« J’aime la littérature » : c’est un constat étrange à dire à haute voix. Pourtant il est partagé par beaucoup de gens, dont moi-même je fais partie. Pourquoi diable alors, ne nous sentons-nous pas légitime de dire que l’on aime lire ? Et comment convaincre ceux qui hésitent encore à rejoindre ce club, pas aussi fermé qu’on pourrait le croire ?
Ce constat s’est imposé clairement quand je tournais frénétiquement les pages d’un bouquin à 4 heures du matin sans pouvoir m’arrêter. J’avais plus de mal à décrocher d’un livre haletant que d’une série aux mille et un rebondissements. Il y a en effet quelque chose d’addictif dans la lecture ; le fait même de tourner les pages nous tient en haleine. Sans cet acte, l’histoire ne pourrait poursuivre son cours. En ce sens, chaque page tournée devient un saut volontaire dans l’inconnu. Combien de fois m’est-il arrivée de retourner plusieurs pages en arrière pour retarder le moment fatidique où j’aurai à découvrir la page suivante ? On ne parle pas ici, d’un ou de deux cliffhangers mais bien de 500 ou 700 !
Dans ma jeunesse, lire était considéré comme le hobby des loosers ou des personnes qui devaient s’améliorer en orthographe (parole d’enfant d’orthophoniste) … Je n’ai jamais vraiment compris ce sentiment. Peut-être a-t-il été créé en partie par le fait que la lecture était une activité imposée par les professeurs, créant ainsi l’amalgame dans l’esprits des élèves. Par transitivité, si lire est un devoir, et que les devoirs sont une corvée, alors fatalement la lecture devient une corvée elle-aussi. C’est cette idée, je pense, qui fait le plus de mal à la lecture : cette idée reçue que ce soit une torture dont seul un(e) sadomasochiste abouti(e) pourrait tirer du plaisir.
Je dois l’admettre, ce n’est pas le plus sexy des mediums, et entre lire Game of Thrones et voir la série, il y en a une option plus attractive que l’autre. Mais est-ce qu’un plaisir de longue durée ardemment mérité n’est pas plus appréciable qu’une satisfaction immédiate ? Attention je ne critique pas les séries ou les films, j’en suis moi-même un grand amateur et consommateur. Il m’est d’ailleurs arrivé à maintes reprises de préférer regarder un bon film plutôt que d’ouvrir mon bouquin. Pourtant je n’ai jamais réussi à y retrouver le même degré d’émotions : car quand on ne te montre pas ce qu’il y a voir, tu peux l’imaginer de mille façons différentes pour en faire une expérience réellement intime. La lecture est aussi une expérience immersive, qui occupe totalement l’esprit ; il est impossible de lire et de dégainer son téléphone en même temps. Je sais que ça peut être considéré comme rétrograde à l’ère du multitâches mais c’est justement ce qui fait sa beauté : pouvoir entrer dans une bulle, coupé(e) du quotidien.
La lecture peut donc être un plaisir mais si l’on veut se livrer à l’expérience faut-il se coltiner les 2 400 pages d’À la recherche du temps perdu pour autant ? Au risque de choquer quelques âmes, je ne le pense pas.
On entend souvent parler de classiques dans la littérature par lesquels devrait passer quiconque se prétendrait un tant soit peu littéraire. Je pense qu’il faut les démystifier un peu puisqu’ils ne me paraissent que le fruit de constructions sociales. C’est l’école et ses représentants qui en premier lieu ont mis en avant ces livres, la transmission et le temps a ensuite fait le reste et ils se sont inscrits au cœur de notre culture pour devenir des incontournables. Cette sélection première n’est alors que le fruit de coïncidences, d’effets boule de neige et de choix discutables qui ont permis à certaines œuvres plutôt que d’autres de traverser les âges. Pour autant, ces « survivants » peuvent être de qualité – et la plupart le sont d’ailleurs-, mais il en existe d’autres qui méritent d’être mis en avant sans qu’ils en aient à rougir. Si on me passe le néologisme, j’aimerais mettre fin au booky-shaming…
La science-fiction et le fantastique sont deux genres littéraires particulièrement touchés par ce phénomène. Ils sont considérés comme populaires, pour enfants et, en tant que tels, sont mis au coin à l’école. Ainsi lorsque j’ai osé citer le roman de science-fiction La nuit des temps en khôlle de Culture Générale en classe préparatoire, mon professeur m’a dit : « Barjavel ? Mais, enfin, Antoine, c’est de la littérature collège ! ». Cet auteur pourtant reconnu pour ses analyses philosophiques sur la société n’aurait pas réussi à trouver ses lettres de noblesse aux yeux des universitaires ? Ou bien sa seule appartenance à un genre en disgrâce l’enfermerait dans une case ?
Il est pourtant intéressant de se rappeler que le tout premier prix Goncourt, a été attribué en 1903 à un roman de science-fiction, Force Ennemie de John-Antoine Nau. Pourtant le monde semble l’avoir oublié. Aujourd’hui, il n’y a que quelques noms qui ont su se faire une place dans les yeux du public : Jules Vernes, Lovecraft, Poe… Et même eux, considérés comme des classiques par les amateurs du genre, ne seraient sûrement pas considérés comme des classiques « avec un grand C », méritant d’être décortiqués et analysés. Aujourd’hui, le fantastique et la science-fiction ne se sont jamais aussi bien vendus et pourtant, ils demeurent dans l’ombre et dénigrés par un élitisme littéraire. Soyons clairs, toute œuvre de science-fiction ne doit pas être sacralisée pour son appartenance au genre, mais elle doit seulement pouvoir l’être malgré cela. Car on ne me fera pas croire que l’on ne peut analyser la satire sociale et le roman de voyage qu’avec Candide ; quiconque a lu La planète des singes de Pierre Boulle en retire au moins autant d’enseignements, si ce n’est plus.
Tous les genres contiennent des livres ayant le potentiel de classiques, on peut donc choisir ses lectures de manière décomplexée en fonction de ses goûts. Toutefois je ne conseillerais pas des classiques pour une première tentative de lecture, car ils peuvent-être difficile d’accès. Ce serait comme se lancer dans un marathon sans avoir jamais fait de course à pied auparavant. Ce serait contre-productif puisqu’on abandonnerait au premier point de côté ! Non, il faut d’abord commencer à courir pour soi, faire ses propres expériences en douceur pour se mettre à apprécier la course en tant que telle. Ensuite lorsque l’on est plus aguerris, on peut se lancer dans de grandes courses et réussir à trouver du plaisir dans sa souffrance. En lecture c’est pareil, il faut d’abord commencer par des livres qui nous attirent vraiment (Quatre fille et un jean, Percy Jackson, Twilight, j’en passe et des meilleurs…), y prendre du plaisir, avant de se tourner vers des classiques du genre !
Dans la littérature, quel que soit le livre, le principal est donc de faire ce saut de foi qui fait entamer la première page. Il ne faut pas se freiner par peur du jugement, car après tout, mieux vaut avoir un orteil dans les livres plutôt que de les utiliser comme cale de table basse… La science-fiction et le fantastique méritent eux aussi leur heure de gloire, militons donc pour la reconnaissance des maîtres du genre comme Aldous Huxley et Patrick Rothfuss. Ainsi tout le monde pourra vraiment y trouver son compte et rejoindre le club des lecteurs.
Antoine Boulanger