier attire mon attention. Sous un préau en bois, niché dans son castelet, un petit bonhomme aux joues rouges et au nez en trompette, vêtu d’une redingote brune et d’un nœud papillon rouge et coiffé d’une drôle de casquette noire de laquelle dépasse une natte, agite un bâton. Face à lui, une horde de mes semblables crie « Guignol ! Guignol ! ».

Guignol et le gendarme
©Ben Kerckx sur Pixabay

Le cinéaste Jean Renoir décrivait bien mieux que je ne le pourrais le souvenir qu’évoque en lui le spectacle du Guignol des Tuileries.

« Quand j’essaie d’éveiller dans ma mémoire un souvenir direct de ce théâtre, j’en associe le style à celui des peintures de Braque ou de Chardin. […] Gabrielle prétend que j’étais tellement excité qu’il m’arrivait de saluer le début du rideau en faisant pipi dans mon pantalon ».

Jean renoir, Ma Vie et Mes Films, 1974

Guignol, symbole de Lyon et des canuts

Mais ce souvenir ne doit pas faire oublier qu’avant de monter sur les planches parisiennes, c’est dans les pentes de la Croix Rousse, à Lyon, que Guignol est né. C’est Laurent Mourguet, fils de canuts, qui crée la marionnette en 1808. Mais au-delà de son accoutrement reconnaissable entre mille, qu’est-ce qui singularise Guignol au point que 200 ans après sa création, il continue de rayonner à travers l’hexagone ? Et bien pas grand-chose justement. Ou plutôt le moins possible, mais j’y reviendrai tout à l’heure.

L’essence de Guignol est difficile à délimiter. Tantôt espiègle, tantôt naïf, toujours altruiste mais souvent coquin, Guignol représente, du moins à l’origine, un gone du peuple souvent dépeint en domestique, « 50% Scapin, 50% Figaro » dirait Jean-Guy Mourguet, un des descendants de son créateur. Au fond c’est un filou, un bon vivant, un esprit frondeur, un polisson. Comme le disait Luis Buñuel, « Guignol est tout à fait de ce pays où les révolutions se font en chantant ». Car Guignol est un révolutionnaire ! Rappelons qu’il est né chez les canuts, à la Croix-Rousse, parmi ceux qui en 1831 n’ont pas hésité à s’insurger contre la dégradation de leurs conditions de vie. A l’origine, Guignol n’est pas du tout un spectacle réservé aux enfants. Il aime boire du rouge avec son ami Gnafron, dont il convoite régulièrement la fille, Madelon. Les pièces évoquent avec satire l’actualité locale de l’époque. « C’est une marionnette qui est faite pour taper sur le gendarme, pour taper sur les gens en place » rapporte Jean-Guy Mourguet.

Buste de Laurent Mourguet, créateur de Guignol, avec la marionnette
Avenue Doyenné (Lyon 5e), ©Wikipédia

Quand Guignol monte sur Paris et s’embourgeoise

Sous le Second Empire, Guignol est même censuré. Concrètement, les textes doivent être soumis à une vérification avant d’être interprétés. C’est peut-être ça, avec la récupération de la marionnette par des théâtres parisiens, qui a peu à peu dénaturé Guignol pour en faire le personnage pour enfant qu’on connaît aujourd’hui. Paradoxalement, c’est peut-être aussi grâce à cela que Guignol a pu marquer aussi durablement les esprits. En effet, la soumission des textes au comité de censure du Second Empire a permis la conservation des pièces, alors que Laurent Mourguet, ne sachant ni lire ni écrire, n’avait pu les transmettre qu’à l’oral. Il est aussi probable que sans les théâtres parisiens, Guignol serait resté une curiosité lyonnaise méconnue du grand public.

Une marionnette à l’épreuve du temps

Ceci m’amène à un autre point : Guignol est populaire car Guignol appartient à tout le monde. N’en déplaise aux puristes qui grincent des dents lorsqu’on évoque le Guignol des Champs Elysées ou celui du Lavandou, la marionnette appartient au domaine public depuis 1914, soit 70 ans après la mort de Laurent Mourguet. Il persiste certes un droit moral, mais n’importe quel marionnettiste peut utiliser Guignol et ses petits camarades dans ses représentations. On observe une dialectique s’opérer entre d’un côté le personnage marqué par son appartenance géographique, sociale voire politique, et de l’autre la figure populaire et consensuelle appréciée de tous les enfants. Ma conviction est que c’est un équilibre particulier entretenu par la tension entre ces deux aspects de Guignol qui participe à perpétuer son mythe.

Le Guignol Guérin, théâtre de marionnettes depuis 1853
Bordeaux (Guignol Guérin, non modifiée, licence CC BY-SA 4.0)

Cela va de pair avec l’art même de la marionnette. Contrairement à un comédien, la marionnette est une figure inanimée qui prend vie par la seule main du marionnettiste. Elle est donc totalement à la merci de ce dernier. Jean-Guy Mourguet fait la distinction entre « les marionnettistes qui servent Guignol, et ceux qui se servent de Guignol ». C’est bien la preuve que la marionnette est façonnée par la superposition de ses manipulateurs invisibles, plus ou moins talentueux et conscients de la portée symbolique de celle-ci. C’est aussi la raison pour laquelle vous avez certainement une perception différente de Guignol que moi ou un autre lecteur de cet article, selon les castelets devant lesquels vous êtes passés. Seules les marionnettes, à ma connaissance, jouissent de cette incroyable plasticité, à l’image des personnages de la Commedia Dell’Arte dont Guignol est un héritier direct.

