Diffusion des captations de spectacle vivant : initiatives éphémères ou nouveaux usages ?

De nombreuses institutions culturelles font depuis quelques semaines des propositions pour accéder à la culture en ligne. Il est désormais possible de les retrouver sur le site du ministère de la Culture, #culturecheznous, dont la rubrique « Concerts, spectacles » recense les initiatives de près de 70 structures dont le point commun est souvent la mise en ligne de captations de spectacles.

Opéra, concert, théâtre, danse, humour, tous les amateurs de spectacle vivant peuvent trouver une œuvre à leur goût. La Comédie-Française a par exemple créé la Comédie continue ! qui diffuse tous les jours au moins l’une de ses pièces, au milieu d’interviews de professionnels du théâtre et d’autres créations originales. Les pièces du Français sont aussi diffusées une fois par semaine sur France 5. 

La diffusion massive de captations en cette période est l’occasion de se poser des questions sur notre rapport au spectacle vivant lorsqu’il est médiatisé par le numérique. 

Le visionnage de captations de spectacle, une pratique répandue ?

Le visionnage de captations de spectacle est une pratique peu répandue si on la compare aux captations d’autres événements comme les événements sportifs, qui attirent beaucoup plus de téléspectateurs. Les premières retransmissions sportives ont même déjà un siècle d’histoire ! Si la diffusion radiophonique des pièces de théâtre existe depuis la fin du XIXe siècle, les captations, mêmes à des fins d’archivage, sont encore loin d’être systématiques dans le milieu. Les frais élevés de production sont un facteur explicatif du faible développement de la captation pour un secteur qui, s’il est en pleine croissance, ne rentre pas toujours dans ses frais.

En outre, les captations touchent surtout un public d’initiés. Ainsi, la plateforme de SVOD Opsis Tv, créée en 2017 et dédiée à la diffusion de spectacle vivant, expliquait fin 2019, selon Satellifax, avoir pour objectif d’atteindre 10 000 à 15 000 abonnés d’ici trois ans et propose différents abonnements selon que l’on est professionnel du spectacle ou de l’éducation, ou bien simple amateur. 

Pourtant, l’ambition du spectacle vivant de créer une communauté populaire et d’être diffusé à des publics variés a très souvent été énoncée et se retrouve aujourd’hui dans les métiers des relations aux publics. La diffusion numérique pourrait être un moyen de parvenir à toucher un public plus large, comme l’explique Opsis Tv, car elle concentre une offre théâtrale diversifiée, dépourvue de critère géographique et propose des tarifs avantageux.

Pourquoi alors attendre d’être confinés pour regarder des spectacles en ligne ? Quelque chose de particulier au spectacle vivant, résisterait-il à la captation ? L’absence de lien entre des spectateurs qui ne sont plus réunis dans un même lieu serait-il un problème ? Bien des communautés virtuelles existent, alors pourquoi pas pour le spectacle ? Le rapport physique manquant est-il plutôt un rapport direct à l’œuvre ? Le rapport au corps est souvent présenté comme essentiel à la scène, lieu impudique par excellence si l’on en croit nos ancêtres. La captation et le regard du réalisateur instaurent un rapport au corps bien différent : il est désormais possible de voir de près, comme au cinéma, le visage, les larmes d’un comédien. Dans ce cas, un rapport au corps, certes différent, existe bel est bien, même au travers d’une caméra. Un rapport plus intime se crée par le visionnage d’un spectacle au format numérique. Pourtant, la diction théâtrale, le jeu destiné à être compris de loin, peuvent être surprenants à l’écran, et distinguent bien le genre du chuchotement cinématographique. 

Différents types de captations pour différents modes de réception ?

Une captation se fait en général entre trois parties prenantes. Premièrement, l’équipe artistique crée un spectacle. Le lieu qui l’accueille aura aussi une influence sur le rendu de la captation. Enfin, le réalisateur offrira son point de vue sur le spectacle en choisissant quoi filmer, selon quel angle, etc. Celui-ci peut avoir plusieurs postures qui seront bien différentes dans le cas d’une captation d’archive ou d’une captation qui a pour vocation d’être largement diffusée. 

Les captations d’archive sont souvent en plan large, sont moins coûteuses à réaliser et ne sont pas destinées à être visionnées par le public. Elles servent avant tout à garder une trace des spectacles passés et font l’objet d’une conservation au sens muséal du terme : on peut ainsi les retrouver chez des organismes spécialisés comme l’INA. Ces captations sont avant tout un outil à destination de professionnels comme des chercheurs, des étudiants ou encore des comédiens et metteurs en scène qui souhaitent reprendre un spectacle. En dehors de ce cadre professionnel, des questions de droits d’auteurs se posent car leur diffusion n’est pas l’objet de leur réalisation. Ce pourrait être un frein à la pérennisation de l’initiative des institutions qui les diffusent actuellement, malgré le risque de piratage. 

Les captations destinées à une large diffusion sont très différentes. Le regard du réalisateur est une vraie proposition créative qui résulte de ses choix et de son dialogue avec l’équipe artistique, pour en garder l’esprit d’origine. On peut alors considérer que la captation est une œuvre à part entière, dont les modes de réception sont tout autres que ceux d’un spectacle où le public est présent. Cette recréation évite peut-être de figer ce qui devait être un événement, une matière vivante, alors recevable par un public. Ainsi, Pathé Live, qui enregistre et diffuse des spectacles au cinéma, propose des dossiers d’accompagnement de ses captations qui évoquent non seulement le spectacle d’origine, mais aussi le point de vue adopté par la caméra.

Si la captation par un créateur est une œuvre à part entière, destinée à un mode de réception spécifique, peut-on imaginer qu’elle s’adresse à de nouveaux publics ? Pour le moment, il semble que les adeptes du visionnage de captations sont des publics déjà conquis par le spectacle vivant. Dans le cas de La Comédie continue !, la lecture des commentaires de la page Facebook de la Comédie-Française nous apprend que les habitués du spectacle en profitent parfois pour revoir une œuvre à laquelle ils ont assisté. Comme l’indique l’enquête menée par Harris interactive pour le PRODISS : « Plus de 2/3 des Français indiquent avoir déjà visionné un spectacle sur écran (68%). […] Cette pratique semble davantage répandue parmi les jeunes de 15 à 24 ans (81%), les membres des catégories supérieures (76%) et ceux qui déclarent aller voir un spectacle vivant au moins une fois par mois (83%). Signe que la fréquentation dans les salles et le visionnage sont sans doute davantage complémentaires qu’opposés. » 

L’arrivée massive de contenus en libre accès, notamment sur les réseaux sociaux, semble développer de nouveaux usages qui ne devraient pas freiner le retour aux salles de spectacle. Mais quel avenir ont ces nouveaux usages ? Selon le rapport du SYNDEAC, Le spectacle vivant à l’ère du numérique : Mutations et perspectives, la fréquentation des salles de spectacle a été augmentée par la création de Cuture Box, plateforme web de diffusion de contenus culturels du groupe France Télévision. Tout espoir est alors permis pour les institutions du spectacle vivant d’attirer de nouveaux publics grâce à leurs initiatives numériques actuelles. 

Sources :

Par Fanny Dumontet

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