@ Compagnie M.A. // Coulisse du spectacle Guignol et Mama Swing

9 coups rapides, 3 coups lents : introduction au théâtre

Par ailleurs, je conteste la connotation péjorative de l’expression « théâtre pour enfant » qui désigne Guignol, car c’est chez le très jeune public que l’on peut aiguiser un jugement esthétique, même s’il est inconscient. Aussi Jean Renoir écrit-il : « Guignol contribua certainement à ma formation plastique. Celui des Tuileries m’a donné la crainte des contrastes brutaux. Au début de ma carrière cinématographique, j’ai exagéré ces contrastes. C’était une erreur, ce n’était pas le genre de cinéma qui me convenait. Guignol m’a aussi donné le goût des histoires naïves et une méfiance profonde pour ce que l’on a convenu d’appeler la psychologie. »

Pour finir, je voudrais vous laisser avec un extrait de la pièce Guignol député de Jules Coste-Labaume (1883) pour vous donner un aperçu du parler lyonnais du XIXème siècle.

« GUIGNOL : Eh ben, z’enfants, en v’là z’une manigance ! Maginez-vous, les gones, que c’t’intrigant de Gnafron n’a t’y pas z’a eu l’idée de vouloir me faire nommer député ! Guignol député, ah mes pauv’s belins ! Mais gn’y aurait de quoi faire tordre les côtes au cheval de bronze et l’homme de la Roche n’en aggraferait la courante à feurce de rigoler. »

Jules Coste-Labeaume, Guignol député, 1883

*Gones [Régional Lyon] : jeune enfant

Jérémie Garret

Sources :

Jean Renoir, Ma Vie et Mes Films, 1974

Jean Coste-Labaume, Guignol député, 1883

https://www.franceculture.fr/emissions/les-nuits-de-france-culture/lieux-de-memoire-guignol-1ere-diffusion-04031999

https://www.franceculture.fr/emissions/une-saison-au-theatre/la-place-conquise-de-la-marionnette

https://www.amisdelyonetguignol.com

Back dans les bacs : le retour du vinyle

Après avoir été délaissé par les utilisateurs avec l’arrivée des formats compressés dans les années 80, le vinyle fait son grand retour dans le monde de la consommation de la musique. Les chiffres sont sans appel : en 15 ans, les ventes aux USA sont passées de 900 000 à 19 millions d’unités vendues par an (Nielsen & Billboard) . En Allemagne sur la même période, nous enregistrons une augmentation de plus de 1000% (Bundesverband Musikindustrie). Comment expliquer cet engouement pour ce format pourtant délaissé il y a 40 ans ?

Répartitions des acheteurs de vinyle par groupe d'âge. 42% moins de 30 ans, 26% pour les 30-50 ans et 32% pour les plus de 50 ans.

Un retour indéniable du vinyle : une affaire générationnelle ?

La première hypothèse est que les ventes seraient dues aux nombreux nostalgiques des années 70, lorsque les vinyles étaient les rois. Néanmoins, une récente étude de la SNEP publiée en juin 2020, nous montre la répartition par tranche d’âge des acheteurs de vinyles en France.

Cette étude montre que la part la plus importante d’acheteurs se situe chez les moins de 30 ans. Même si beaucoup sont sûrement nostalgiques des grandes années du rock’n’roll, ils ne peuvent pas intrinsèquement être nostalgique de cette époque.  L’origine du retour du vinyle trouve donc son explication autre part, même si cette hypothèse doit y participer légèrement.

Le disque microsillon face au streaming : de concurrencé à concurrent

L’explication de ce retour en force du vinyle ne se trouverait-elle pas plutôt dans son exact opposé, le streaming ? Ces dernières années, la progression du nombre de streams a explosé pour battre tous les records. L’étude réalisée au Pays-Bas par NVPI montre les parts des revenus de l’industrie musicale par type de consommation.

Répartitions des revenus de l'industrie musicale où le streaming représente près de 80% des recettes pendant que les CDs s'élèvent à 12% et les vinyles à 7,5%.
Part des revenus de l’industrie musicale par type de consommation, NVPI (février 2020)

Par ailleurs, l’institut de statistique Statista vient de publier une étude montrant la croissance du nombre total d’utilisateurs des plateformes de streaming dans le monde et les prévisions pour les prochaines années.

Evolution et prévisions du nombre d'utilisateurs de plateformes de streaming, passant de 309 millions en 2017 à 544 millions en 2020 d'utilisateurs. D'ici, 2025, Statista estime que les utilisateurs seront plus de 900 millions.
Evolution et prévisions du nombre d’utilisateurs de plateformes de streaming, Statista (février 2021)

À la vue de ces données, on comprend bien mieux les habitudes de consommation d’aujourd’hui : nous faisons face à une digitalisation extrême de nos contenus musicaux. Cela pousserait certains à s’orienter vers le vinyle pour rematérialiser leur bibliothèque afin de retrouver la sensation d’écouter de la musique réelle. Il est vrai qu’écouter de la musique est devenu très simple et peut-être même trop simple. On a désacralisé le travail de l’artiste jusqu’à en perdre la notion d’œuvre d’art. Finalement, consommer du vinyle, ne serait-il pas le meilleur moyen de combattre cette musique trop souvent devenue jetable ?

De plus, tout audiophile vous dira la même chose : la qualité audio du streaming n’est en rien comparable avec l’analogique. Et on ne peut pas leur donner tort. Sur les plateformes de streaming, le média est compressé au maximum en plus de subir toutes sortes d’interférences, de pertes et de compressions lors de ces allers-retours entre les serveurs pour finalement être joué sur une enceinte de qualité moyenne en Bluetooth. Les fichiers ressortent plats, sans largeur de scène ni de profondeur. Ce mode de consommation va évidemment à l’encontre de l’essence même des amoureux de la musique : où sont passé les fiches en or ? Le vinyle, c’est retrouver cette authenticité du crépitement des microsillons, du côté solennel de l’écoute d’un contenu de qualité mais aussi le retour d’une activité perdue : écouter de la musique.

Photo d'une platine et plus précisément du diamant vibrant sur le microsillon.
© Mathis Granger (2021)

Attention, nous ne critiquons en aucun cas le streaming qui permet d’obtenir toutes les dernières sorties rapidement. Il ouvre également des opportunités à tant de jeunes artistes. Pour l’utilisateur, ce système est plus pratique au quotidien. De plus cela permet de réduire au maximum les écoutes illégales et permet donc aux musiciens de percevoir le vrai fruit de leur travail. Néanmoins, on sait que les artistes ont besoin d’un nombre conséquent d’écoutes pour pouvoir vivre de leur passion.

Plus qu’un support audio, un objet de collection

De ce postulat, une dernière hypothèse, qui pourrait expliquer l’augmentation des ventes de vinyles, se dégage. L’idée est que les auditeurs se procureraient majoritairement leurs albums favoris pour le plaisir de l’écoute mais aussi par geste altruiste envers l’artiste qui leur a créé l’œuvre. Ainsi, le consommateur donne une participation bien plus importante à l’artiste et ce dernier bénéficie d’un revenu bien supérieur pour son travail. Il est ainsi fréquent que les artistes publient des éditions limitées plus onéreuses pour attirer les fans les plus extrêmes et ainsi générer plus de revenus.

Mais alors pourquoi les ventes de CD ne connaissent-elles pas le même essor ? A la différence du CD, le vinyle jouit d’une certaine popularité par son aspect esthétique mais aussi grâce au retour sur le devant de la scène du style « vintage ». Certains LP (long play ou 33 tours) sont de véritables œuvres d’arts et renferment même parfois des surprises. Comme cette compilation ci-contre signée par le label Ed Banger. A l’ouverture, on découvre alors un véritable flipper musical. Ces petits plus font toute la différence entre écouter une musique en streaming et écouter un vinyle. Un second exemple qui traduit parfaitement l’idée d’objet de collection est la compilation des 4 EP d’Etienne de Crécy ci-dessous qui, une fois réunis, forment une illustration. Ce côté « objet de collection » démarque une nouvelle fois le vinyle des autres modes d’écoute et rajoute de l’intérêt à ce type d’enregistrement.

Compilation des pochettes des 4 EP d'Etienne de Crécy formant alors une nouvelle pochette, celle de son LP Super Discount.
Illustration par Ant1 & Ludo pour H5 (1996)

Pochette d'un LP du label Ed Banger, représentant un flipper.
Illustration par So Me (2017)

Ces points singuliers sont les principales raisons qui expliquent le retour du vinyle. Et enfin, si vous vous demandez si nous sommes en train d’écouter un vinyle en écrivant ces lignes, la réponse est dans le titre !

k

Recto de la pochette de l'album Suprême NTM du groupe éponyme. Sur cette face, il s'agit du visage de Kool Shen.
Verso de la pochette de l'album Suprême NTM du groupe éponyme. Sur cette face, il s'agit du visage de Joeystarr.

© Laurent Seroussi (1998)

Mathis Granger

Sources :

Breakdown of vinyl records sale revenue in France in 2019, by age of the buyers, SNEP, juin 2020

Distribution of music industry revenue in the Netherlands in 2019, by category, GfK Entertainment, NVPI, février 2020

Record sales volume (vinyl LPs) in Germany from 2003 to 2019, GfK Entertainment, Bundesverband Musikindustrie, avril 2020

Digital music, Digital media report 2020, Statista, décembre 2020

Il était une fois la Comédie à l’italienne !

C’era una volta la commedia all’italiana !

Le cinéma italien est l’un des plus anciens et des plus célèbres au monde. Le 28 décembre 1895 les Frères Lumières présentent le Cinématographe en France, quelques mois après ils l’introduisent en Italie. Le cinéma français et italien se retrouvent liés dès leurs débuts et partagent un genre commun : la comédie. 

La Comédie italienne est un genre à part entière au sein du cinéma italien et elle contribue très largement à faire la renommée de celui-ci à travers le monde. Je vous propose dans cet article d’explorer la commedia all’italiana, miroir de la société italienne. Andiamo ! 

Alberto Sordi représentant l’Italien du peuple  

La Comédie à l’italienne, reflet d’une société unique en son genre   

Mario Monicelli, réalisateur du célèbre film comique soliti ignoti (Le Pigeon) a dit :  

« Quoi qu’en pensent certains critiques peux enclins au rire et méconnaissant le rôle de la satire et de l’hilarité, la comédie italienne a eu un grand retentissement dans l’Histoire des mœurs italiennes, je ne crois pas qu’il y ait eu au monde un cinéma comique qui ait eu cette ténacité pour combattre les fléaux sociaux » 

Le public italien va au cinéma pour s’amuser. Cela peut expliquer le peu de films d’auteur et de salles de cinéma d’Art et d’Essai dans le pays. Le peuple italien veut rire de tout, il est très attaché au réel et à l’expérience de la rue. Il y a ainsi une volonté de rire du bas-peuple et des classes populaires, souvent représentées de manière grossière. L’autodérision est une caractéristique de la société italienne que l’on retrouve dans les comédies. 

Bien qu’il le caricature souvent, le cinéma comique est proche du peuple. Les acteurs viennent de toutes les régions de l’Italie et bien qu’ils jouent exclusivement en italien et non dans leur dialecte local, on retrouve une forte empreinte régionale dans la comédie avec des acteurs comme Toto, caricature du napolitain moyen.  

Toto, le Fernandel italien, figure du petit délinquant napolitain, risible mais digne 

Du Néoréalisme à la Comédie (1945-1950) 

L’Italie post-mussolinienne, marquée par le fascisme et les destructions d’après-guerre, donne naissance au mouvement néoréaliste.  

Ce mouvement se veut le plus réaliste possible en représentant un pays en proie à la pauvreté qui doit entièrement se reconstruire. Les acteurs ne sont pas professionnels, les films sont tournés directement dans la rue car les studios italiens Cinecitta sont occupés par les réfugiés. Des films noirs émergent alors et marquent le monde du cinéma. On peut citer Ladri di Biciclette (Le Voleur de bicyclette), Miracolo a Milano (Miracle à Milan) et Umberto D. réalisés par Vittorio De Sica ou encore Rome, ville ouverte de Roberto Rossellini. 

Le Néoréalisme prend fin en 1952 et est remplacé par le Néoréalisme rose.  Cette période de transition ouvre la porte au cinéma comique. Les films sont beaucoup plus légers en accord avec des conditions générales de vie qui s’améliorent grandement. Ce mouvement utilise des actrices aux formes généreuses, nommées maggiorata, qui deviennent de vraies célébrités. Les actrices comme Sophia Loren, Gina Lollobrigida, Silvana Mangano, Claudia Cardinale et Stefania Sandrelli deviennent les têtes d’affiche du cinéma italien dans le monde. Elles participent ensuite à diffuser et populariser la Comédie italienne en Europe et aux États-Unis.  

Gina Lollobrigida, la maggiorata typique  

Le triomphe de la Comédie italienne (1958-1980) 

Les années 1960 à 1970 sont celles du « miracle économique italien » et sont marquées par une forte croissance économique, une pauvreté en baisse, une émancipation des jeunes et un esprit de fête général. Dans ce contexte la Comédie devient l’un des genres les plus populaires du cinéma italien. Elle évoque de façon détournée, mais de manière profonde, les thèmes sociaux, politiques et culturels de l’Italie. Le film I Solti Ignoti (le Pigeon) de Monicelli mettant en scène une bande de malfrats minables qui tentent un vol rocambolesque ouvre cette ère. 

De grands réalisateurs émergents tels que Mario Monicelli, Ettore Scola, Pietro Germi, Luigi Comencini et Dino Risi font jouer dans leurs films des acteurs aussi célèbres que Marcello Mastroianni, Vittorio Gassman, Ugo Tognazzi, Alberto Sordi, Claudia Cardinale, Monica Vitti et Nino Manfredi.

Luigi Comencini en 1971
Claudia Cardinale fait ses débuts dans la comédie  

Divorce à l’italienne (Divorzio all’italiana) réalisé par Pietro Germi – 1961 

Marcello Mastroianni dans un des ses meilleurs rôles 

Le baron Ferdinando Cefalu, issu d’une vieille famille de l’aristocratie sicilienne, ne supporte plus sa femme, Rosalia. Il est tombé amoureux de la belle Angela. Mais alors que le divorce demeure interdit, le baron prend connaissance d’un article de loi invitant à la clémence vis-à-vis des assassins ayant tués leur conjoint pour « sauver leur honneur ». Dès lors, il va échafauder un plan incitant sa femme à avoir une relation adultère, afin de pouvoir plus légitimement la tuer ensuite ! Le problème est de trouver celui qui voudra de son énervante épouse. Le réalisateur Pietro Germi va utiliser la satire pour dénoncer cette société italienne très conservatrice des années 1960 dans laquelle le divorce est encore interdit par la loi et très mal vu. Ainsi pour se débarrasser de leurs femmes ou en cas d’adultère, certains hommes n’hésitent pas à tuer leurs épouses en bénéficiant d’une loi très laxiste qui ne les condamne qu’à quelques années de prison ! Le réalisateur dénonce cet état de fait et va même plus loin en présentant le mariage comme un « tue-l’amour ». 

L’Argent de la Vieille (Lo Scopone Scientifico) réalisé par Luigi Comencini – 1972 

L’affiche originale du film  

Chaque année, une vieille milliardaire américaine (Bette Davis) vient assouvir à Rome sa passion pour le « Scopone scientifico » un jeu de cartes traditionnel italien. Elle joue avec un couple de chiffonniers (Alberto Sordi et Silvana Mangano), issu d’un bidonville voisin. Chaque année les habitants croisent les doigts pour la victoire des leurs… Une victoire qui n’arrive bien sûr jamais.  

Nous nous sommes tant aimés (C’Eravamo Tanto Amati) de Ettore Scola – 1974 

Vittorio Gassman et Stefania Sandrelli  

Film bilan qui retrace trente ans d’histoire et de cinéma italien en évoquant Fellini (la Dolce Vita), De Sica ou Antonioni. Le film commence à la fin de la guerre en 1945, trois personnages Antonio (Nino Manfredi), Gianni (Vittorio Gassman) et Nicola amis de lutte dans le maquis voient un nouveau monde s’ouvrir à eux dans lequel ils mettent tous leurs désirs et leurs rêves.  

Les Nouveaux Monstres (I Nuovi Mostri) de Mario Monicelli, Dino Risi et Ettore Scola – 1977 

Ugo Tognazzi dans le rôle d’un simplet  

Ce film présente un format particulier puisqu’il est constitué de douze petits sketchs.  

Les réalisateurs dénoncent toutes les formes d’hypocrisie et de bassesse humaine sur un ton virulent. Ils s’attaquent aux institutions comme l’Église, la famille et les classes sociales, qu’ils tournent en dérision avec un humour noir et décalé. Les meilleurs comiques italiens de l’époque : Vittorio et Alberto Sordi se surpassent et donnent toute sa qualité au film. 

La Comédie italienne de 1980 à aujourd’hui  

A partir des années 1980 la popularité du genre décroit. Néanmoins le genre est toujours présent sur les écrans italiens. On peut citer l’excellent La Grande Bellezza de Paolo Sorrentino (2013). Ce film met en scène un critique d’art désabusé, Jep Gambardella (incarné par Toni Servillo). Confident du microcosme bourgeois romain, familier des fêtes, de la chirurgie esthétique et de l’art contemporain, Jep traverse les années pour finalement réaliser qu’il a raté sa vocation : être écrivain. 

Cette fois ci la comédie fait une satire non pas sur le bas peuple mais sur la haute bourgeoisie romaine, le ridicule et la vacuité de sa vie au travers d’un homme qui peu à peu est répugné par son milieu social. 

Toni Servillo, mondain fêtard mais désabusé   

Ainsi la « Commedia all’italiana », bien que moins populaire aujourd’hui est toujours présente après 60 ans d’existence. Elle aura contribué à faire connaitre le cinéma comme les acteurs italiens à l’étranger. La comédie est « le reflet de l’âme italienne », à vous de la découvrir ! 

Antonin Gaillarde  

NB : A propos de son film, l’Argent de la vieille, le réalisateur raconte : « Ce film trouve son origine dans un fait divers dont j’ai été témoin à Naples en 1948. Devant la petite pension où je logeais, je vis arriver un jour une élégante Rolls-Royce, d’où descendit une Hollandaise qui devait avoir dans les quatre-vingts ans. Elle demanda au concierge de trouver un certain Peppino et un certain Cirillo, puis s’en alla. Intrigué, je demandai au concierge de m’expliquer qui était cette milliardaire et ce qu’elle voulait de Peppino et Cirillo. L’histoire qu’il me raconta était incroyable. Mariée à un riche banquier américain, la dame en question faisait le tour du monde à longueur d’année, en suivant le printemps. En mai, chaque année, elle arrivait à Naples, louait une villa et, pour passer le temps, jouait aux cartes toute la journée. Et ainsi, depuis huit ans, en mai, deux pauvres, vêtus d’un habit de soirée improvisé, montaient tous les jours à la villa, poursuivant le rêve de réussir le gros coup qui leur aurait permis de devenir milliardaires. » 

Sources 

https://www.treccani.it/enciclopedia/commedia-all-italiana_%28Enciclopedia-del-Cinema%29/

https://www.cinematheque.fr/cycle/comedie-a-l-italienne-307.html

https://www.cineclubdecaen.com/analyse/comedieitalienne.htm

https://www.universalis.fr/encyclopedie/comedie-italienne-cinema/

Autres liens conseillés 

https://www.senscritique.com/top/resultats/Les_meilleures_comedies_italiennes/728740  

https://l.facebook.com/l.php?u=https%3A%2F%2Fyoutu.be%2FFE7Ze0Y3VNA%3Ffbclid%3DIwAR3ceEySI0ynZCyKUn_9l9iAw5GbG2xJ5Re0O8AmTtRv02us_RwsRopJWbQ&h=AT0AS6jzR7UHZcoq30-LF-likemPtB0CYGbox2casqTM5ou4gmRRbZBzOpf4tKMDA1gF6Q3tvsCoaRbDPORokO2wxJC1b0ayg74lPQSNwzoBkxwwaMipBV95OATa_wsPDbM-JIz9K98

https://l.facebook.com/l.php?u=https%3A%2F%2Fyoutu.be%2FPA_eiQRppOY%3Ffbclid%3DIwAR0mpg_PrVp8hPRif07MnnRYf6omM07KXL3edwb6-AAKi4j8q7z13aU_rdE&h=AT0m6i7sLxPitjAsMRGEMjt03W3lyUmN3P3wV0nKr52HdzMYPWq-tONS6ZIDuQ6pYxST73qSnlub0WQEmKEfzr-ZJ8BES2cqsSl55VOdK1lftoWyIcLM8ZWWkLMwt-CnDBL9J3wHqA4

Le MOOC qui place les femmes au centre de la toile

Depuis le 25 janvier 2021, le MOOC « Elles font l’art » est disponible gratuitement sur la plateforme FUN. « Elles font l’abstraction » est une exposition à l’initiative du Centre Pompidou qui aura lieu au printemps prochain. Ce Massive Open Online Courses (MOOC) est réalisé en partenariat avec l’Université du Québec à Montréal pour donner aux femmes artistes, si souvent mises de côté, la place qu’elles méritent dans l’Histoire de l’art. 

Grâce au parcours chronologique, les participants (re)découvrent des artistes talentueuses, aux styles diverses, qui ont réussi à se faire une place au sein des mouvements artistiques de 1900 à nos jours. De nombreux sujets y sont abordés, de la place de la femme dans l’art jusqu’à la déconstruction de la vision masculine et hétérosexuelle de cette discipline, en passant par l’importance du mouvement avant-gardiste pour les femmes artistes.  « Elles font l’art » donne la parole à des références du féminisme en art, comme la professeure d’Histoire de l’art Thérèse St-Gelais spécialiste du féminisme et du genre. Ce travail a été réalisé grâce à la collaboration fructueuse entre professionnelles de la culture et professionnelles de l’art. Mais ne vous y méprenez pas, ce MOOC n’est pas réservé aux femmes, il est ouvert à toutes les personnes qui souhaiteraient en apprendre davantage sur ce sujet ! 

Il y a tant à découvrir…

Les femmes inspirent les artistes depuis la naissance de l’art, alors pourquoi ne pas s’intéresser à elles en tant que créatrices ?  

Des débuts dans l’ombre

Au XIXème siècle, ces dernières n’ont pas accès à la même éducation artistique que les hommes. Elles peuvent, en effet, s’intéresser à l’art mais ne doivent surtout pas souhaiter faire carrière dans ce domaine encore très masculin. Pour accéder à l’Académie des Beaux-arts – interdite aux femmes jusque 1906 en France – ou pour exposer leurs créations, certaines, comme la sculptrice Jane Poupelet, se travestissent en homme et signent leurs œuvres d’un pseudonyme. D’autres, comme Jeanne Itasse-Broquet, ont la chance de grandir dans une famille d’artistes et peuvent ainsi, avoir facilement accès aux matériaux et aux conseils leurs permettant de se perfectionner.  

Jane Poupelet dans son atelier, Anonyme

Les codes de l’art se modifient

Le XXème siècle ouvre les portes des écoles aux femmes mais ces dernières restent encore trop souvent cantonnées à des domaines dits « féminins » (la peinture : nature-morte ou portrait ; la broderie, les arts décoratifs etc.) souvent en lien avec le foyer familial. A la même époque, les mouvements avant-gardistes se développent et déconstruisent les codes de l’art. Les femmes artistes y voient alors une opportunité d’intégration bien que nombre de ces mouvements soient encore très machistes voire misogynes.   

Portrait de Frida Kahlo sur un mur, ©DDP sur unsplash

Bien qu’évoluer dans une famille ou un couple d’artistes au XXème siècle semble être un atout pour accéder au monde de l’art, le rapprochement entre une femme et un homme, tous deux artistes, n’est pas forcément avantageux pour la carrière artistique de la femme ni pour sa place dans l’Histoire de l’art.  

« Il n’y a qu’un travail autonome qui puisse assurer à la femme une authentique autonomie »  

Simone de Beauvoir

La citation de Simone de Beauvoir « Il n’y a qu’un travail autonome qui puisse assurer à la femme une authentique autonomies » s’applique parfaitement aux artistes. Nombre d’entre elles ont été réduites au rang de « femme de », « fille de », « mère de » avant d’être peintres, sculptrices, photographes ou créatrices. De la même manière, dans l’Histoire, le statut de muse ou de modèle écrase bien trop souvent la carrière artistique. Ce manque de reconnaissance est à l’origine d’un vide historiographique important autour de femme artiste, largement oubliée, ou du moins, sous représentée. Cette situation impacte aujourd’hui les institutions culturelles. Comment pouvons-nous y remédier ? 

Un réveil culturel

Bien qu’une partie importante des institutions culturelles ait pris conscience du manque de représentation des femmes dans l’art, il reste beaucoup de progrès à faire dans le secteur de la culture en France dans le monde.  

Des inégalités marquées…

Au sein des institutions culturelles, les œuvres réalisées par des femmes sont nettement moins présentes dans les collections permanentes d’Art Moderne que celles réalisées par des hommes. Les travaux des artistes femmes avoisinent généralement 15% d’une collection. Les expositions monographiques sont également plus souvent consacrées à des hommes. On retrouve le même phénomène sur le marché de l’art : les femmes artistes y sont très peu représentées et leurs cotes restent toujours plus faibles que celles des hommes.  

Mais des progrès constants

Il est toutefois important de reconnaître que la prise de conscience commence à porter ses fruits et pousse les institutions à se renouveler. Pour la première fois en 2018, les collections publiques ont acquis autant d’œuvres réalisées par des femmes que par des hommes. Le Centre Pompidou en est un très bon exemple : en 2020, les œuvres des artistes femmes représentaient 21% de la collection totale contre 18% en 2010. Le Musée national d’Art Moderne souhaite en effet acquérir plus d’œuvres réalisées par des femmes artistes. Cette ambition est inspirée par le succès de l’accrochage thématique innovant réalisé en 2009 « elles@centrepompidou » ne présentant que des œuvres réalisées par des femmes artistes.

Sonia Delaunay, Automne, 1965, musée des Beaux-Arts de Brest 

La commissaire de cette exposition, Camille Morineau est l’une des figures majeures de la diffusion des femmes artistes et leur travail. Elle est la créatrice de l’association AWARE (Archives of Women Artists, Research and Exhibition) et de son site internet gratuit bilingue français-anglais, qui met à la disposition de tous, des connaissances sur les femmes qui ont marqué le monde de l’art. L’association organise également des colloques comme « Parent-elles, compagne de, fille de, sœur de… : les femmes artistes au risque de la parentèle » qui s’est déroulé en septembre 2016. Ces journées de discutions abordent les effets parfois occultants qu’ont les liens familiaux sur la création des femmes. Toutes ces initiatives accompagnent la reconnaissance croissante accordée aux femmes artistes dans le monde culturel ces dix dernières d’années. 

Un pas vers l’égalité ?

Vous êtes alors en droit de vous demander, pourquoi est-ce si important de s’intéresser aux femmes artistes en particulier ? Pourquoi réaliser des expositions uniquement consacrées à celles-ci ? Et pourquoi ne pas faire un MOOC sur l’art en général en y intégrant des femmes ? 

Tout d’abord, ces initiatives permettent de découvrir un pan de l’histoire de l’art encore méconnu à ce jour. Mettre en valeur les femmes artistes dans un MOOC ou une exposition constitue une chance supplémentaire de découvrir de nouvelles artistes, des œuvres qui touchent le spectateur pour leur esthétique ou pour leurs sens. Pour nous, passionnés d’art, n’est-ce pas ce que l’on souhaite : apprendre ? comprendre ? être ému ? 

Ces actions centrées sur les femmes artistes sont une introduction à un nouveau monde culturel : elles éveillent les esprits, la curiosité, elles procurent l’envie d’en voir davantage. C’est ce qui mènera ensuite à la parité dans les collections. Par « parité », je n’entends pas l’obligation ferme que la moitié des œuvres d’une collection permanente soit réalisée par des femmes - notamment si cela empêche l’acquisition d’une œuvre reconnue réalisée par un homme. Non, j’imagine des collections permanentes ou des expositions temporaires qui révèlent une réelle représentation de l’Histoire de l’art mélangeant créateurs et créatrices, d’origines, de styles et de visions différentes. J’entends par parité le fait de tendre vers un idéal dans lequel les femmes artistes ont une place équivalente à celle des hommes dans les musées et dans l’Histoire de l’art.  

N’attendez plus !

Alors, pour obtenir votre dose de culture, que la fermeture des musées ne facilite pas, profitez du couvre-feu pour découvrir de talentueuses artistes et de belles œuvres dans le MOOC « elles font l’art » disponible jusqu’au 25 juin 2021. À la fin du MOOC, vous recevrez une attestation de vos acquis suite aux quizz réalisés tout au long du cours. 

Belle découverte ! N’hésitez pas à aller voir le MOOC grâce au lien ci-dessous.

https://www.fun-mooc.fr/courses/course-v1:centrepompidou+167002+session01/about

Adèle Desmichelle

Sources 

Le MOOC « Elles font de l’art »

RIVIERE, Anne. Jane Poupelet 1874-1932, Roubaix, Gallimard, 2005, p.12-16.  

ADLER, Laure, VIÉNILLE Camille. Les femmes artistes sont dangereuses, Paris, Flammarion, 2018. 
 

CHAPPEY, Frédéric, et RIVIERE, Anne. Sculpture’Elles – Les sculpteurs femmes du XVIIIe siècle à nos jours, Boulogne-Billancourt, Édition d’art Somogy, 2011 
 

LICHTENSTEIN, Jacqueline, et POLLOCK Griselda. « Griselda Pollock  : Féminisme et histoire de l’art ». Perspective. Actualité en histoire de l’art, no 4, 31 décembre 2007, p568-584. 
 

Comment visiter un musée sans quitter son fauteuil ?

Le 6 février 2021, 100ème jour de fermeture des lieux d’exposition, a marqué un tournant dans l’histoire des musées. Du jamais vu. Si le temps n’est plus à la course dans la grande galerie du Louvre comme celle qui entraîne Frantz, Arthur et Odile dans le Bande à part (1964) de Jean-Luc Godard ou celle de Matthew, Théo et Isabelle dans The Dreamers de Bernardo Bertolucci (2003), la visite de musée et la contemplation des œuvres n’en restent pas moins possibles. 

Mis à part les visites virtuelles, il existe un bon moyen de voyager à travers des siècles d’histoire de l’art : le cinéma. Il regorge de films en tout genre dont les sujets vont de la découverte archéologique (The Dig de Simon Stone récemment sorti sur Netflix), jusqu’à l’exposition en salle (The Square, Ruben Östlund, 2017), en passant par les étapes de la création (Frida, Julie Taymor, 2002). À travers une liste subjective de films, nous allons voir comment l’art et les musées sont mis en scène au cinéma.   

Bande à Part (1964) versus The Dreamers (2003)

 L’artiste sous l’œil des cinéastes   

Tout d’abord, les biographies de créateurs s’imposent comme un thème récurrent au cinéma. Un grand nombre de réalisateurs s’est prêté au jeu de retranscrire plus ou moins fidèlement la vie d’un artiste. Van Gogh est par exemple l’un des peintres qui a donné lieu au plus grand nombre de biopics. On ne compte pas moins de quinze déclinaisons depuis 1948. La première prend la forme d’un court métrage réalisé par Alain Resnais ; puis d’autres grands réalisateurs de différentes nationalités se prêtent à l’exercice. On peut citer Vincente Minnelli en 1956 avec La vie passionnée de Vincent Van Gogh, Robert Altman en 1990 avec Vincent et Théo, Maurice Pialat en 1991 avec Van Gogh pour lequel Jacques Dutronc remporte le César du meilleur acteur pour son interprétation du peintre, ou encore plus récemment Julian Schnabel en 2018 avec At Eternity’s Gate pour lequel William Dafoe a été nommé aux Oscars dans la catégorie du meilleur acteur.  

D’autres artistes célèbres ont été mis en avant au cinéma comme le néerlandais Vermeer de Delft dans La Jeune fille à la perle de Peter Webber en 2003, entremêlant  réalité et fiction (la jeune fille à la perle, véritable personnage, entretient une liaison avec le peintre), ou comme la sculptrice Camille Claudel dans le film éponyme de Bruno Nuytten récompensé aux Césars dans les catégories de meilleure actrice (Isabelle Adjani transcendante), meilleur film, meilleurs décors, meilleure photographie et meilleurs costumes. Dans un autre registre, Tim Burton s’est aussi essayé aux biopics à travers Big eyes (2014) racontant l’histoire d’un couple de peintres, les Keane, dont l’histoire a fait scandale à la fin des années 1950 aux États-Unis. 

Si vous vous intéressez aux artistes, mis à part les biopics romancés de vie d’artiste, il existe de très célèbres documentaires tel que Le mystère Picasso (H.G Clouzot, 1956) qui s’attache à représenter le peintre au travail dans son atelier sans aucun artifice cinématographique ; le film est dénué de musique ou de tout mouvement de caméra.  

Sur un ton moins sérieux mais tout aussi intéressant, il existe au cinéma de nombreux artistes imaginaires qui fournissent des personnages principaux ou secondaires. On trouve cela dans l’inoubliable Meurtre dans un jardin anglais de Peter Greenaway (1992) ou dans le non moins fameux Roi et l’oiseau de Paul Grimault et Jacques Prévert (1952), où cette fois-ci, l’artiste n’est plus qu’un personnage secondaire permettant d’accentuer le caractère tyrannique et ridicule du protagoniste, le roi de Takicardie.  

Peintures et cinéma – Blow Up – ARTE

Quand la frontière entre la toile et le film se brouille 

Les artistes, qu’ils soient réels ou imaginaires, ont servi de sujet à de nombreux réalisateurs. D’autres préfèrent s’inspirer des œuvres, qu’ils revendiquent plus ou moins directement comme influence esthétique. Pour rester dans le thème, évoquons Akira Kurosawa, réalisateur japonais, qui propose dans son film Dreams sorti en 1990, un hommage à Van Gogh dont il utilise les tableaux comme support : les toiles se transforment en décor où se promène un héros qui finit par rencontrer le peintre sous les traits de Martin Scorsese en plein travail sur le motif. 

De nombreux autres films partent d’une œuvre précise pour définir une ambiance. Ainsi a procédé Lars Von Trier avec Melancholia (2011) en reprenant presque trait pour trait l’Ophélie du peintre préraphaélite anglais John Everett Millais qui a représenté une jeune fille dérivant à la surface d’une rivière parmi des fleurs. La relation entre peinture et cinéma est également très forte dans Psychose d’Alfred Hitchcock (1960) : l’hôtel de la famille Bates semble tout droit sortie de la toile Maison au bord de la voie ferrée du peintre américain Edward Hopper (1925). Dans le registre du cinéma d’animation, les décors du Roi et l’oiseau déjà cité sont un hommage explicite au peintre métaphysique Giorgio de Chirico.  

Film meets Art III

Le musée : une place à part dans l’imaginaire du cinéphile 

Plus encore qu’une toile prenant la place d’un décor de cinéma, on trouve de nombreux films qui se déroulent en partie ou totalement dans un musée. Le Louvre est souvent au cœur de l’action. On peut citer la très récente série française Lupin où l’intrigue débute par une course poursuite devant le bâtiment et s’achève dans la pyramide inversée. De même, le très contesté Da Vinci Code, adapté du roman de Dan Brown, qui s’organise autour d’une interprétation ésotérique des œuvres de Léonard de Vinci.  

Le musée peut encore être un lieu de rencontre professionnelle (comme celle de James Bond et du chercheur Q à la National Gallery de Londres dans Skyfall), amoureuse (comme dans Il était temps où les héros se retrouvent à une exposition sur Kate Moss) ou encore fantastique (comme Dans la nuit au musée de Shawn Levy, 2005 où les œuvres prennent vie durant la nuit).  

Le musée peut également être le centre d’intérêt du film, comme dans The Square, palme d’or 2017, où le protagoniste, conservateur d’un musée d’art contemporain, présente sa propre vision de l’art en préparant une exposition. Le musée est ici l’élément clef du scénario et le sujet réel du film. 

Le musée au cinéma

Pour aller plus loin, d’autres films proposent quant à eux une réflexion sur l’art et son histoire, le musée et son rôle social, ou encore la critique et ses préjugés. Par exemple, Les statues meurent aussi d’Alain Resnais (1953) interroge sur la place de l’art africain au musée de l’Homme à la fin de la période coloniale. Ce film qui fit scandale à l’époque pour son point de vue anticolonialiste, est intéressant à voir aujourd’hui alors que se pose la question du retour des œuvres dans leur pays d’origine. Sur un ton plus léger, la comédie romantique Le sourire de Mona Lisa de Mike Nichols (2003), sorte de Cercle des poètes disparus féminin, offre une réflexion sur l’histoire de l’art.  

Cette liste non exhaustive de films s’inspire du format proposé par la série documentaire d’ARTE Blow up. En attendant la réouverture des musées et des autres institutions culturelles, elle offre autant d’occasions de se plonger, le temps d’une soirée, dans une ambiance réellement et délicieusement artistique. 

Laurie-Anne Dubos

Sources :  

https://www.senscritique.com/liste/Biopics_de_peintre/79754

https://www.lemonde.fr/cinema/article/2017/10/18/the-square-un-triste-heros-des-temps-modernes_5202323_3476.html

Émissions Blow up : Le musée au cinéma / Peinture et cinéma / Les statues au cinéma